Critique. “A l'insu de mon plein gré”, un recueil jouissif des plus belles excuses de dopage
“Ce n’est pas ma faute...” Voici l’argument de taille de nombreux sportifs soupçonnés de dopage. Des excuses, toutes basées sur cet argument, Christophe Duchiron, journaliste et documentariste et Manuel Tissier, rédacteur en chef adjoint à Stade 2, en ont recensées une centaine dans leur livre, “A l’insu de mon plein gré”, les plus belles excuses de dopage*, en librairie dès ce jeudi 22 octobre.
A travers ces nombreuses histoires, les deux journalistes, tous deux grands reporters, qui ont travaillé ensemble pendant plus de dix ans à la rédaction de France 2 où ils ont couvert l’actualité sportive, recensent les plus belles excuses de dopage dégainées par les athlètes pris la main dans le sac. Les maladresses culinaires de maman, les bonbons de tata à la coca, le baiser à la cocaïne de Pamela, les graines de pavot à la morphine, le simple souhait de se faire pousser la moustache ou encore un dentifrice bourré de nandrolone... Les sportifs envoient du lourd pour se dédouaner, car ce n’est jamais de leur faute. Et leur imagination n’a pas de limites pour expliquer pourquoi des traces de produits dopants sont retrouvés dans leur organisme.
Au fil des pages, dans un style d’écriture ironique et avec beaucoup de recul, on y découvre ou redécouvre des histoires plus loufoques et rocambolesques les unes que les autres. Des excuses spectaculaires, qui provoquent presque à chaque fois le rire, tant le scénario est gratiné. D’ailleurs, si certaines justifications grotesques s’avèrent être un tissu de mensonges, d’autres se révèlent bel et bien authentiques, malgré le récit fantasque de l’athlète. Parmi les grandes histoires, on y notamment retrouve les grandes affaires comme celles de Lance Armstrong, de Richard Virenque, ou de Javier Sotomayor. Un large panel de disciplines est d'ailleurs représenté, du cyclisme, à l’athlétisme, en passant par le tennis, le rugby, le football, le ski, la natation ou encore le billard et le cricket.
"On n'avait pas à en rajouter car les sportifs en rajoutent assez eux-même"
Pour chaque histoire, les auteurs rappellent à travers le verdict les sanctions infligées aux athlètes, dont les dossiers sont clos pour la plupart, et s’autorisent une petite morale au second degré. “Même si on traite les choses avec légèreté et distance, elles sont d'abord traitées dans le respect des faits. On n'avait pas à en rajouter car les sportifs en rajoutent assez eux-mêmes. Au regard des trésors d'imagination qui sont déployés par les sportifs et parfois par leur entourage, le verdict tombe comme une sentence, et remet les choses à leur place. Et la morale d'une certaine manière, c'est notre commentaire. Avec elle, on s'autorise à dire ce qu'on veut”, souligne Christophe Duchiron.
“On n'a pas voulu être moraliste, appuie Manuel Tissier. Et c'est pour ça qu'on a tourné cette morale de manière un peu burlesque parfois, pour dire 'ce n'est pas si grave, on peut s'en amuser'. Et en même temps, on a voulu être rigoureux sur les faits, car on est journaliste, et ce qui nous intéresse avant tout ce sont les faits.” Une petite pirouette qui permet, à l’image du style d’écriture du livre, au lecteur de prendre du recul sur ces histoires pour beaucoup largement médiatisées. “Ce qui n'empêche pas que certaines de ces histoires aient des ressorts dramatiques aussi. C'est pour ça qu'on ne veut pas être moraliste ou cynique, ni trop moqueur, car à chaque fois cela a engagé des gens sur des terrains très personnels, intimes, avec beaucoup de violence”, poursuit Manuel Tissier.
Le dopage, "préparation médicale qui a mal tourné"
Loin de porter la suspicion sur chaque performance réalisée par un athlète, les auteurs se penchent uniquement sur les cas avérés de dopage car “nous ce qui nous intéressait, c'était d'entendre comment se défendaient les athlètes”, confirme Christophe Duchiron. "Le sport de très haut niveau est une industrie qui mobilise énormément de moyens et d'argent, et où les marges de progression sont infimes. Tous s'entraînent pour être meilleur que les autres et la victoire se joue à quelques millimètres. Et ces marges se retrouvent aussi dans les deltas qu'on peut mettre par rapport au règlement. En fait, le dopage c'est de la préparation médicale qui a mal tourné. Car ils sont tous préparés médicalement de manière très précise”, explique Manuel Tissier.
Les auteurs n’ont qu’un seul regret, celui que Richard Virenque n’ait pas accepté d’écrire la préface de l'ouvrage. Pour rappel, le Français Richard Virenque a été au cœur du scandale de l’affaire de dopage de l’équipe Festina en 1998. L'affaire brisa la carrière du coureur cycliste, qui fut largement moqué tant il s'était empêtré dans une mauvaise communication. Elle fut du pain béni pour les Guignols de l’Info, qui feront rentrer dans l'histoire l'expression "A l'insu de mon plein gré", prononcée non pas par Virenque mais par sa marionnette. “Il a été tenté, mais rapidement il a refusé. Il nous a expliqué que cette affaire lui avait fait trop de mal, qu’elle avait gâché sa vie, que cela le replongerait dans l'image de lui-même qu'il ne veut plus voir, c'est-à-dire celle de l’homme moqué, ridiculisé, alors que ce fut un immense champion. C’était trop compliqué pour lui de faire de l'humour avec ça”, raconte Manuel Tissier.
“J'ai trouvé cela très touchant car ce que je voulais, c'était qu'il reprenne la plume pour raconter son récit. Même si son récit est un récit de mensonge, c'est aussi l'histoire de quelqu'un qui s'est retrouvé broyé dans une forme de machine médiatique, avec un mauvais choix de communication qui n'est pas que le sien”, souligne Manuel Tissier. Car pour les auteurs, ce livre est aussi un moyen de “rendre hommage à tous ces sportifs qui ont été victimes d'une grande machinerie, qui ont mal réagi, et qui ont été mal conseillés dans leur récit médiatique et sportif”. Après les suspicions de dopage lors de l'édition 2020 du Tour de France, autour d'une partie de l'équipe Arkéa-Samsic, dont fait notamment partie Nairo Quintana, ce livre trouve toute sa place dans l'actualité, dont certains personnages pourraient à leur tour prendre place dans cette lignée, mais toujours à l'insu de leur plein gré.
* "A l'insu de mon plein gré", les plus belles excuses de dopage, de Christophe Duchiron et Manuel Tissier, Editions Solar, 176 pages, 12,90 euros. En librairie.
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