Covid-19 : le sport mondial est-il voué à vivre sous bulle ?
"On a l'impression de vivre dans une autre réalité, mais au moins, on peut jouer" Les mots de Carmelo Anthony, joueur des Portland Trail Blazers en NBA, témoignent de l'état d'esprit général des basketteurs depuis la reprise de la saison, fin juillet. La NBA a mis les moyens pour permettre à son championnat d'aller à son terme malgré la pandémie de Covid-19 : à DisneyWorld, une gigantesque bulle sanitaire accueille sur plus de quatre mois 1500 joueurs. Près de quatre semaines plus tard et des dizaines de matchs joués, le résultat est éloquent : il n'y a eu aucun cas de covid détecté sous la bulle, alors qu'à l'extérieur, le virus continue à se propager aux États-Unis.
Ce système est une telle réussite que plusieurs sports cherchent à s'en inspirer depuis : les organisateurs du Tour de France parlent de bulle, l'US Open a construit le même dispositif et l'Open d'Australie prévoit aussi de le faire. Même la LFP a évoqué cette piste récemment. Face à la recrudescence du nombre de contaminés dans plusieurs pays d'Europe, et tant qu'un vaccin n'est pas découvert, les bulles semblent être l'unique solution pérenne pour le sport mondial.
La bulle, une "communauté" sanitaire
Mais qu'est-ce qu'une bulle exactement ? Qu'est-ce qui la différencie d'un protocole sanitaire classique, fait de distanciation sociale, de gel hydroalcoolique, et de masques à volonté ? La bulle sanitaire implique un espace délimité où un groupe de personnes (de sportifs, dans notre cas) testés négatifs préalablement, accepte de se cloisonner (entièrement) pour ne pas laisser pénétrer le virus au sein dudit espace. Pour l'épidémiologiste Catherine Hill, c'est une solution infaillible, si elle est bien appliquée : "C'est comme ça que l'on peut préserver un groupe de personnes. Cela se fait depuis le Moyen-Âge : choisir l'isolement d'une communauté pour la sauver des virus".
"Le principe de la bulle est simple : une fois qu'on y est entré, on ne peut plus en sortir, résume pour l'Equipe Guillaume Marx, l'un des deux coaches du joueur canadien Félix Auger-Aliassime. C'est le club et l'hôtel, point final. Si vous sortez de la bulle, vous êtes automatiquement disqualifié."
"Il est interdit de sortir de l'hôtel. Le "do not cross the line" (ne franchissez pas la ligne, ndlr) existe vraiment" explique la Française Alizé Cornet. "Quand j'ai voulu récupérer la livraison de mon dîner juste devant l'hôtel, la sécurité est immédiatement arrivée : je n'avais pas le droit de franchir la porte, c'est le concierge qui nous amène le sac", raconte, toujours à l'Equipe, Édouard Roger-Vasselin.
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Le concept de "communauté", évoqué par Catherine Hill, se concrétise à travers les différents équipements mis en place par l'organisation. "On est contents de se retrouver dans cette société tennistique et on a envie de passer du temps ensemble. C'est bien organisé avec des jeux (ping-pong, billards, flippers, basket, etc.) dans l'hôtel, ils essaient de rendre le truc un peu ludique pour pas qu'on broie du noir dans nos chambres" relate Alizé Cornet.
Dans la bulle de la NBA, plusieurs joueurs ont pu quitter provisoirement la bulle en étant au courant des conséquences : jusqu'à dix jours de quarantaine à leur retour, avec le risque de rater des matchs. Une ligne téléphonique a même été mise en place pour dénoncer ceux qui ne respecteraient pas le protocole.
A l'US Open aussi, une dérogation est possible pour ceux qui le souhaitent. Certains peuvent louer une résidence dans les environs du stade ou de l'hôtel...à condition qu'elle soit surveillée. "Il y a des caméras tout autour de la maison pour qu'on ne sorte pas, décrit Dorian Descloix, entraîneur de Victoria Azarenka qui a fait le choix de la résidence à part. On va au stade en voiture et on doit partager notre trajet GPS au tournoi à chaque fois pour prouver qu'on n'a pas fait de détour."
Ce territoire sanitaire, aux frontières strictement gardées, n'est cependant pas suffisant. Toutes les mesures habituelles sont appliquées à l'intérieur. Voire même un peu plus. En NBA, chaque joueur a sa propre fontaine à eau derrière lui. Pendant les temps-morts, les joueurs doivent se tenir assis sur des chaises qui seront déplacées spécialement pour l’occasion, et désinfectées directement après leur passage. Les doubles sont interdits au ping-pong, les visites interdites dans la chambre d'un équipier.
Pour l'épidémiologiste Catherine Hill, ces règles sont de toute façon nécessaires car le concept de communauté peut aussi bien être très porteur du virus. "La communauté cloisonnée peut devenir, à l'inverse, très dangereuse s'il n'y a ne serait-ce qu'un contaminé. Le virus peut se propager à une vitesse beaucoup plus importante qu'à l'extérieur". Pour qu'elles soient efficaces, les bulles doivent donc être totalement hermétiques et, surtout, très réactives au moindre contrôle positif. Car très vite, les choses peuvent se détériorer.
Barrière efficace, mais sport aseptisé ?
Si les résultats sanitaires sont pour l'instant excellents, "mieux que ce à quoi nous nous attendions" affirme même Adam Silver, le patron de la NBA, les conséquences sur la qualité du spectacle sont mitigées. Il n'y a évidemment pas de public. Surtout, le sel des rencontres à domicile est totalement perdu. La bulle sanitaire doit être par définition sédentaire : elle interdit les déplacements, et donc, tout le jeu des matchs aller et retour, des stades locaux, des publics en effervescence. Les stades de Ligue 1, championnat pour l'instant parti sur une jauge à 5000 personnes, voire à huis clos, n'ont certes pas recouvré leur ferveur habituelle. Mais les joueurs ont au moins un semblant de sensation de jouer chez eux.
Consciente de cette limite, la NBA a redoublé d'inventivité (et d'investissements) pour y pallier, tant bien que mal. Elle a mis en place un staff spécifique chargé de recréer l'ambiance à domicile de chacune des équipes présentes dans la bulle. Ainsi, dès que le projet du restart fut sur les rails, les 22 teams ont envoyé les clips vidéos, les musiques, les chants de supporters et les jeux de lumière utilisés sur leurs matches à domicile. Ainsi, lorsque les Sixers pénètrent sur le terrain quand ils sont censés jouer "à domicile" (à Orlando), ils peuvent entendre l'hymne de leur supporter (chanté par leurs supporters) "Here come the Sixers". Les Heat de Miami peuvent eux admirer leur numéro de lumières habituel "ViceWave" à leur entrée sur le terrain.
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"Notre objectif est de créer une expérience immersive et agréable où les supporters pourront communiquer les uns avec les autres et garder un sens de l’appartenance", a déclaré Sara Zuckert, chargée des innovations télévisuelles pour la NBA. Mais dans l'optique d'une généralisation de la bulle sanitaire, les autres organisations sportives auront-elles les moyens financiers d'emboîter le pas à la NBA, et de construire une bulle si parfaite ?
Un modèle inimitable ?
Le problème est que la NBA elle-même envisage en priorité d'autres solutions pour la saison prochaine, malgré l'éclatante réussite de la bulle. Comment reproduire ce système sur un championnat de six mois, à plus de 80 matches par équipe ? Il faut savoir que les joueurs présents sous la bulle sont quasiment dans l'impossibilité de rencontrer leur famille pour l'instant.
Si la NBA martèle qu'elle est prête à repousser le début de la prochaine saison jusqu'à ce qu'elle puisse de nouveau accueillir du public, la piste de la bulle ne peut être complètement oubliée. « Il y aurait plusieurs bulles, avec un temps hors de la bulle, explique Michèle Roberts, directeur exécutif de la NBA.Peut-être qu’il n’y aura pas de bulle du tout mais bien entendu, c’est un scénario ou l’un des scénarios que nous devons considérer car, une nouvelle fois, c’est le virus qui dicte quelles sont nos restrictions ou pas."
Plusieurs bulles, sur plusieurs périodes de l'année et en différents endroits, serait-ce là une solution pour l'ATP et la WTA ? Car le tennis fait face à la même problématique que la NBA. La bulle a certes été installée sur l'US Open, et le tournoi de Cincinnati s'est transposé à Flushing Meadows pour l'occasion. Mais cette formule n'est pas applicable partout et sur toute la saison. Le circuit parcourt trois continents de janvier à décembre. Il faudrait alors plusieurs rassemblements géographiques de tournois, sur le modèle de Cincinnati et de l'US Open. Pour Julien Boutter, président du tournoi de Metz, cette solution est trop extrême : "Les Américains ont souvent tendance à tomber dans le trop-plein sur ces questions. Je me souviens de la paranoïa qui avait suivi le 11 septembre. Je ne pense pas que l'on ait besoin de telles mesures jusqu'au-boutistes en tennis".
De son côté, la Ligue de football professionnel envisage de suivre le modèle du Final 8 de la Ligue des champions à Lisbonne. Echaudé par la sévérité actuelle du protocole, qui conduit au report d'un match si une équipe a quatre cas positifs sur les huit derniers jours glissants, le directeur général Didier Quillot assure y réfléchir : "Notre objectif absolu est de jouer les 380 matches de Ligue 1, les 380 matches de Ligue 2 et pour cela nous nous sommes rapprochés des pouvoirs publics pour revisiter le protocole médical établi ces dernières semaines. On veut un assouplissement, quelque chose qui s'inspire du protocole de l'UEFA", a-t-il déclaré. "Nous avons commencé à travailler avec les pouvoirs publics ces derniers jours, y compris ce week-end, de façon à ce que cette notion de 'cluster' soit revisitée et s'inspire du modèle mis en place par l'UEFA pour son 'Final 8' de Lisbonne". Au Portugal, les joueurs étaient testés avant chaque match, comme en Ligue 1. Mais les rencontres n'étaient menacées que lorsqu'une équipe ne disposait plus d'au moins 13 joueurs sains dont un gardien.
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