Coronavirus : Calendrier sportif surchargé, sécurité civile surmenée
Les reports d’événements sportifs se sont enchaînés ces dernières semaines, et nombre d’entre eux ont été repoussés à l’automne comme le Tour de France, Roland-Garros, les 24 heures du Mans ou encore le marathon de Paris, pour ne citer qu’eux. Alors si nous sommes heureux de savoir que nos événements sportifs préférés ne sont pas annulés, il pourrait se poser de nombreuses questions autour de l’organisation et notamment autour de la sécurité civile sur ces manifestations.
Pour les compétitions internationales, nationales et interdépartementales, l’organisateur est obligé de faire appel à une ou plusieurs association(s) agréée(s) de sécurité civile, comme la Protection civile ou la Croix-Rouge. Ces associations ont pour mission de pré-positionner une équipe de secours sur les lieux de l’événement, destinée à la fois au public et aux acteurs, comme les athlètes par exemple. C’est ce que l’on appelle un dispositif prévisionnel de secours. Autrement dit, ces secouristes sont là pour prendre en charge une personne victime d’un accident ou d’un malaise lors de la manifestation. Ils réalisent ainsi les gestes de premiers secours, voire d’urgence si besoin, et alertent les secours.
Sans sécurité civile, risque d'annulation
Mais il semblerait que les organisateurs ont davantage en tête les conséquences économiques du report plutôt que la sécurité civile de leur futur événement. “Beaucoup d’organisateurs n'ont pas pris connaissance de cela en effet”, constate Florent Vallée, délégué national au secourisme à la planification et aux opérations de la Croix-Rouge. Car pour l’heure, tous les organisateurs n'ont pas contacté leurs associations agréées de sécurité civile pour les informer des reports. Un oubli qui peut pourtant coûter cher aux organisateurs. “S’ils reportent sans prévenir l’association agréée de sécurité civile, ils peuvent ne pas avoir l’autorisation de la préfecture ou de la sous-préfecture d’organiser leur événement”, explique Florent Vallée. Comprenez donc, l’annulation.
Alors que le calendrier sportif se remplit, les associations craignent ainsi de ne pas pouvoir répondre à tous les besoins. “A partir de septembre, on peut s'attendre à une surcharge d'activité sur nos postes de secours et cela va créer une difficulté à traiter tous ces dispositifs prévisionnels de secours en même temps”, explique Jérémy Crunchant, administrateur de la Protection civile au niveau national. Une vision partagée par Florent Vallée. “Avec le report de nombreux grands événements, on va avoir un embouteillage des manifestations sportives et aussi culturelles sur cette période en plus des événements déjà prévus. Nous allons avoir des difficultés à tenir l’ensemble des dispositifs”, affirme Florent Vallée, qui craint d’ailleurs de ne pas avoir assez de bénévoles disponibles.
Le 20 septembre, journée aux trois événements
D’ailleurs, une journée sera particulièrement chargée, celle du 20 septembre, avec l’arrivée du Tour de France sur les Champs-Elysées à Paris, la première journée de Roland-Garros et enfin les 24h du Mans. Rien que ça. “L’année dernière, pour la Protection civile, nous avions 30 bénévoles sur le Tour de France et 30 à Roland-Garros. Le 20 septembre, il faudra donc avoir 60 bénévoles secouristes disponibles, formés aux premiers secours de niveau 2”, résume Jérémy Crunchant. Pour assurer convenablement la tenue de ces deux événements, la Protection Civile Paris Seine (PCPS) n'est toutefois pas inquiète quant au bon fonctionnement de l'organisation. “Il n'y a aucune inquiétude à trouver 60 bénévoles avec les bonnes compétences pour notre association. A titre de comparaison, nous mobilisons depuis quatre semaines 150 bénévoles par jour sur Paris et sa petite couronne pour la crise du covid-19 avec un service en partie h-24", indique la PCPS.
Pour faire face à cet embouteillage important d’événements du 20 septembre, et à ceux de l’automne en général, la Protection civile prévoit de faire appel à tous ses bénévoles du territoire français. “On imagine déjà de s'entraider entre départements, de faire un appel à la solidarité nationale, qui permet d'envoyer des bénévoles d'un département à un autre afin de renforcer les équipes. Il s’agit du même procédé que l’on a mis en place pour la Coupe du monde féminine l’an passé”, développe Jérémy Crunchant, administrateur de la protection civile au niveau national.
Fatigue et perte financière
Au-delà du nombre important de reports aux mêmes périodes, les associations redoutent aussi de voir leurs équipes épuisées, après avoir enchaîné les missions des mois durant sur le terrain face au Covid-19. “Nos bénévoles sont engagés très fortement sur le terrain depuis le début de la crise. Donc ils seront probablement fatigués tant sur le plan moral que physique”, indique Jérémy Crunchant.
"Aujourd’hui, si on peut intervenir sur la crise du Covid-19, c'est aussi parce qu'on a eu de grands événements sportifs ou culturels à gérer comme le Mondial féminin."
Autre crainte de la Protection civile, ses capacités financières. Car sans événements sur lesquels intervenir, aucun revenu ne rentre dans les bourses de l’association. “A partir du moment où l’on fait appel à nous, nous avons une grille tarifaire qui varie selon l’événement, le nombre de participants, l’engagement de nos bénévoles et qui prend en compte les frais liés à la mission", précise Jérémy Crunchant. "Cet argent nous permet ensuite de réinvestir dans du matériel de secours ou d’assurer des missions en temps de crise, comme c’est le cas en ce moment. Finalement, aujourd’hui si on peut intervenir sur la crise du Covid-19, c'est aussi parce qu'on a eu de grands événements sportifs ou culturels à gérer comme le Mondial féminin, ce qui nous permet de vivre sur l'année.”
"Pour nous, l’année 2020 est foutue"
La Protection civile estime ses pertes entre 6 et 8 millions d'euros en France cette année à cause du virus. Sans revenus, il devient donc compliqué pour l’association de payer ses charges de fonctionnement et de personnels, quand il y en a, et tous ses frais divers comme l’oxygène, qui coûte très cher, et les produits consommables (protections individuelles, pansements etc...).
Alors, les incertitudes sont nombreuses. “Est-ce qu’on aura les capacités financières d’envoyer des équipes d’un point A à un point B, je ne sais pas. Pour nous, l’année 2020 est foutue. Même si l’activité reprend, elle sera faible. On a du mal à se projeter sur la fin de l'année mais globalement nous craignons que dans certains départements nous devions fermer certaines protections civiles”, alerte Jérémy Crunchant. Une situation complexe à tel point que la Protection civile a lancé un appel général à la générosité le 9 avril dernier sur son compte Twitter pour permettre d’anticiper ses prochaines missions.
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Les bénévoles pourront-ils se déplacer ?
Si la situation peut évoluer encore avant l’automne, les interrogations des associations sur leurs missions de terrain restent encore en suspens. D’abord, qu’en sera-t-il des déplacements ? Pour répondre aux besoins importants de l’automne, les associations comptent sur leurs bénévoles de l’ensemble du territoire, mais pourront-ils se déplacer sur les lieux des manifestations sportives ? “Si au 20 septembre les déplacements entre les régions sont limités pour éviter la propagation du virus, ça sera beaucoup plus compliqué d’avoir assez de bénévoles sur place”, s’inquiète Florent Vallée, de la Croix-Rouge.
Le délégué national au secourisme à la planification et aux opérations de la Croix-Rouge s’interroge aussi sur des problèmes sous-jacents, mais pourtant fondamentaux au bon fonctionnement des missions des associations. “Tous nos bénévoles en secourisme sont tenus de suivre une formation continue annuelle, qui est réalisée entre septembre et décembre. Aujourd’hui, il est impossible de faire la formation", alerte Florent Vallée. "Sans celle-ci, on ne pourra pas continuer à exercer en 2021.”
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