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Coralie Pacaut : "Les hommes jockeys n'acceptaient pas que les femmes montent autant en courses"

À l’occasion de la semaine du sport féminin, nous avons voulu mettre en valeur le monde des courses hippiques, où la féminisation s’est accentuée ces dernières années. Meilleure femme jockey française en 2019, Coralie Pacaut fait partie d’une nouvelle génération qui a trouvé une place dans ce milieu très masculin. Elle revient sur le combat qu'il reste encore à mener pour les femmes jockeys.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5min
Coralie Pacaut a été sacrée meilleure femme jockey française en 2019. (? APRH / QUENTIN BERTRAND)

Quand vous avez débuté votre carrière de jockey, quel était le regard de vos homologues masculins ? 
Coralie Pacaut :
 "On ne peut pas dire que c'était des regards bienveillants. C'est un milieu très machiste. Quand j’ai commencé, il n'y avait pas encore la décharge (remise de poids de 1,5 kilos pour les femmes jockeys professionnelles, ndlr). Celle-ci nous a aidées à monter lors de courses. Au début, il y a eu, je ne dirai pas de la jalousie, mais presque. Les hommes jockeys n'acceptaient pas que les filles montent autant en courses, qu'elles aient cet avantage. Comme dans tous sports, plus tu montes, plus tu t’améliores et plus tu gagnes. Aujourd’hui, grâce à la décharge, nous sommes de plus en plus nombreuses à monter, et donc à progresser et à gagner. Ca va nous aider à perdurer dans le temps. À présent, pour celles qui se débrouillent bien, elles sont acceptées et beaucoup moins jugées par les collègues jockeys."

Plus que l'avantage du poids, cette décharge, mise en place en 2017, a aussi permis aux entraîneurs et aux propriétaires d'accorder leur confiance aux femmes lors de grandes courses, ce qui n'était pas le cas avant.
CP :
"Oui. Au début, la décharge nous a aidées à nous faire monter. Toutefois, c'est encore difficile. Pour le moment, ils nous utilisent parce qu'on a la décharge, et parce que c'est plus facile de nous mettre à cheval. Mais ce n'est pas toujours évident, car ils ont encore en tête qu'un homme a plus de force, parce que jockey c'est un métier masculin. Mais je pense vraiment que ça va changer et aller en s'améliorant."

D'ailleurs, cette question de la décharge a fait polémique, certains jockeys masculins se sentant défavorisés. Vous comprenez leur réaction ? 
CP : "Je peux comprendre oui et non. Il y a tellement de bons jockeys, que c'est vrai que les plus petits vont être moins amenés à monter et les entraîneurs vont peut-être préférer aligner une femme avec une décharge plutôt qu'un homme sans décharge. C’est ce qu’ils pointent du doigt. Suite à ces mécontentements, elle a d’ailleurs été réajustée, notamment pour les apprentis hommes (réduite de 0,5 kg, effectif au 1er mars ndlr)."

Est-ce dur de se faire une place et un nom dans ce milieu qui reste encore aujourd’hui dominé par les hommes ? 
CP :
"Oui et ce n'est pas fini je pense. C'est un métier difficile. Le problème c'est qu'on est tous les jours avec des hommes et des femmes, qui ont 15 à 20 ans de métier. Nous, on a 1 à 3 ans d’expérience. On essaie de monter. Mais entre la confiance des entraîneurs et des propriétaires à gagner, le fait qu'ils puissent changer de jockey comme ils le veulent, ou encore en fonction de la forme du jockey, c’est difficile de rester dans le haut du panier. Ce n'est pas facile d'être au meilleur de notre forme tous les jours, mais le métier nous demande de l'être. Et si on ne l'est pas, quelqu'un d'autre prendra notre place. Donc il faut être le plus rigoureux possible. La concurrence est rude, donc ta place n'est jamais acquise."

Quand vous entendez des arguments comme les femmes jockeys "n’ont pas assez de force dans les bras ou les jambes", elles sont "moins performantes à la lutte (en fin de course)", ces remarques sexistes vous agacent-elles ?
CP :
 "Ce sont des arguments que j'entends. C'est vrai qu'il faut avoir de la force à cheval. Oui, un homme est physiquement plus fort qu'une femme, c'est physiologique, c'est comme ça. Mais, ce sont des courses de chevaux, et non d'humain. Nous les femmes, on fait régulièrement du sport à côté, on essaie de prendre du muscle mais sans prendre du poids. Le problème est qu’ils veulent tout, à la fois qu'on soit très musclée et aussi très légère. Il faut un juste milieu afin d’être suffisamment musclé pour tenir les chevaux et pouvoir les amener le plus loin possible. Mais je pense que les femmes ont d'autres qualités que les hommes n'ont pas, comme le feeling avec les chevaux ou la façon de les tenir. Et ça se ressent."
 
Avec Marie Velon, Charlotte Prichard et Jessica Marcialis entre autres, vous faites partie d’une nouvelle génération qui laisse entrevoir un bel avenir devant vous. C’est un tournant selon vous pour la féminisation des courses hippiques ?
CP :
"Oui, et je pense que ça va encore augmenter. On voit plus de filles monter, et de manière plus régulière. Toutefois, il ne sort pas quinze championnes par an. Cette année, nous avons eu Marie Velon et Ambre Molins par exemple. Les hommes sont toujours en train de se plaindre que les femmes prennent tout, mais des femmes qui montent autant qu'un homme tous les jours, il n’y en a pas 100 000. En revanche, je pense que nos carrières vont donner envie à plus de femmes de se battre pour devenir jockey et cela va aider le métier à se développer. Il faut espérer que la mentalité des entraîneurs et des propriétaires va continuer d'évoluer dans le bons sens, mais ce n'est pas évident."

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