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Comté de Nice, Ruthénie subcarpatique, Abkhazie… bienvenue à la CONIFA, l'antichambre de la FIFA

Réunie pour son assemblée générale annuelle la semaine dernière, la CONIFA vient officiellement d'annoncer l’organisation de sa première Coupe du monde féminine pour le mois de juin prochain. Une nouvelle avancée considérable pour cette organisation qui évolue en marge de la FIFA, et permet à certaines minorités et ethnies de s’émanciper par le football.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
Un drapeau du Kurdistan brandi lors de la première Coupe du monde de la CONIFA en juin 2014, à Oestersund en Suède. (JONATHAN NACKSTRAND / AFP)

Quel est le point commun entre les populations Rohingyas, du Tibet, du Somaliland ou encore de la Transnistrie ? Si on vous parle de CONIFA, n'imaginez pas un conifère ou encore un nouveau variant du Covid-19. Non, il s'agit bien de la Confédération des associations de football indépendantes (CONIFA), qui regroupe donc ces régions diverses et variées. Tout au long de la semaine dernière, celle-ci a organisé - virtuellement, crise sanitaire oblige - son assemblée générale annuelle. Une semaine d'échanges, de discussions et de développement de projets en tout genre pour finalement officialiser dimanche une grande nouvelle. En juin prochain aura lieu la première Coupe du monde féminine de la CONIFA.

Une avancée considérable pour l'organisation fondée en 2013, qui fait office d'antichambre de la FIFA. La CONIFA réunit à ce jour 60 membres représentant des territoires, des minorités et des ethnies qui cherchent à s’émanciper ou à faire reconnaître leur culture par le football, à défaut d’obtenir une reconnaissance politique. Depuis sa création il y a plus de sept ans, la CONIFA a même organisé plusieurs compétitions internationales : des Championnats d'Europe qui se sont déroulés en Hongrie, en Chypre du Nord, au Haut-Karabagh ; des Coupes du monde en Suède, en Abkhazie et à Londres. La première équipe à avoir été sacrée championne du monde n'est autre que... le Comté de Nice, n'en déplaise à l'OGC Nice.

L’édition 2020 de la Coupe du monde, qui devait se dérouler en juin dernier en Macédoine du Nord, n’a malheureusement pas résisté à la Covid-19. "La pandémie a été un grand défi pour nous, mais en même temps, cela nous a permis de prendre le temps et de réfléchir à notre stratégie pour l’avenir", témoigne Per-Anders Blind, fondateur et actuel président de la CONIFA. Comme l'explique cet arbitre amateur et business developer dans la "vraie vie", s'occuper de l'instance est une activité quelque peu chronophage. Entièrement gérée par des bénévoles et financée par les cotisations de ses membres, des donations et des contrats de sponsoring, la CONIFA est un projet international, et prend par définition beaucoup de temps.

Objectif FIFA pour certains membres

"On reçoit constamment de nouvelles candidatures", explique fièrement le dirigeant suédois, qui précise que cinq nouveaux membres ont été admis au sein de la CONIFA en 2020. Mais toutes les demandes ne sont pas acceptées, loin de là. Pour intégrer la liste des membres, les sélections candidates doivent satisfaire au moins un critère parmi une série de dix : représenter par exemple une minorité linguistique, être membre de l’Union fédéraliste des communautés européennes (UFCE), ou encore faire partie de l’Organisation des nations et des peuples non représentés (UNPO). Le tout sans être membre de la FIFA.

Car aucune des 60 sélections de la CONIFA n’est enregistrée au sein de l’instance mondiale dirigée par Gianni Infantino. Malgré des similitudes, CONIFA et FIFA n’entretiennent pas de "relation officielle", indique Per-Anders Blind. Pourtant, certaines sélections de la CONIFA, comme les Tuvalu ou Kiribati (en Océanie), n'ont pas vocation à rester éternellement membre de l'organisation. Et se battent depuis plusieurs années pour rejoindre la FIFA.

"Nous les soutenons, tient à souligner le président de la CONIFA. Je pense qu’en faisant partie d’une organisation comme la nôtre, ça peut les aider, les préparer à faire partie de la FIFA. Chacun a ses ambitions en entrant à la CONIFA : certains veulent faire partie de la FIFA, d’autres veulent tout simplement promouvoir leur culture et leur langue par le sport."

Remous diplomatiques

Promouvoir sa culture, c'est la mission que s'est fixée la sélection d'Occitanie en entrant au sein de la CONIFA et en participant à la Coupe du monde en 2014. "On associe nos prestations sportives à la valorisation de la culture occitane, indique Didier Amiel, sélectionneur de l'équipe d'Occitanie de 2008 à 2017. Je voulais qu’en Laponie, on sache qui on est. On a apporté notre passé, notre langue, notre culture et on a fait voyager l’Occitanie au-delà des frontières françaises."

Une exportation et un partage de cultures qui bénéficient à tous les membres de l'organisation, selon Per-Anders Blind : "La CONIFA a une mission pacificatrice, de faire se rapprocher toutes ces ethnies, ces territoires, pour partager des bons moments tous ensemble autour d’une même passion". "C’était une expérience incroyable, on a changé de pays, on a découvert de nouvelles cultures, des régions du monde qu’on ne connaissait absolument pas", confirme Franck Delerue, joueur du Comté de Nice, qui a remporté la première Coupe du monde organisée par la CONIFA en 2014.

En raison de cette émancipation par le sport de ses membres, la CONIFA n'échappe pas aux troubles diplomatiques. Lors de chaque compétition ou presque, la présence d’une sélection provoque des réactions politiques. En 2016 et 2018, la participation de la sélection de Chypre du Nord aux Coupes du monde de la CONIFA a irrité les autorités turques et chypriotes. La présence du Tibet, en 2018, au Mondial organisé à Londres, a froissé la Chine. L’Ukraine est allée plus loin, en réaction à la victoire de la Ruthénie subcarpathique lors de cette Coupe du monde 2018. Le ministre des Sports, Igor Zhdanov, avait alors dénoncé un "séparatisme sportif ". Décision avait été prise d’interdire aux joueurs de la sélection d’évoluer au niveau professionnel et amateur en Ukraine.

De grandes ambitions pour l'avenir

"On ne fait pas de politique. J’ai le football dans le sang et la politique m’importe peu", se défend Per-Anders Blind, qui assure que la CONIFA ne soutient aucun projet d’indépendance ou de sécession. "Nos membres sont souvent des populations qui ont été historiquement brutalisées et qui ont une faible estime de soi. L’objectif de la CONIFA est simplement de leur donner l’opportunité de montrer leur beauté, et d’éduquer le monde en les faisant connaître", ajoute le président de l’organisation.

En marge des scandales de corruption qui touchent depuis plusieurs années la FIFA, la CONIFA apparaît naturellement comme un modèle en décalage avec le monde du foot-business, que certains appellent à réinventer à l’issue de la crise du Covid-19. De quoi attirer certaines candidatures pour le moins étonnantes. "Certains pays africains membres de la FIFA ont même demandé à rejoindre la CONIFA, parce qu’ils se sentaient négligés", précise Per-Anders Blind. Emballé par l’enthousiasme que provoque son organisation, le président suédois de la CONIFA ne compte pas s’arrêter là.

La création d’un jeu de football, à l’image de la franchise FIFA, pourrait voir le jour à moyen terme. "L’idée serait d’y ajouter une interface pour pouvoir éduquer les joueurs et faire connaître les territoires et les ethnies présentes dans le jeu", indique Per-Anders Blind. La semaine dernière, lors de l’assemblée générale annuelle de la CONIFA, les projets de compétitions continentales, à l’image du championnat d’Europe, ont également été évoqués et seront organisés à l'avenir.

Tout comme le développement du football féminin, qui verra donc l’organisation d'une première Coupe du monde de la CONIFA en juin prochain. À condition, cela va de soi, que la crise sanitaire le permette. Malgré les difficultés actuelles, Per-Anders Blind reste confiant : selon lui, le football version CONIFA a encore de beaux jours devant lui.

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