Championnats annulés ou pas, le football amateur au bord du précipice
Face à la pandémie de coronavirus, le ballon rond est à l’arrêt. Si les passes d’armes entre présidents de clubs de Ligue 1 ont fait coulé beaucoup d’encre, chacun y allant de sa proposition pour mener le championnat à son terme, la situation commence aussi à se crisper dans les divisions inférieures. Ainsi, les championnats fédéraux de National 1, 2 et 3 pourraient ne pas aller à leur terme, même après la levée du confinement. Coincés entre le monde professionnel (Ligue 1 et Ligue 2) et les divisions amateurs régionales, ces trois championnats nationaux, dont les équipes naviguent entre amateurisme et professionnalisme, attendent de connaître leur sort : report ou annulation ?
Arrêter la saison, pourquoi pas, mais quand ?
Cette décision, c’est la Fédération française de football qui va devoir la prendre. "La décision est difficile, elle fera obligatoirement des mécontents. Mais aujourd’hui, il faut agir", avance Antoine Emmanuelli, président de Bastia-Borgo (13e de N1). A l’étage inférieur, Stéphane Loison, président du FC Annecy (N2), complète : "Je comprends que la FFF prenne son temps. C’est la plus grosse fédération sportive de France : plus de de 15 000 clubs seront touchés par cette décision. La solution ne sera pas la bonne, mais la moins mauvaise". Le ton est donné.
La question principale que se posent les dirigeants de club, c’est quel avenir donner à ces compétitions ? Faut-il les annuler ou les reporter ? "Aujourd’hui, on est dans une situation inédite. Alors privilégier un cas plus que l’autre sera très difficile", prévient d’entrée Jean-Pierre Scouarnec, président de l’USL Dunkerque (N1) et de l’Union des Clubs des Championnats Français de Football (U2C2F). "Il faut éviter la saison blanche", avance Marc Dubois, président du CS Sedan (N2). Il poursuit : "La position du juriste que je suis, c’est que la seule solution équitable et sûre juridiquement, la plus exempte de toute contestation possible, c’est d’arrêter les championnats à la fin des matches allers, puisque l’ensemble des clubs se seront rencontrés". Une solution qui se défend, et qui arrangerait le dirigeant sedanais, dont le club était premier à la trêve, avant d’être rejoint puis distancé par le SC Bastia.
Forcément, chaque club aura son avis sur la question, plus ou moins influencé par ses objectifs respectifs. Président du FC Annecy, premier du groupe D de National 2, Stéphane Loison justifie : “Geler la saison après autant de matches, cela ruine tout ce qui a été mis en oeuvre jusqu’ici. Le principe d'une saison blanche est peut-être le plus simple à gérer administrativement, mais sur de nombreux facteurs sportifs, humains, ce n’est pas envisageable ni respectueux”. Et si le classement à l’instant T avantagerait son club, leader à l’heure actuelle, mais deuxième à mi-saison (derrière Grasse, aujourd'hui deuxième...), le président d’Annecy ne le défend pas plus : "Ce serait injuste parce que toutes les équipes n’ont pas joué contre tout le monde à domicile et à l’extérieur. Après, prendre le classement de la trêve n’est pas tout à fait équitable non plus. Ce n’est pas la même chose d’affronter une équipe à domicile ou à l’extérieur.”
Du côté de Belfort (N2), la question ne se pose même plus pour le président Jean-Paul Simon, kinésithérapeute de métier : “On ne pourra pas reprendre cette saison. Le confinement va être prolongé, avant une reprise douce de la vie normale. Or, après 2 mois sans entraînement pour les joueurs, c’est impossible de reprendre d’un point de vue physique. Pour moi, il faut partir sur une reprise de la saison prochaine en juillet".
Une crise économique, plus que sportive
On l’aura compris, à chaque club son avis, ou presque. Et bien malin celui qui prédira la décision finale de la FFF. Le seul point de convergence de tous les acteurs est l’aspect secondaire de ces interrogations, dans le contexte sanitaire actuel : "On parle de football, c’est dérisoire quand on voit la situation du pays…", rappelle Marc Dubois, président du CS Sedan, qui gère des EHPAD dans le civil. "Le plus inquiétant, c’est de voir nos proches en difficulté. Les victimes du virus, c’est ça le plus difficile", insiste Antoine Emmanuelli. Dérisoires comparées au bilan humain de la crise sanitaire, les conséquences pour le football amateur pourraient toutefois être dramatiques. D’où les débats actuels.
Selon Jean-Pierre Scouarnec, "Les conséquences seront avant tout sportives, parce que s’il n’y a pas de classement effectif de fin de championnat, il y aura des clubs déçus de ne pas monter, ou de descendre, et qui estimeront ne pas avoir eu la totalité de leurs chances, à juste titre. Mais la problématique sera surtout financière". Et pour cause, amateurs sur le papier, les championnats de N1, N2 et N3 brassent en réalité beaucoup d’argent. A Annecy, Stéphane Loison explique : “Au delà du sportif, il va falloir avoir les reins suffisamment solides pour encaisser ce contexte économique. Nos clubs dépendent à 80% du sponsoring et du mécénat. Or, les partenaires privés doivent aussi sortir de cette crise avant d’honorer leurs engagements. Leur priorité c’est de maintenir leurs emplois". Autrement dit : la crise économique causée par l’épidémie va inévitablement retomber sur les clubs amateurs.
A ces conséquences sportives et surtout économiques s’ajoutent celles physiques. Le président dunkerquois, Jean-Pierre Scouarnec, détaille : "Avec le confinement, on va dépasser le temps d’une trêve estivale normale, derrière laquelle on a 4 semaines de réathlétisation pour les joueurs. Avant tout, il faudrait arriver à réathlétiser les joueurs. Après, on pourrait reprendre. C’est pour cela que plus le temps passe, plus il semble difficile de reprendre les championnats". D’autant que les contrats de joueurs s’achèvent le 31 juin. "Un de nos joueurs pourrait rencontrer sa future équipe : quelle serait son attitude sur le terrain ?", s’interroge Scouarnec.
“On ne pourra pas jouer en juillet, on n’a pas les infrastructures, tous les joueurs ne seront pas là” tranche de son côté Jean-Paul Simon. Pour le président de Belfort, toutes ces questions sont de toute façon secondaires. A ses yeux, la saison est finie : "Il faut avoir en tête que lorsque l’on reprendra, il y aura des consignes sanitaires strictes. Le foot est en stand by pour plusieurs mois. Il faudra un an pour que le foot retourne rond, et peut-être qu’il ne tournera pas comme avant”. D’ici là, à défaut de mettre tout le monde d’accord, la FFF va devoir trancher, avant de sortir le porte monnaie. Le temps presse, et, si tout le foot amateur attend un cadeau de Noël Le Graët, il y aura des déçus.
Adrien Hémard, avec Michel Goldstein.
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