"Ce sont des réflexes à assimiler" : quand les mesures barrières refaçonnent le tennis en club
"Regardez, la marque, on ne la voit déjà presque plus", Robin tient une balle de tennis dans sa main cuivrée par le soleil de mai. La lettre "O" tatoue les poils jaunes et déjà hérissés de l'objet. Mais le bleu du marqueur s'est effacé au fil des quatre parties qu'il a jouées depuis la réouverture du club de Vervins (Aisne) le 11 mai dernier. "Il faudra la refaire bientôt, estime Robin. Ce n'est pas compliqué, tu prends ton tube de balles à la maison, un bon marqueur, et hop, tes quatre balles sont prêtes". Marquer et différencier les balles, les transmettre à son partenaire sans les toucher, nettoyer et désinfecter les bancs, le filet, la porte d'entrée : il a suffi d'une dizaine de jours pour que ces gestes barrières, exceptionnels depuis le début du déconfinement dans le monde du sport et, plus spécifiquement dans celui du tennis, ne deviennent, déjà un peu, une routine.
Les enfants et les cours collectifs, la grande inconnue
"Tiens, c'est la tienne", crie Cyril en balançant une balle de l'autre côté du terrain avec sa raquette. Autrefois, Cyril l'aurait certainement gardée, puisqu'il est au service. Désormais, c'est chacun ses balles. "Franchement, on s'y fait, ce n'est pas trop lourd comme procédé", assure-t-il, en reprenant difficilement son souffle après le dernier échange. Il a 23 ans, il est baraqué comme un tank, mais il admet n'avoir pas encore recouvré sa forme d'avant le confinement. "Là, depuis la reprise, on se concentre surtout sur les sensations, et le physique. Les mesures barrières, on s'y fait rapidement, et si c'est ce qu'il faut pour pouvoir retoucher à la raquette, franchement il n'y a aucun problème", dit-il avant de se relancer dans un échange.
Sur le terrain d'à côté, ça frappe plus fort encore. Robin et Thomas sont respectivement le joueur le mieux classé et l'entraîneur du club. "Pour les meilleurs, ceux qui jouent beaucoup, c'est assez facile à assimiler, estime "coach" Thomas. Pour les débutants en revanche, c'est une autre histoire". Le protocole nécessite effectivement une certaine maîtrise de sa propre raquette. Selon le document édité par la Fédération française de tennis et envoyé à tous les clubs affiliés de France, les joueurs doivent absolument éviter de toucher les balles au cours de la séance. Or, si ils ou elles ne savent pas tout faire avec leur raquette, la mesure peut très vite devenir compliquée à appliquer. "Quand je donne un cours, je dois aller ramasser toutes les balles moi-même, si l'élève ne sait pas le faire sans utiliser ses mains" explique Thomas.
Depuis le début du déconfinement, les enfants et les jeunes ne sont plus trop présents. Ils sont pourtant 80 sur 140 adhérents, soit plus de la moitié des effectifs. "Les gens ne se sont pas remis à vivre comme avant du jour au lendemain, il faut pas croire. Ils ont encore la trouille", lâche le président du club Jean-Claude De Ruyck sous sa casquette bleu délavée. Selon lui, tout s'est fait de manière "progressive". Si les premiers jours, les créneaux de pointe restaient en partie vacants, la dernière semaine a été "plus active". "Je crois que c'est aussi parce que les gens ont vu toutes les mesures à prendre et ça a pu les effrayer un peu", intervient alors Thomas, un brin agacé.
L'entraîneur est aux premières loges pour s'apercevoir que le tennis d'après ne ressemble en rien, pour le moment, au tennis d'avant. Jusqu'ici, il n'a eu que deux heures de cours à donner en dix jours. En temps normal, il cumule "entre 25 et 30 heures" sur une semaine. Est-ce seulement que les amateurs de tennis sont encore frileux pour une reprise du sport ? Pas vraiment, selon le président. "Les cours collectifs représentent 80% de notre chiffre d'affaire, et la quasi totalité des créneaux de Thomas", dit-il. "Là, on n'y a toujours pas droit." Si les annonces du Premier ministre ce jeudi ont concerné certains sports jusqu'ici encore confinés, les clubs de tennis ne savent pas encore si les règles en cours seront levées ou non. La Fédération française de tennis n'a pas encore communiqué sur la question.
"On est de la même famille, on prend les mêmes balles"
Au club de Guise dans l'Aisne, la problématique des cours collectifs est au moins aussi prégnante. Autorisé à ouvrir ses courts seulement depuis mardi, sur décision du maire, le club accueille seulement les adhérents en pratique libre, en simple. Et ils ne sont pas nombreux. "On fonctionne quasi-exclusivement autour des cours", explique Aurélien, moniteur au club. "Les samedis généralement, les courts sont occupés du matin au soir sans interruption. Le club ne revit pas encore vraiment". Sur les 140 euros que paient les adhérents à l'année, 50 sont dévolus aux leçons de tennis, soit 30 séances par an environ. "Ils vont en manquer à peu près 10", estime Aurélien. "On a beaucoup de demandes de remboursement. On réfléchit à la manière dont on pourrait faire un geste, mais ça risque d'être compliqué".
Au-delà de l'aspect financier, c'est l'ambiance du club qui pâtit de la non-reprise de l'école de tennis. Ce samedi, Patricia et sa fille Clara sont les seules à avoir réservé un créneau. "Je n'ai pas encore repris le travail, les créneaux sont libres, alors j'en profite", glisse la longiligne et pince-sans-rire Patricia, 59 ans. Comme elle joue avec sa fille, elle n'a même pas de précaution supplémentaire. "On est de la même famille, ça n'aurait pas trop de sens de différencier les balles ou de ne pas les toucher." Une fois leur partie terminée, Patricia et Clara quittent le club sans se changer - les vestiaires étant fermés dans tous les clubs à la demande de la Fédération. "A lundi Aurélien ! Tu as vu, j'ai déjà réservé !"
Une nouvelle manière d'habiter le terrain
Ce samedi, Aurélien est "de permanence coronavirus". Il est donc présent pour superviser le respect du protocole par les pratiquants. "Déjà, j'ouvre le club. Normalement, il est accessible toute la journée par les membres, grâce à un code. Mais on a décidé de tout fermer à clé, et de ne laisser entrer que ceux qui ont réservé préalablement." Il faut donc qu'Aurélien soit constamment présent. "Heureusement, j'habite juste en face" dit-il. Une fois à l'intérieur, les joueurs doivent remplir un formulaire de décharge d'intérêt, laver leurs mains au gel hydroalcoolique, et marquer leurs balles si ce n'est pas encore fait. "Ensuite, ce qui se passe sur le court, c'est leur responsabilité. Je peux jeter un œil de temps en temps, mais je ne vais pas non plus faire la police pour voir s'ils évitent bien de toucher les balles par exemple"
A Vervins, la circulation est plus intense, les séances s'enchaînent. Pour éviter qu'un potentiel virus ne se transmette d'une séance à l'autre, le départ des joueurs doit s'accompagner d'un certain nombre de précautions. "C'est ce qu'il y a de plus lourd finalement, plus que les balles encore", affirme Cyril. Avant de partir, les joueurs doivent s'assurer que tout le mobilier du terrain est correctement désinfecté. De la poignée de la porte d'entrée, aux bancs où ils se sont assis à chaque changement de côté, en passant par le haut du filet s'ils l'ont touché.
"C'est sûr qu'avec ça, les séances d'une heure ne vont plus durer une heure, mais cinquante minutes", estime le moniteur Thomas. Cyril, lui, relativise : "Après tout, c'est comme l'habitude qu'on a dû prendre de passer la raclette après nos matches sur terre battue, de balayer les lignes, d'arroser. Ce sont des réflexes à assimiler." Si les cours collectifs, ou les séances à l'intérieur ou en double, devraient progressivement être de nouveau autorisés, il n'est en effet pas certain que les gestes barrières à appliquer sur le terrain disparaissent de sitôt. "On devra sûrement s'y habituer sur le long terme", prévoit Thomas. "C'est sûr que ce sera pas très pratique. Mais s'il faut ça pour pouvoir jouer, on le fera, aussi longtemps qu'il le faut".
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