Ça s'est passé le 30 avril 1993 : Monica Seles poignardée par un spectateur
C’était un banal quart de finale à Hambourg. Un de ces matches de milieu d'après-midi, qu’on suit d’un oeil car on sait qu’il ne s’y passera pas grand chose. Que la numéro un mondiale, et nouvelle patronne du tennis mondial, sortira ses raquettes, jouera deux sets maîtrisés, se qualifiera en une heure, une heure trente maximum, puis rangera ses raquettes et filera en demi-finales. Sauf que, ce 30 avril 1993, ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Ce jour-là, il y a eu un cri dans le stade à demi-rempli, un poignard, un silence, des chuchotements, de nouveaux cris. Une joueuse effondrée. Une carrière gâchée. Une vie marquée.
Janvier 1993. Monica Seles est au firmament. Elle remporte son 3e Open d’Australie de suite, son 8e Grand Chelem en tout. Huit titres majeurs avant ses 20 ans : jamais avant elle le tennis n’avait connu de champion - ou championne - si précoce. A l'époque, tout le monde s'interroge : jusqu'où ira la Yougoslave ? Où s'arrêtera celle qui, à 19 ans, est déjà quasiment à mi-chemin des plus grands palmarès de l'histoire du tennis féminin - à l'époque - Martina Navratilova et Chris Evert (18 Grands Chelems chacune) ? Seles, elle, fonce tête baissée. Dans la foulée de son sacre à Chicago, elle atteint la finale au Zénith de Paris. Seule une mauvaise grippe arrêtera sa folle course en avant. Huit semaines de repos forcé. Elle fait son retour à Hambourg, épreuve où la championne yougoslave (elle ne sera naturalisée américaine qu'en 1994) s’inscrit à la hâte. Elle veut vite retrouver le terrain, la compétition, et l’exceptionnel chemin qu’elle s’est elle-même tracée ces derniers mois.
Et soudain, la comète s'est évanouie
En Allemagne, elle passe les tours sans broncher. En quarts de finale, elle retrouve Magdalena Maleeva, honnête et solide joueuse du Top 10, en constante progression ces derniers mois, mais à des années-lumières encore de la numéro un mondiale. C’est un quart classique, entre une Top joueuse et une adversaire solide, mais en-dessous. Pendant plus d’une heure, le match se déroule comme prévu : Monica Seles remporte le 1er set 6-4, et mène 4-3 dans le 2e set. Elle semble se diriger tranquillement vers les demies.
Mais quelques secondes après s’être assise au changement de côté, un homme surgit des travées. Devant leur écran, les télespectateurs n’y voient rien, la caméra étant braquée sur le public. Seul ce cri, déchirant, alerte sur une anomalie. Vient-il de Seles ? D’un spectateur horrifié ? De son adversaire Maleeva, qui restera pétrifiée dix minutes sur sa chaise, la tête entre les mains ? Les têtes se tournent. Sur leurs chaises, Monica Seles et Maleeva sont toujours là. Mais Seles se tient le dos. Son visage blêmit. Un peu plus loin, un homme est plaqué à terre. Il tient un couteau dans la main : il vient de le planter dans le dos de Monica Seles.
"Ce jour-là, on m'a tout enlevé. Mon innocence. Mon classement. Mes revenus. Mes responsabilités"
Des hommes se précipitent sur l’agresseur pour le mettre à terre. Monica Seles, elle, se tient l’arrière du dos et grimace. Elle se lève, puis, après quelques secondes, tourne de l’oeil, et s’effondre. Elle est immédiatement hospitalisée. Le coup de poignard était à deux doigts d'être fatal ; il aura manqué un ou deux centimètres. Son agresseur se nomme Gunter Parche, un homme de 38 ans, fan invétéré de la rivale de Seles, Steffi Graf. Il avouera avoir fait ce geste pour venger les défaites de son idole. On retrouvera, dans le grenier de sa tante, un autel en l'honneur de l'Allemande.
Son agresseur échappera à la prison
Physiquement, elle en sortira indemne, malgré plusieurs mois d'arrêt. Mais psychologiquement, c’est le gouffre. Son cauchemar s'obscurcit d'abord quand elle apprend, sur son lit d'hôpital, que son père, dont elle était très proche, a été diagnostiqué d'un cancer de l'estomac en phase terminale. Il avait manqué ses matches à Hambourg pour passer des tests. Dans les mois qui suivent, elle dit avoir l'impression que son agression "n'avait jamais eu lieu" tant la planète du tennis a continué à tourner sans elle. Le tournoi de Hambourg s'est poursuivi jusqu'à son terme. Steffi Graf, sa rivale, lui rend visite à l'hôpital "mais ça ne dure que deux minutes. On était rivales jusqu'au bout..." Les joueuses votent, à une quasi unanimité, pour que sa place de numéro un mondiale ne soit pas protégée pendant son absence. "J'avais l'impression que tout le monde profitait de mon agression...sauf moi", soupira-t-elle quelques années plus tard.
Quant à Gunter Prache, son agresseur, il la hantera pendant de nombreuses années. "Il y a eu procès sur procès, ça n'en finissait plus", se remémore la championne. L'homme finit par échapper à la prison car jugé instable psychologiquement. "J'ai grandi sur un terrain de tennis, c'était pour moi le lieu où je me sentais le plus en sécurité au monde. Et ce jour à Hambourg m'a tout enlevé. Mon innocence. Mon classement, mes revenus, mes responsabilités. Tout est parti en fumée"
Elle sombre dans une dépression de plusieurs mois et est frappée de troubles du comportement alimentaire. Au pire de sa forme, elle pèse 80 kilos. Elle reviendra bien sur les courts. Mais plus jamais, elle ne sera l’insatiable championne qu’elle avait pu être avant ce funeste jour d’avril. Elle remporte un nouveau Grand Chelem, l’Open d'Australie 1996. Mais laisse sa rivale Steffi Graf, celle qu’elle dominait aisément alors qu’elle n’était encore qu’une junior, s’envoler au panthéon du tennis féminin. Avant l'agression, elle avait gagné huit majeurs en l'espace de trois ans. Après, elle n'en a gagné qu'un en dix ans. Qui sait ce qu’aurait été Seles si ce banal deuxième tour du tournoi de Hambourg 1993 n’avait jamais existé ? Seles s'efforce de ne pas y penser : "J'ai toujours évité depuis ce jour -là de me dire "et si...?...Sinon, j'aurais sombré dans la folie depuis bien longtemps".
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