Bientôt repris par Mourad Boudjellal, pourquoi le SC Toulon n'est pas un club ordinaire
"C’était les plus belles années. Ça s’est mal terminé, on a payé les pots cassés, mais Courbis, il nous a fait rêver, c’est un grand monsieur. Son Toulon, c’était l’âge d’or pour nous", confie Gérard, 40 ans, ultra toulonnais. L’âge d’or dont il parle, c’est la décennie 1983-1993 pendant laquelle le SC Toulon a marqué de son empreinte la Ligue 1. Une performance d’autant plus remarquable que le club jouait chaque saison ou presque le maintien. Rien qui ne fasse de Toulon un club majeur, hormis quelques parcours en coupe de France, et la révélation David Ginola aux côtés de noms comme Delio Onnis, Laurent Paganelli ou Bernard Casoni. Et pourtant, ces dix années ont marqué le foot français.
Le rugby, un voisin encombrant
L’aventure toulonnaise démarre en 1983, quand le Sporting accède à la Division 1 qu’il n’a alors connue qu’en 1959-60 et 1964-65. Rolland Courbis est l’un des éléments forts de l’équipe promue en D1 : "Je suis arrivé l’été d’avant en provenance de Monaco, champion de France. Je voulais du temps de jeu, et j’ai toujours été attiré par Toulon", se souvient celui qui venait "une fois par mois" sur la Rade dans sa jeunesse, chez le parrain de sa sœur. "Ici, avant les adversaires de ton championnat, tu dois affronter le rugby local qui est très fort, avec des joueurs et des entraîneurs extraordinaires", explique Courbis, qui ajoute : "Au foot, ton objectif en D1 ça va être le maintien, alors que le voisin en rugby vise le titre". Pourtant, dans ces années 1980, c’est bien le ballon rond qui embrase la ville.
"On n’a jamais fait de grand parcours en vérité, mais on avait une grinta. On était le petit poucet qui chamboulait les gros, qui les faisait trembler, notamment l’OM. On était leur bête noire"
"On n’a jamais fait de grand parcours en vérité, mais on avait une grinta. On était le petit Poucet qui faisait trembler les gros, notamment l’OM. On était leur bête noire", se souvient Gérard, nostalgique. Pendant dix ans, Toulon réussit à se maintenir et même à accrocher une sixième place en 1984, et une cinquième en 1988. Ajoutez à cela des parcours en Coupe de France, notamment une demi-finale épique contre Monaco en 1984. Mais pas de quoi entrer dans la légende sportivement. A défaut de titres, c’est par son contexte et son jeu que le SC Toulon marque le foot français, avant de retrouver l’anonymat de la seconde division en 1993, miné par l’affaire de la caisse noire. Car pour offrir tant d’émotions à son public, le club a longtemps vécu au dessus de ses moyens, ce qui a façonné aussi un certain regard sur le SCT, vu comme un club de voyous. Toutefois, cette caricature, le Sporting ne la doit pas qu’à cette affaire de la caisse noire.
Toulon l’agressive, l’excessive
Si Toulon a marqué la mémoire collective, c’est parce que personne ne quittait la Rade indemne. Les joueurs adverses, d’abord, étaient confrontés à une équipe très rugueuse, qui abordait les matches le couteau entre les dents. "On avait une certaine solidité, une agressivité pour impressionner l’adversaire, le faire disjoncter. Il y a des matchs qu’on pouvait gagner avant même de les commencer, par certaines intimidations dans le couloir", reconnaît Rolland Courbis, devenu entraîneur du SCT en 1986. Il poursuit : "On avait pour stratégie de mettre les choses au point d’entrée, et de profiter du fait que lorsque l'on fait une faute en tout début de match, en général, on ne reçoit pas de carton jaune. Je ne vous fais pas un dessin. On pouvait faire certaines interventions qu’on ne peut plus imaginer aujourd’hui".
"Il y a des matchs qu’on pouvait gagner avant même de les commencer, par certaines intimidations dans le couloir"
Rugueux et composé de joueurs revanchards, souvent sudistes, le Toulon des années 1980 a tout de l’équipe qu’on ne veut pas affronter. D’autant que les hommes de Courbis sont habités par une ambition commune, confortée par des liens solides. "Je voulais une équipe d’amis. Pour cela, c’était indispensable de partir en stage, de jouer aux cartes, de sortir boire des coups, de payer l’apéro à tour de rôle", explique-t-il, marqué par un stage au Touquet en 1977 avec Monaco : "L’entraîneur Lucien Leduc fermait les yeux pour qu’on sorte s’amuser, qu’on crée des liens. Cette année-là, je me languissais au réveil de retrouver les copains pour le café et l’entraînement. Et on a fini champions". Pour cela, le tout jeune entraîneur mise notamment sur une préparation estivale plus longue, et pas que pour le physique. Les villes dotées de casino sont ainsi visées en début d'été. "Quand je dis aux joueurs 'Celui qui rentre avant minuit et demi, il a une amende', ça ne s’est passé qu’une ou deux fois, pour déconner. Aujourd’hui c’est fantasmé, on dirait que tous les soirs on avait l’obligation de sortir. C’est des trucs un peu romancés. Oui, ça s’est passé, mais sur un stage de 12 jours, ça arrivait quoi, 2 fois ?”, relativise Courbis.
Un port volcanique
Et ce genre d’anecdote, le Toulon de Courbis en regorge, notamment lorsqu’il s’agissait de malmener l’adversaire en dehors du terrain. Ballons mal gonflés pour l’échauffement, eau froide dans les douches l’hiver, vestiaires chauffés l’été ou encore le classique de la pelouse volontairement non tondue : tout y passait. "C’est un peu vrai et un peu fantasmé", se marre aujourd’hui Courbis, "Qu’il puisse y avoir 2-3 personnes qui intimidaient, insultaient, menaçaient et des regards méchants dans le couloir : oui ça existait. Qu’il puisse y avoir un vestiaire chaud l’été, qu’on ait oublié de mettre le chauffage l’hiver, oui, c’est arrivé mais Toulon ne l’avait pas inventé, et on n’était pas le seul club à faire cela. C’était le folklore local, et ça faisait partie de la préparation des matches”. Comme Nîmes, Ajaccio ou Bastia, Toulon fait alors partie des endroits où il est difficile de gagner. Et ce, peu importe le stade.
En effet, dans ses années glorieuses, le SC Toulon quittait parfois son antre de Bon Rencontre pour le temple du rugby toulonnais : Mayol. "Quand on avait une équipe capable de faire mieux que de se maintenir, on allait jouer à Mayol. Quand c’était très serré et juste pour jouer notre maintien, alors c’était mieux de jouer à Bon Rencontre", raconte Courbis, qui assure que ce stade, plus petit, était "plus impressionnant, intimidant et inquiétant pour les adversaires". Mais dans l’un comme dans l’autre, le Sporting pouvait s’appuyer sur un public tout aussi bouillant que ses joueurs.
"Quand on allait à Toulon au début, après notre remontée en 1984, c’était dur. On était ‘bien reçus’, parfois bombardés de boules de pétanques. Et à Marseille, ils étaient reçus aussi".
"Toulon est une ville rebelle en manque de reconnaissance", résume Benjamin, membre des Ultra Fedelissimi de Toulon. Gérard enchaîne : "C’est spécial, je ne sais pas comment l’expliquer, il faut le vivre. On est une ville côtière, mais ouvrière". Et comme beaucoup de villes ouvrières, on y trouve un public très chaud. "Il y a le passionné de rugby, le passionné de football, mais aussi le passionné des deux : le Toulonnais aime voir sa ville performer, et ça s’entend", résume Courbis. Fidèles du SCT depuis trente ans, Gérard poursuit : "Dans les tribunes comme sur la pelouse, c’était bouillant. Entre les joueurs et nous, il y avait une union sacrée. Le public toulonnais est spécial". Benjamin ponctue : "On ne lâche rien ici, jamais".
Cette ambiance volcanique atteint des sommets lors des matches contre les cadors de l’époque (Monaco, Bordeaux), mais surtout contre Marseille, lors de derbys incandescents. "C’était magique, l’une des plus fortes rivalités de France", assure Gérard. "Quand on allait à Toulon au début, après notre remontée en 1984, c’était dur", reconnaît un membre fondateur du Commando Ultra de Marseille. Il poursuit : "La proximité géographique, leur équipe rugueuse avec des grandes gueules, et l’essor du mouvement Ultra à Marseille en ont fait des confrontations hautes en couleurs, en passion et en tension. On était ‘bien reçus’, parfois bombardés de boules de pétanques. Et à Marseille, ils étaient reçus aussi". Dans un remake azuréen du David toulonnais contre le Goliath Marseillais, les derbys embrasent les bords de la Méditerranée, jusqu’à ce que l’OM de Tapie ne prenne son envol alors que le Toulon de Courbis sombre, au début des années 1990.
Et le foot, dans tout ça ?
Souvent résumé à son équipe rugueuse et son contexte bouillant, le SC Toulon des années 1980 était aussi une équipe novatrice, sous les ordres de Rolland Courbis. Pressing agressif, latéraux très hauts, ailiers en faux pied ou encore marquage en zone : les Rascasses ont fait figure de précurseurs dans divers domaines. "On était en avance sur mal de choses, et ça les joueurs m’en parlent souvent. Ce n’est pas de la prétention, c’est la vérité et j’en suis très fier. J’avais aussi rencontré de grands entraîneurs de l’époque pour m’inspirer, comme Lippi ou Goethals, pour leur piquer des trucs", raconte le coach, très fier de voir plusieurs de ses anciens joueurs être devenus à leur tour entraîneurs.
Ces innovations dans le jeu ont été portées par d’autres, et aujourd’hui l’héritage de Toulon reste plus marqué par son folklore que par son jeu. "Avec le plus petit budget du championnat ou presque, on a réussi à se maintenir dix ans", savoure Courbis. Le budget, c’est justement ce qui coulera le club de la Rade, quand une caisse noire sera mise en place pour pouvoir attirer des joueurs de renom comme Casoni, Pardo et Olmeta. Relégué administrativement en seconde division en 1993 suite à cette affaire, Toulon dépose le bilan en 1998. Vingt-deux ans plus tard, le Sporting s’apprête à démarrer la saison en quatrième division, sans jamais avoir retrouvé son lustre d’antan. "Je vis une nostalgie que je n’ai même pas connue. Quand je vois des archives de Toulon-Monaco, Toulon-Bordeaux, Toulon-Marseille : je me dis que c’est de la science fiction", déplore Benjamin. Ça tombe bien, la science-fiction, Mourad Boudjellal, le nouveau président du SCT, la connaît bien en tant qu’ancien éditeur de bande-dessinée.
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