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Même s'il n'a duré que 24h, le boycott des joueurs de NBA était un message retentissant

Les joueurs de la NBA ont décidé de reprendre les Play-offs, après avoir menacé de mettre un terme à la saison pour protester contre les violences policières faites aux Noirs-Américains. Si ce revirement peut ressembler à un recul, les dernières 24 heures ont montré que leur mouvement n'aura, en aucun cas, été vain.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
  (POOL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Rarement aura-t-on vu l'ensemble des sports américains les yeux rivés sur la NBA, comme cela a été le cas ce jeudi. Après le forfait de Milwaukee pour son match 5 face à Orlando dans la nuit de mercredi à jeudi, suivi par l'ensemble des équipes programmées, les joueurs se sont réunis dans l'après-midi (le lendemain matin, aux Etats-Unis) avec les dirigeants pour décider du sort du reste de la saison. Des informations avaient fuité quelques heures plus tôt indiquant que les Lakers et les Clippers, les deux grands favoris pour le titre, étaient tous les deux favorables à un arrêt total de la saison et des Play-offs, en protestation des violences policières commises à l'égard de la communauté noire-américaine. Parmi les leaders d'opinion, LeBron James lui-même. Autant dire que les chances de voir la NBA connaître le plus grand coup d'arrêt de son histoire n'étaient pas minces. 

Pourtant, les joueurs ont décidé de mettre fin à leur boycott. Les Play-offs reprendront bel et bien, ce vendredi ou au plus tard ce week-end. Trois heures de pure folie, pendant lesquelles la MLB ou la NFL ont en partie emboîté le pas aux basketteurs, tout comme Naomi Osaka au tennis. Trois heures où le parfum d'une révolution sans précédent a conquis l'atmosphère des parquets d'Orlando. Et puis, plus rien. Que s'est-il passé entretemps, et que se sont dits les joueurs et les dirigeants de la NBA dans cette réunion ? Les informations viendront certainement dans les jours qui suivent. Une chose est certaine : il ne s'agit pas d'un "retour à la case départ", tel que le clament déjà les oiseaux de mauvais augure sur les réseaux sociaux. Même s'il n'aura duré que 24 heures, cet épisode restera dans l'histoire du sport américain. 

Une première depuis Martin Luther King

Les annulations de match pour raison politique n'arrivent pas tous les jours en NBA, même si la Ligue aime à se montrer ouverte et progressiste depuis quelques années. La dernière fois qu'un tel boycott avait abouti, c'était en 1968. Après la mort de Martin Luther King. Le parallélisme entre les circonstances et l'atmosphère incertaine des deux épisodes est frappant, et montre à quel point la journée d'hier pourrait rester dans les mémoires. Car en 1968, il y avait eu des réactions sceptiques à la demande des joueurs noirs d'annuler les matchs, comme Bailey Howell, joueur des Celtics, s'insurgeant : "Pourquoi annuler ? Quel était le titre de King?" ou encore Chet Walker, joueur des Sixers, dénonçant une "mascarade".

En 1968, les matchs 2 avaient aussi été reportés...avant d'être joués quelques jours plus tard, après le deuil national décrété par Lyndon Johnson. A l'époque, la NBA était encore un championnat très conservateur, et n'avait concédé ce report que sous la pression du deuil national. En 2020, si l'institution a cédé aux joueurs même pendant 24h, c'est que ces derniers ont acquis un pouvoir suffisant pour risquer un tel geste. Surtout, ils ont pris conscience du degré d'influence que pouvait avoir leur position, en tant que sportif ultra-médiatisé. Et ont ouvert la porte à d'autres athlètes.

Un boycott suivi, un précédent indéniable 

Car, par-dessus tout, en refusant de jouer ce match 5, les joueurs des Milwaukee Bucks ont créé un précédent. Leur boycott a été suivi. Soutenu. Inspirant des sportifs américains qui, jusqu'ici, hésitaient à franchir le pas. Naomi Osaka, la timide joueuse américaine, se serait-elle permise de se retirer (même 24h) du tournoi de Cincinnati sans le geste des Bucks ? En quelques heures, le mouvement  a gagné d'autres équipes NBA, puis la MLS (football) et la MLB (baseball), avant de toucher la NFL Plusieurs équipes de football américain ont annulé leur entraînement, alors même que la nouvelle de la reprise des Play-Offs avait déjà fuité. N'est-ce pas une preuve que le geste des Bucks et de leurs collègues survivra bien au-delà de la reprise du championnat ? Même les propriétaires de franchise se sont montrés : Jeanie Buss (Lakers) ou Micky Arison (Heat) n'ont pas hésité à affirmer leur soutien au boycott. 

Le président Trump a d'ailleurs, mieux que personne, trouvé les mots qu'il fallait - sans le vouloir : "La NBA est devenue une organisation politique". Cela ne s'est pas fait en une soirée. La NBA prend cette direction depuis plusieurs années maintenant. Mais l'engagement politique des joueurs n'était jamais apparu d'une manière aussi éclatante. Dans un article édifiant, un journaliste d'ESPN raconte les coulisses de l'après-boycott des Bucks et y démontre à la fois la sincérité du geste et la façon dont il a été pris au sérieux par les acteurs politiques locaux. Le gouverneur du Wisconsin Mandela Barnes a joint les joueurs lors d'une conférence Zoom. Ils l'ont assailli de questions sur les circonstances de l'arrestation de Blake, avant de lui demander ce qu'ils pouvaient faire, concrètement, pour changer les choses. "Ils voulaient quelque chose de tangible à faire à court et à long terme. Pour eux, le boycott n'était que la première étape". 

Qu'un tel mouvement spontané, qu'une telle volonté d'agir vite, là, maintenant, qu'une telle conscience de leur pouvoir de briser, de chambouler, de rebâtir, aboutisse à un simple retour à la normale n'est pas concevable. Il y aura des traces. Qu'importe finalement, que deux jours plus tard, les matchs reprennent, que les play-offs aillent à leur terme, que le champion soit couronné. Personne ne pourra faire fi de ce 26 août 2020. 

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