Enes Kanter, le joueur turc de NBA et militant pour les droits de l’homme au profil controversé
L'actuel pivot des Celtics de Boston a dénoncé à de nombreuses reprises les violations de la Chine en matière de droits de l'homme.
Il est celui qui n'a pas peur d'affronter les plus grands dirigeants de ce monde. Enes Kanter, joueur turc des Celtics de Boston en NBA, critique depuis plusieurs années les régimes autoritaires turc et chinois. Dans son collimateur, les dirigeants de ces pays, Recep Tayyip Erdoğan et Xi Jingping, et leurs violations des droits de l'homme dans leur pays.
Des critiques qu'il a accentué depuis plusieurs semaines, dont la dernière en date lundi 15 novembre. Alors qu'une rencontre entre Xi Jinping et Joe Biden est prévue lundi, Kanter s'est fendu d'un tweet virulent destiné à apostropher le "Président" Joe Biden et le "Dictateur" Xi Jinping. "Arrêtez de jouer à des jeux avec des intimidateurs et faites ce que vous avez promis au monde ! Priorité aux droits humains !", a-t-il tancé, concluant son message d'un ton caustique : "Est-ce que Joe Biden posera des questions sur le génocide des Ouïghours, les agressions contre les Tibétains et Hong-Kong ? Ou vont-ils se taper dans le dos ?"
President @JoeBiden & Dictator
— Enes Kanter (@EnesKanter) November 14, 2021
Xi Jinping are scheduled to speak@POTUS
Stop playing games with bullies &
do what you promised to the world!
Prioritize Human Rights!
Will @JoeBiden ask about Uyghur Genocide or assault on Tibetans & HK?
Or will they pat each other on the back? pic.twitter.com/kKwVNmb9ce
Erdogan et la Chine dans son viseur
Depuis 2016, Enes Kanter multiplie les prises de position contre Erdoğan, les violations du pouvoir turc en matière de droits de l'homme. Le basketteur est d'ailleurs violent dans ses propos en comparant en 2017 le président turc, dirigeant du parti islamo-conservateur (AKP), au "le Hitler de notre siècle". En 2020, il a aussi signé une tribune dans le Boston Globe dénonçant les "dizaines de milliers de personnes innocentes enfermées dans les prisons turques, payant le prix du mépris du président Recep Tayyip Erdoğan pour les droits humains".
Hitler & Erdogan ⤵️
— Enes Kanter (@EnesKanter) August 13, 2017
(The Turkish President)
pic.twitter.com/HrDUVtmdtO
Plus récemment, le joueur a dénoncé les violations des droits de l'homme en Chine, en portant la voix des minorités. Il s'est ainsi opposé au président chinois Xi Jingping sur la répression des Ouïghours, ou la politique menée à Hong-Kong et au Tibet. "Cher dictateur brutal XI JINPING et le gouvernement chinois. Le Tibet appartient au peuple tibétain !", a écrit le 21 octobre dernier Kanter sur les réseaux sociaux. "Je suis aux côtés de mes frères et soeurs tibétains, et je soutiens leurs appels à la Liberté." Une prise de position qui rejoint les défenseurs des droits humains et les exilés tibétains, qui affirment notamment que le gouvernement central chinois y pratique la répression religieuse, la torture, la stérilisation forcée et l'érosion culturelle par la rééducation forcée.
More than 150 Tibetan people have burned themselves alive!! — hoping that such an act would raise more awareness about Tibet.
— Enes Kanter (@EnesKanter) October 20, 2021
I stand with my Tibetan brothers and sisters, and I support their calls for Freedom.#FreeTibet #FreedomShoes pic.twitter.com/MKxfs1l7GA
L'une des dernières prises de position du basketteur date du 10 novembre, et porte cette fois sur Taiwan. "Taiwan ne se rendra jamais au MAUVAIS parti communiste chinois. Taïwan est un pays DEMOCRATIQUE et LIBRE", a-t-il encore dénoncé sur Twitter.
Taiwan will never surrender to the EVIL Chinese Communist Party.
— Enes Kanter (@EnesKanter) November 10, 2021
Taiwan is a DEMOCRATIC and FREE country.
I #StandWithTaiwan
The future of Taiwan must be determined by the Taiwanese people.
Taiwan is NOT a part of China
and NEVER will be! #IslandOfResilience#FreedomShoes pic.twitter.com/3yxWnfbWLK
Les raisons mystérieuses de son engagement
Chacune de ses prises de position est suivie de plusieurs publications sur ses réseaux sociaux. En guise d'illustration, il associe ses propos à des photos de ses baskets, dont la customisation s'adapte en fonction de ses combats. "Kanter est le plus visible et médiatique des joueurs turcs, et celui qui va le plus loin en défiant les gouvernements. Et il le fait avec une position assez étonnante, en utilisant la plateforme de la NBA pour viser des pays extérieurs. On n'a pas ce profil là en Europe en général, de joueurs expatriés qui viennent donner des leçons", note Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sport, auteur de Géopolitique du sport : une autre explication du monde (Ed. Bréal). La NBA soutient d'ailleurs (plus ou moins ouvertement) son joueur, comme elle l'avait fait lorsque Daryl Morey, ancien joueur de la ligue, avait pris position sur Hong Kong en 2019.
Alors, pourquoi une telle prise de position ? Le mystère reste entier. "Il sait ce que veut dire être oppressé. Il a été menacé physiquement par la diaspora turque. Il est donc peut-être passé d'un joueur qui parle de sa condition à un porte-voix des sans voix. Il peut aussi préparer sa reconversion", énumère le spécialiste en géopolitique du sport, Jean-Baptiste Guégan.
"Il apporte son soutien à une minorité persécutée, et il en profite aussi pour mettre un taquet à Erdogan, qui a apporté son soutien aux Ouïghours, mais qui a adouci son discours depuis que la Chine a des intérêts économiques et financiers en Turquie", ajoute Pierre Raffard, géographe, spécialiste de la Turquie et enseignant à l'Institut libre des relations internationales et des sciences politiques (ILERI). Contacté par franceinfo: sport, Enes Kanter n'a pas souhaité répondre à nos questions.
"Un vrai espoir du basket turc"
A 29 ans, Enes Kanter évolue depuis une dizaine d'années en NBA. L’actuel pivot des Celtics de Boston, est aussi passé par le Jazz de l'Utah, le Thunder d'Oklahoma City ou les Knicks de New York. "Il était un vrai espoir du basket turc, même s'il n'a pas beaucoup joué en Turquie. Quand il a commencé sa carrière aux Etats-Unis, il était comme tous ces sportifs turcs qui réussissent à l'étranger, c'était devenu un symbole", développe Pierre Raffard.
En dehors des parquets, Enes Kanter est aussi un partisan assumé de la confrérie de l'imam Fethullah Gülen, celle-là même qui est accusée par le gouvernement turc d’avoir orchestré le coup d'Etat manqué contre le président Erdoğan en juillet 2016. Le père d'Enes Kanter, l'universitaire Mehmet Kanter, est lui aussi un fervent défenseur de ce mouvement. Ankara le considère même, depuis l'attentat manqué de 2016, comme un terroriste. Il a d'ailleurs été emprisonné pour ce motif.
Même après 2016, Kanter n'a jamais caché ses liens avec Gülen et la confrérie musulmane. Pour son soutien public à ce mouvement, Kanter, qui est toujours sous le coup de neuf mandats d'arrêt, a déclaré éviter les contacts avec ses proches, toujours en Turquie, de peur de les exposer à des représailles des autorités. De plus, son passeport lui a été confisqué.
Un profil plus complexe qu'il n'y paraît
Mais le coup d'état de 2016 a changé la donne, et le symbole s'est rapidement transformé un ennemi en Turquie. "Aux Etats-Unis, Enes Kanter est perçu comme un défenseur des droits de l'homme, qui défend la démocratie en Turquie, et dénonce l'autocratie du président Recep Tayyip Erdoğan, analyse Dağhan Irak, maître de conférences en médias et communication à l'Université d'Huddersfield (situé à l'ouest de Manchester), spécialisé en communication politique et la relation entre le sport et la politique. Mais en Turquie, il est vu comme un fanatique du culte extrémiste de Gülen, qui était un ancien allié d'Erdoğan."
Et c'est justement ces liens passés qui interpellent et que critiquent Dağhan Irak. "Les Turcs, qu'ils soient pro ou anti-Erdoğan, sont bien au courant que le groupe de Gülen n'était pas vraiment différent de l'autocratie de M. Erdoğan, parce qu'ils partageaient le même régime, jusqu'à leur divergence politique et financière en 2013-2014."
"Ses prises de position sont hypocrites, abonde Dağhan Irak, qui a quitté la Turquie vers 2013-2014 pour rejoindre l'ouest de l'Europe. Les violations des droits de l'homme que dénoncent Kanter étaient déjà menées quand Gülen et Erdoğan étaient alliés."
"Quand ils faisaient partie de la même alliance, ils avaient la même pratique autocratique, et ni Gulen ni Kanter critiquaient pour cela Erdogan."
Dağhan Irak, maître de conférences à l'Université d'Huddersfieldà franceinfo: sport
La Chine silencieuse face aux attaques
Malgré les nombreuses attaques, la Chine n'a pas répondu aux attaques d'Enes Kanter. Bien que les matchs des Celtics de Boston ont été temporairement suspendus, ces mesures de rétorsion, dont elle est coutumière, semblent être mesurées. "Les Chinois ne veulent pas provoquer ou braquer les Américains à trois mois des Jeux de Pékin et risquer un boycott. Ils préfèrent donc accepter les critiques de Kanter, d'un joueur turc, second couteau de la NBA et moins visible que Daryl Morey par exemple, plutôt que de l'attaquer frontalement en guise de réponse, et en mettant eux-même sur la table les accusations liées des Ouïghours, Taiwan etc..", analyse Jean-Basptise-Guégan.
"On verra à l'approche des JO, s'il continue ses prises de position, jusqu'où Kanter peut être un facteur d'incident diplomatique ou pas."
Jean-Baptiste Guéganà franceinfo: sport
Par ailleurs, la Chine a un besoin important de divertissement et la NBA est l'une des ligues les plus suivies. Les Chinois ont toutefois "complètement blacklisté les prises de position de Kanter, et ont mobilisé leurs divers réseaux d'influence pour décrédibiliser Kanter dans les médias et sur les réseaux sociaux", poursuit le spécialiste en géopolitique du sport.
Une stratégie utilisée aussi en Turquie où la presse locale l'a totalement blacklisté. "Depuis un an et demi, deux ans, on ne parle plus de lui dans la presse turque, que ce soit la presse du pouvoir ou de l'opposition", constate le géographe spécialiste de la Turquie, Pierre Raffard. Et dans les quelques articles qui paraissent sur lui, notamment dans la presse conservatrice et pro-gouvernementale, il est toujours appelé le 'terroriste Kanter'". De plus, s'il est vu comme un défenseur des droits de l'homme aux Etats-Unis, son image est tout autre au sein de la société turque. "Il est seul, conclut Pierre Raffard. Les partisans d'Erdoğan le critiquent, tout comme les opposants à Erdoğan, qui sont aussi les opposants gülenistes. Il n'a donc le soutien de personne en Turquie."
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