Cet article date de plus de cinq ans.

Mondial de basket : pourquoi avoir des joueurs NBA n'est pas toujours la panacée pour l'équipe de France

Dans le sillage de Tony Parker, les Français se sont fait une place aux Etats-Unis, dans le meilleur championnat du monde. Mais ce n'est pas une garantie de succès pour les Bleus, notamment parce qu'on y joue un basket assez différent.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Nicolas Batum (Charlotte Hornets), Evan Fournier (Orlando Magic) et Rudy Gobert (Utah Jazz) (de gauche à droite) sur le banc de l'équipe de France lors d'un match de préparation contre l'Argentine, le 17 août 2019 à Villeurbanne (Rhône). (ROMAIN BIARD / AFP)

La France avait-elle besoin de Tony Parker et Boris Diaw pour exister dans le basket mondial ? Les Bleus tenteront de prouver que non lors de la Coupe du monde organisée en Chine, où ils entrent en lice dimanche 1er septembre face à l'Allemagne. Les deux anciennes stars de la NBA ont pris leur retraite, laissant orpheline une équipe de France qui reste sur un échec en 8e de finale à l'Euro 2017. Un coup d'œil aux joueurs sélectionnés peut rassurer : ils sont cinq sur 12 à évoluer aux Etats-Unis, dans le championnat le plus relevé du monde. Dont des titulaires indiscutables – Rudy Gobert, Evan Fournier et Nicolas Batum – et un jeune espoir de 21 ans, Franck Ntilikina, à l'avenir annoncé comme radieux.

Depuis que la France envoie des joueurs outre-Atlantique, un mouvement qui date du début des années 2000, elle s'est construit un palmarès inédit, dont un titre de championne d'Europe en 2013. Mais se reposer sur des transfuges de la toute puissante ligue américaine n'est pas la garantie du succès. En préparation, les Bleus se sont fait bouger par le Monténégro (80-72), qui ne compte qu'un seul joueur évoluant en NBA. Entre les internationaux bloqués aux Etats-Unis, ceux qui ne viennent en sélection que par intermittence et ceux qui peinent à s'adapter au style et aux règles différentes du basket international, il existe un revers de la médaille, que nous racontent deux anciens sélectionneurs, Claude Bergeaud et Michel Gomez.

Le "sketch" des exigences des clubs NBA

Avant de voir ce qu'ils valent sur un parquet, il faut déjà pouvoir sélectionner les joueurs en question. Si, dans d'autres sports comme le foot ou le rugby, les sélections sont reines, au basket, ce sont la NBA et ses franchises qui décident, au nom d'un principe élémentaire : ce sont les Américains qui payent leurs impressionnants salaires. A Charlotte et Utah, Nicolas Batum et Rudy Gobert émargent à plus de 20 millions d'euros par an. A ce prix-là, pourquoi laisser son joueur risquer une blessure pour défendre son pays ? Claude Bergeaud, entraîneur des Bleus de 2003 à 2007, a assisté aux débuts de ce système : "On était en pleine découverte du fait qu'il faille payer des assurances pour les joueurs." A la fédération d'ouvrir son portefeuille pour couvrir le risque d'un manque à gagner pour les clubs. "A l'époque, on ne trouvait pas les compagnies pour assurer nos joueurs", se souvient-il.

Tony Parker, Boris Diaw et Florent Piétrus avec le sélectionneur de l'équipe de France Claude Bergeaud lors d'un match de la France contre la Russie à Paris, le 19 août 2007. Boris Diaw est l'un des joueurs pour lesquels les négociations avec les clubs de NBA étaient les plus compliquées. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Son successeur chez les Bleus, Michel Gomez, a occupé le poste de 1993 à 1995 puis de 2008 à 2009. Durant cette dernière période, il a dû se passer de Boris Diaw pour un tournoi de qualifications pour l'Euro 2009 : "La fédération avait déboursé 500 000 dollars de complément d'assurance l'année précédente. Les partenaires n'ont pas voulu remettre au pot cette fois-là." D'autres avaient décliné sur les conseils de leurs agents, qui leur avaient fait comprendre qu'ils devaient se faire bien voir de leurs clubs. Un autre joueur NBA, Yakhouba Diawara, avait rejoint les Bleus mais a dû rester sur la touche tant que son dossier n'était pas réglé. "Un sketch" dont le coach rit encore.

On joue le dernier match de préparation, il reste dix minutes, et là le directeur sportif de l'équipe de France me tape sur l'épaule et me dit : 'C'est bon, Diawara peut jouer'. Il est entré, il a pris le dernier shoot du match. Sa préparation, c'était dix minutes de jeu.

Michel Gomez, sélectionneur de l'équipe de France entre 2008 et 2009

à franceinfo

Pas question de transiger avec les règles : "Ce n'est même pas envisageable. Si cela arrivait, on risquerait un procès monstrueux", explique à franceinfo le manager général des Bleus, Patrick Beesley, qui, depuis 2011, s'occupe des relations entre l'équipe de France et les clubs de NBA – un rôle dont l'existence même en dit long. Lui assure que faire venir les joueurs évoluant aux Etats-Unis est "plus facile depuis deux ans", avec la conclusion d'un accord simplifiant la gestion des assurances. Les franchises américaines ont aussi fini par comprendre "l'intérêt de laisser leurs joueurs venir en équipe nationale", du moins pour les grandes compétitions estivales, qui font office de belles vitrines tout en préparant les joueurs à la saison à venir. Cela n'empêche pas que cette année, Franck Ntilikina n'a pas pu toucher un ballon pendant plusieurs jours, à cause d'une blessure récente et d'une autorisation de son club qui tardait à venir. "Je pense que les Knicks [de New York] ont un peu traîné les pieds", a expliqué Patrick Beesley au Figaro.

Deux styles de jeu différents

Et cette relative bonne volonté ne vaut que pour les grandes compétitions estivales. L'équipe de France qui a décroché son billet pour le Mondial 2019 n'était composée que de joueurs qui n'évoluent ni en NBA ni dans l'élite des clubs européens. Mais ils regarderont presque tous cette Coupe du monde de leur canapé. La situation est cruelle, reconnaît Claude Bergeaud : "Ces mecs s'arrachent, et à la fin on leur dit 'merci, et au revoir'", pour laisser la place aux meilleurs.

Le manque de disponibilité des Français jouant en NBA complique aussi le travail du coach. Michel Gomez, très attaché à la notion de cohérence et de cohésion de son équipe, a mal vécu de devoir tout changer quand, après un mois de préparation et à une semaine d'un tournoi de qualification, un joueur important évoluant aux Etats-Unis a finalement décidé d'y participer, après avoir refusé. "Vous imaginez, vous, journaliste, travailler un mois sur un article, arriver à la conclusion de votre papier, et là on vous dit qu'il faut changer de thème. C'est ce qui nous est arrivé avec cette équipe. Tout ce qu'on avait fait est tombé à l'eau", juge l'entraîneur, qui a pensé à jeter l'éponge. Sur le terrain, le joueur en question a certes marqué beaucoup de points, mais l'équipe a perdu ses matchs de qualification, scellant le sort de Michel Gomez.

Claude Bergeaud, lui, a surtout souffert des différences entre le basket pratiqué en NBA et celui du reste du monde. Dans la ligue américaine, par exemple, la ligne au-delà de laquelle un panier vaut 3 points n'est pas placée au même endroit ; les joueurs n'ont pas le droit de rester plus de trois secondes dans la "raquette", la zone située juste devant le panier ; les arbitres ne sifflent pas toujours sur les mêmes situations ; finalement, le style de jeu en NBA est plus spectaculaire mais moins collectif.

Quand des joueurs font 82 matchs par an avec un autre style de jeu, c'est difficile de changer.

Claude Bergeaud, sélectionneur des Bleus entre 2003 et 2007

à franceinfo

A l'entraînement, il faut "multiplier les situations de jeu" pour les réhabituer. "Tony Parker me disait : 'Claude, quand je rentre dans la raquette, qui reste très dégagée en NBA, je ne vois rien. Aux Etats-Unis, c'est lumineux'. Là, il était entouré d'une forêt de bras." Le meneur des Bleus devait aussi se réhabituer à être pris par deux défenseurs adverses, une situation rare aux Etats-Unis.

"En NBA, si je fais ça, je finis sur le banc"

Parfois, leurs habitudes américaines les rattrapent pendant les matchs. Michel Gomez a encore en travers de la gorge une séquence d'un match décisif perdu contre la Turquie. Yakhouba Diawara fait un "écran" sur un joueur adverse, lui bloquant le passage pour l'empêcher de défendre sur un coéquipier, mais laissant libre un autre joueur adverse. Une action classique en NBA, mais "que je ne demande jamais à mes joueurs", explique le coach. "On menait de deux points, et sur l'action qui suit, on prend un panier à 3 points parce que son joueur a été libéré." Les réflexes américains ont pris le dessus.

Certaines habitudes de jeu sont d'autant plus ancrées que certains joueurs sont cantonnés par leurs clubs à un rôle extrêmement précis. "J'ai pu faire un seul entraînement avec Joakim Noah, se souvient Michel Gomez. Je l'ai fait travailler en pivot, il m'a fait des moves superbes. Je lui ai demandé pourquoi il ne faisait pas la même chose en NBA. Il m'a dit : 'en NBA, si je fais ça, je finis sur le banc. Mon contrat, c'est défendre et prendre des rebonds'." Leur grand talent permet à certains joueurs, comme Joakim Noah, de passer d'un rôle à un autre, une fois en équipe de France, estime Claude Bergeaud. Mais d'autres ont pu voir leur carrière en bleu bridée à cause de ce qu'ils avaient appris aux Etats-Unis.

En quête d'un pivot de grande taille, l'ancien sélectionneur avait ainsi lancé Johan Petro, 2,13 m. "Mais il s'est avéré labellisé NBA dans son style de jeu, regrette-t-il, s'écartant beaucoup de la raquette (...) et ayant du mal avec la mobilité permanente en défense" que l'on attend dans le basket international. Petro a finalement fait une longue carrière américaine. Mais il "est parti [d'Europe] vraiment trop tôt", à 19 ans, juge Claude Bergeaud, du moins trop tôt pour réussir en sélection. Aujourd'hui, l'entraîneur espère que la France n'aura pas les mêmes regrets au sujet de Franck Ntilikina, le prometteur meneur des Bleus, drafté au même âge par New York, et qui a peu joué en deux ans.

Franck Nitilikina pose avec le maillot de son équipe, les New York Knicks, le 23 juin 2017, soir de la "draft", sélection des meilleurs jeunes joueurs par les clubs américains. Nitilikina a été séléctionné en 8e position, un record pour un Français. (USA TODAY SPORTS / REUTERS)

"En France, le basket, c'était la NBA"

Claude Bergeaud n'a donc pas connu que des réussites avec les joueurs de NBA. Pourtant, il explique avoir "pris de plein fouet" les critiques de ceux pour qui ces pionniers français dans la plus grande ligue du monde avaient automatiquement leur place en bleu. "La presse n'était intéressée que par la NBA, donc elle ne voyait que ces joueurs-là, se souvient-il amèrement. Pour elle, il fallait les sélectionner", quel que soit leur temps de jeu, leur expérience ou leur véritable niveau.

"On est le seul pays bouffé par la NBA comme ça", ajoute Michel Gomez, qui se désole de voir aujourd'hui, dans les équipes de jeunes, des joueurs tenter des tirs à 3 points à tout va pour imiter l'Américain Stephen Curry. "C'est un superbe joueur. Mais il faut aussi voir ses bases en défense, son style, sa capacité à se démarquer. En France, on ne retient que le petit truc du tir à 3 points."

Faut-il que la France apprenne à regarder un peu ailleurs ? Les deux anciens sélectionneurs se réjouissent qu'elle dispose aussi, aujourd'hui, de stars de l'Euroligue, la compétition phare du basket européen : Thomas Heurtel, Adrien Moerman (tous deux blessés et forfaits pour le Mondial) et, surtout, Nando de Colo, qui l'a remportée cette année. "Il aime le basket et a vite compris qu'aux Etats-Unis, il allait toucher de l'argent mais pas forcément jouer", analyse Michel Gomez, qui l'a lancé en bleu. "Personne n'a fait une carrière pareille en Europe. On ne sait pas si Tony Parker l'aurait faite." Un tel parcours aide à "contrebalancer la vision monolithique qu'on avait en France : le basket, c'était la NBA", résume Claude Bergeaud. Qui sait ? C'est peut-être ce joueur du championnat turc, auteur d'un passage éclair et raté aux Etats-Unis, qui fera gagner l'équipe de France au Mondial.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.