"La France me manque", Valériane Ayayi nous raconte sa quarantaine à Belgrade
Valériane, pouvez-vous nous raconter votre retour à Belgrade ?
Valériane Ayayi : "Lorsque le championnat tchèque a été arrêté (Prague a été sacré champion), le club a voulu que les joueuses restent dans la ville car l’Euroligue était en suspens. Puis, au bout de cinq-six jours, les dirigeants nous ont autorisées à rentrer chez nous, c’était le 14 mars. Au même moment, on apprend avec mon mari (Valériane est mariée à un Serbe) que la Serbie va fermer toutes ses frontières à partir du 15 à minuit. On a pris deux sacs de vêtements et on est parti en voiture pour un voyage rocambolesque. Comme certaines frontières de la Serbie étaient déjà fermées, on a dû passer par l’Autriche puis la Slovénie, la Croatie et enfin la Serbie. Une course contre-la-montre de treize heures au lieu de sept d’habitude. On est arrivé le dimanche 15 dans la soirée à Belgrade, et à minuit ils fermaient toutes les frontières !"
Vous êtes donc en confinement à Belgrade ?
VA : "Je suis même en quarantaine : arrivant de l’étranger, nous avons été placés en quatorzaine avec mon mari puis les autorités du pays ont rajouté quatorze jours supplémentaires. Au total, ça fait donc 28 jours à l’isolement. Il m’en reste encore une dizaine… La police appelle tous les jours pour voir si on est bien là. Comme notre appartement est en travaux, je suis chez mes beaux-parents qui ont plus de 65 ans et qui eux aussi n’ont pas le droit de mettre le nez dehors (en Serbie, la population de plus de 65 ans a interdiction de sortir). C’est pas toujours facile de voir les mêmes personnes 24 heures sur 24 (rires), heureusement qu’il y a la terrasse !"
Quelle est la situation en Serbie ?
VA : "A Belgrade, il y a un couvre-feu tous les jours à 17 heures et à 15 heures le weekend. La ville est complètement vide. On entend les hélicos tourner. Il se murmure que d’ici quelques jours, la Serbie pourrait tout fermer. Il n’y a pas beaucoup de décès ici par rapport à la France, l’Espagne ou l’Italie, mais les autorités anticipent."
Avez-vous des nouvelles de votre club ?
VA : "Les dirigeants prennent des nouvelles de temps en temps. Toutes les filles sont rentrées chez elles : les Américaines, les étrangères venues d’Europe et les Tchèques, dans leurs villages. On vient de recevoir notre salaire du mois de mars, mais en avril nous ne serons pas payées."
"Nous, sportifs de haut niveau, on ne doit pas avoir un statut de privilégiés"
Vous deviez avoir une fin de saison palpitante avec l’Euroligue, les JO, la WNBA…
VA : "Pour l’Euroligue, il y aura peut-être un Final 8 organisé en septembre. Quelle valeur sportive aura-t-il ? Les Américaines seront-elles revenues ? Elles ont toutes des contrats WNBA l’été. Les meilleures joueuses européennes seront peut-être aussi aux Etats-Unis pour jouer le championnat. Nous, avec Prague, on avait l’équipe pour gagner, c’était notre objectif cette saison, c’est une vraie déception. Le report des Jeux, on le voyait venir, il y a là aussi de la déception mais du soulagement surtout. La crise sanitaire est au-dessus de tout, c’est la bonne décision. Enfin, pour la WNBA (Valériane a un contrat avec le Connecticut Sun pour cet été), tout est en suspens. Y aura-t-il une saison ? Si oui, est-ce-que je prendrai le risque d’y aller ? (son équipe est proche de New York, l’épicentre de la pandémie aux Etats-Unis) Tout cela me paraît bien compromis, voire impossible à imaginer."
Vous êtes loin de vos parents, de vos frères et sœur ?
VA : "Oui, mon petit frère Joël, qui joue à Gonzaga à l’est de Seattle (en NCAA, le championnat universitaire américain), est confiné dans une maison de Los Angeles avec des copains basketteurs depuis que son championnat s’est arrêté. Gérald, qui joue à Pau-Orthez, est rentré chez mes parents à Bordeaux avec ma sœur. Tous, on ne se voit pas beaucoup durant l’année. Mais là, j’aimerais bien être auprès de ma famille en France. La France me manque."
Aujourd’hui, être sportif de haut niveau peut paraître accessoire…
VA : "Oui, totalement. Ma mère est salariée au CHU de Bordeaux. Mon père organise des livraisons alimentaires. Ils sont au contact de la maladie au quotidien. J’espère que cette crise va mettre en avant des professions dont on ne parle jamais : éboueurs, livreurs, aide-soignants… Ces métiers servent la population chaque jour. Nous, sportifs de haut niveau, on ne doit pas avoir un statut de privilégiés : on divertit, on gagne de l’argent facilement, quelquefois, ça me gêne…"
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