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Alain Prost : "La rivalité entre Hamilton et Verstappen, on n'a pas vu ça souvent ces dernières décennies"

Le quadruple champion du monde français, ex-grand rival d'Ayrton Senna, s'exprime auprès de franceinfo: sport sur le duel explosif entre le Britannique et le Néerlandais, au coude-à-coude pour la couronne mondiale cette saison.

Article rédigé par franceinfo: sport - Hugo Lauzy
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le crash entre la Mercedes de Lewis Hamilton (à g.) et la Red Bull de Max Verstappen (à dr.) lors du Grand Prix de Monza en Italie, le 12 septembre 2021. (ANDREJ ISAKOVIC / AFP)

Le dernier accrochage spectaculaire entre le Britannique Lewis Hamilton, septuple champion du monde, et le Néerlandais Max Verstappen aurait pu virer au drame, dimanche 12 septembre lors du Grand Prix d'Italie, sans le halo de sécurité de la Mercedes. Les deux pilotes se disputent le titre mondial cette année et leur duel, souvent explosif en piste ces derniers mois, a ravivé les souvenirs des plus grandes rivalités de l'histoire de la Formule 1. Un sujet sur lequel Alain Prost, quadruple champion du monde dans les années 1980-1990, est revenu en longueur pour franceinfo: sport.

Les similitudes de sa rivalité avec son ex-coéquipier brésilien Ayrton Senna, les enjeux sportifs et médiatiques d'un tel duel à l'heure actuelle... Le "Professeur" livre ses impressions sur cette lutte sans merci entre deux hommes prêts à tout, ou presque, pour arracher la victoire, alors que les premiers essais du Grand Prix de Russie, 15e manche de la saison, débutent vendredi 24 septembre à Sotchi.

Franceinfo: sport : La rivalité Hamilton-Verstappen est-elle à votre avis la plus forte de ces dernières années ?

Alain Prost : Il y en avait une très forte entre Lewis Hamilton et Nico Rosberg, l'année où Rosberg est devenu champion du monde (en 2016), car elle était en plus au sein de la même équipe. Mais celle-là est l'une des plus fortes et j'espère qu'elle sera l'une des plus belles jusqu'à la fin de l'année. Il ne faut pas que cela dégénère ou elle sera automatiquement arbitrée par des coéquipiers ou d'autres équipes qui peuvent profiter de cela. Après, il faut être un peu chanceux pour gagner un championnat. Verstappen ne l'a pas été à Silverstone, encore pire à Budapest quand il a été percuté au départ. Mais à la régulière, pour l'instant, petit avantage à Verstappen depuis le début de l'année. 

Retrouvez-vous des similitudes par rapport à celle que vous avez vécue avec Ayrton Senna ?

Tout le monde prend un peu notre rivalité en référence pour expliquer celle qui se passe actuellement. Mais je suis assez prudent par rapport à cela. Il y a une rivalité avec Ayrton Senna d'abord quand on était coéquipiers, mais aussi après lorsqu'on ne l'était plus. Aujourd'hui, la rivalité entre deux pilotes qui se battent pour le championnat avec des arguments différents est bien là : l'un (Hamilton) veut battre le record du nombre de titres, l'autre (Verstappen) veut gagner pour la première fois le championnat du monde avec un talent indéniable.

Ayrton Senna et Alain Prost sur le podium du Grand Prix d'Australie à Adélaïde, le 13 novembre 1988. (STF / AFP)

Hamilton n'a pas toujours eu durant ses saisons et ses titres un adversaire redoutable comme il l'a cette année. Son point fort se situe plus sur l'expérience, la force de son équipe, en plus d'être quelqu'un qui sait comment aller chercher un résultat et aller en préserver un autre. Même s'il y a toujours un petit avantage pour le plus jeune, celui qui vient détrôner l'ancien, accompagné d'une petite préférence médiatique aussi.

Ce qui est paradoxal, c'est que tout le monde se plaignait d'un manque de rivalité ou de spectacle entre deux pilotes ou deux équipes différentes, et là on a quelque chose d'extraordinaire qui s'installe. Donc il ne faut pas tomber dans le panneau d'une sorte de mélodrame. Même s'il y a eu un accident à Silverstone qui était limite pour Verstappen, un autre à Monza pour Hamilton, le plus souvent on est dans la finesse. Mais avec un pilote un peu agressif comme Verstappen, il est absolument impossible de voir des situations d'attente. Donc ce n'est pas une surprise : on sait qu'il y aura des petits événements comme ça jusqu'à la fin.

"Je n'avais qu'une seule envie, c'était de prendre mon casque et de lui mettre un grand coup avec."

Alain Prost

à propos de son accrochage avec Ayrton Senna en 1990.

Est-ce que dans ces situations-là, tous les coups sont permis ? 

Dans un cas comme celui-là, je me rappelle l'accident avec Ayrton quand il était passé en force au Japon [sur le circuit de Suzuka en octobre 1990]. Je n'avais qu'une seule envie, c'était de prendre mon casque et de lui mettre un grand coup avec. Mais on est toujours un peu maître de ses nerfs avec des millions de spectateurs et une nouvelle génération qui regardent.

Dans l'incident de Monza, Hamilton est aussi très satisfait de ne pas être plus blessé grâce au halo. Il (Verstappen) pensait pouvoir récupérer des points en le doublant. Souvent, c'est un petit élément, un détail qui va faire qu'il va y avoir un accrochage sans qu'un des deux pilotes ne soit à 100% responsable. Une fois que cela est fait, je dirais que les pilotes ont tendance à passer à autre chose.

Pour vous, est-ce un incident regrettable ou une manière de créer une forme d'émulation entre les deux pilotes ?

Il y a un climat de tension inévitable en ce moment. Par contre, le fait d'en parler beaucoup et d'en rajouter augmente la pression entre les pilotes. Il y a eu la sanction assez lourde contre Verstappen [trois places de pénalité sur la grille de départ du Grand Prix de Russie], mais on a tous envie de voir les deux lutter jusqu'au bout du championnat, parce qu'on a quand même au fond de nous cette part d'excitation. On n'a pas envie que cela se finisse en drame, mais avec ces deux récents accrochages, on voit la maîtrise qu'ils ont tous les deux.

"Il ne faut pas non plus que le titre soit décidé par des pénalités données par la direction de course."

Alain Prost

à franceinfo: sport

Dans les colonnes du journal L'Equipe daté du 13 septembre, le directeur de l'écurie Mercedes a déclaré que "les commissaires doivent trouver une solution pour avoir une rivalité saine". Les instances ont-elles un rôle à jouer pour tenter de calmer le jeu ?

Je pense que les commissaires, le directeur de course et la FIA font ce qu'il faut. N'oublions pas que l'enjeu est gros pour les deux pilotes avec des caractères qui n'ont pas envie de lâcher non plus. Par exemple, sur les dix secondes de pénalité pour Lewis Hamilton au Grand Prix de Grande-Bretagne, tout le monde a un jugement différent. Parce que c'est vrai que dix secondes de pénalité pour lui, c'est tout sauf une pénalité. À partir du moment où Verstappen n'est plus là, c'est comme si on lui donnait la victoire. Et les trois prochaines places de pénalité pour Verstappen en Russie, c'est parce qu'ils trouvent qu'il n'était pas dans son droit de tenter cette manœuvre à ce moment précis (à Monza).

L'incertitude est désormais : comment vont-ils juger ces manœuvres toujours un petit peu à la limite ? Il ne faut pas non plus que le titre soit décidé par des pénalités données par la direction de course. Un directeur de course a dit qu'il fallait laisser les pilotes un peu dans leur droit, parce qu'on ne va pas non plus les brimer. Je trouve qu'il a raison car cela peut être contre-productif, donc il faut trouver le bon équilibre.

Au-delà d'être rivaux sur la piste, une réelle amitié en dehors est-elle possible ?

Je pense qu'à partir du moment où on est à un niveau de compétitivité très similaire et que l'on se bat pour un titre avec la pression que vous avez, tout cela fait qu'il est impossible de rester totalement amis.

J'ai eu des relations extrêmement proches avec des coéquipiers, mais celles où on était les plus proches, c'est parce qu'il y avait une différence de niveau. Sinon, c'est très compliqué. C'est pour cela qu'avec Ayrton, une fois ma carrière terminée à la fin de l'année 1993, ça a été totalement différent. Il n'y avait plus la rivalité, il n'y avait plus le désir de me battre qui était sa motivation première. Donc à partir de là, on peut redevenir proches ou "amis", mais pas avant.

"Je dirais qu'il y a des pilotes avec du talent, d'autres avec des personnalités très fortes et un charisme. Mais je mets toujours Ayrton à part."

Alain Prost

à franceinfo: sport

Avez-vous le sentiment que votre carrière aurait été différente sans un personnage comme Ayrton Senna ?

Je dirais qu'il y a des pilotes avec du talent, d'autres avec des personnalités très fortes et un charisme. Mais je mets toujours Ayrton à part. Je le juge d'une manière très différente sur le plan humain, de l'approche mentale et psychologique. C'était quelqu'un de très différent de tous les autres.

Le Brésilien Ayrton Senna et le Français Alain Prost dans les stands de l'écurie McLaren, le 18 mars 1989, avant le Grand Prix du Brésil. (ANDREW MURRAY / AFP)

Quand vous faites une carrière comme je l'ai faite, le niveau qu'on a atteint avec Ayrton, quand on était en bagarre tous les deux, était absolument incroyable. Cela nous a motivés l'un contre l'autre et on a écrit l'histoire ensemble. Aujourd'hui, quand vous dites Prost, vous dites Senna et quand vous dites Senna, vous dites Prost. C'est assez magique même si j'aurais certainement gagné trois ou quatre titres de plus sans Ayrton. J'aurais rencontré d'autres pilotes, j'aurais eu d'autres bagarres, mais peut-être pas aussi abouties, médiatisées et chargées d'histoires. Il n'y a absolument aucun regret là-dedans.

Quel est votre regard sur l'influence médiatique actuelle en Formule 1 ? 

Je vois ça d'un point de vue intéressé et lucide. Je ne parle pas des réseaux sociaux car vous aurez toujours les "pro-Lewis" et les "pro-Max". Nous, on n'avait pas cela et heureusement car cela aurait été intenable. Par contre, les médias actuels sont plutôt équilibrés, je ne vois pas de préférence pour un pilote ou un autre. Aujourd'hui, on a vulgarisé, démocratisé un peu la F1 avec des séries comme celle de Netflix [Pilotes de leur destin]. La jeune génération est revenue un petit peu voir la Formule 1, donc on tient quelque chose, on a un truc qui se passe.

Et ce produit-là (la Formule 1), peut-être qu'il sera encore différent lors de la prochaine course. C'est une série donc il faut aussi que tout le monde en profite : pilotes, spectateurs et médias. Car la rivalité entre Hamilton et Verstappen, on n'a pas vu ça souvent ces dernières décennies.

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