Saut à la perche : comment gagner 13 centimètres en trois semaines
Début janvier, le record personnel de Renaud Lavillenie s'élevait à 6,03 m. Six semaines plus tard, il bat le record du monde, avec un saut à 6,16 m. Décryptage.
"Je crois que je peux me rapprocher des 6,10 m." Voilà l'objectif, somme toute modeste, que s'était fixé en novembre, sur Le Monde.fr, le perchiste Renaud Lavillenie. A l'époque son record personnel s'élevait à 6,03 m. Quatre mois plus tard, "Air" Lavillenie s'est envolé à 6,16 m sur le sautoir de Donetsk, en Ukraine, pulvérisant le record du monde de Sergueï Bubka. Et dans L'Equipe, il évoque l'avenir : "Les 6,25 m d'ici trois ans sont envisageables." Comment expliquer une progression aussi fulgurante ?
La force, ça ne fait pas tout
Le saut à la perche, pour résumer, c'est la combinaison de trois éléments. Une course d'élan rapide, de la force pour tordre la perche (plus elle est dure, plus elle permet d'aller haut) et de la technique pour emmener ses jambes puis son bassin au-dessus de la barre.
Renaud Lavillenie, qui a toujours eu une technique hors pair, avait fait le choix de muscler ses bras et d'accroître sa vitesse ses dernières années, quand il était entrainé par Damien Inocienco. Avant de remercier ce dernier, sitôt le titre olympique acquis. Depuis, il a fait appel à Philippe d'Encausse, qui a remis l'accent sur la technique. "A l'époque d'Inocencio, il finissait sa course en déséquilibre, il se jetait trop devant. Aujourd'hui, sa course est plus maîtrisée", explique Georges Martin, ancien entraîneur de Romain Mesnil, contacté par francetv info. "Quand je l'avais eu pour un stage à Monaco, je lui avais dit : tu peux franchir dix fois 6 mètres en sautant comme un porc, mais tu ne battras le record du monde que quand tu sauteras très bien."
La preuve, il y a deux semaines, quand il passe 6,08 m lors d'un concours en Pologne. "Son premier saut à 5,94 m est carrément merdique, mais ça passe", sourit Georges Martin.
La vitesse, ça joue
Lors de son travail de vitesse avec son ancien entraîneur, Renaud Lavillenie a développé des capacités de sprint indispensables pour briller au haut niveau. Le record personnel du perchiste ? 11 secondes au 100 m, d'après l'IAAF, la fédération internationale d'athlétisme. Sergueï Bubka, lui, était capable de couvrir la même distance en 10 secondes, avec un poids de 20 kg dans les mains. "La force de Renaud Lavillenie, c'est son rapport poids-puissance [avec 1,76 m pour 70 kg, c'est un poids plume par rapport à ses concurrents]. Il ne faut pas qu'il cherche à se muscler encore plus pour faire du Bubka", remarque Georges Martin. Et l'entraineur d'ajouter : "J'avais sous mes ordre Pierre Quinon [champion olympique à Los Angeles, en 1984], et quand il faisait du Quinon, il était au sommet. Dès qu'il a voulu faire du Bubka, il ne sautait plus aussi bien."
La dureté de la perche, un paramètre essentiel
Lors de son saut victorieux à 6,16 m, Lavillenie a pris 47 m d'élan (20 foulées), en prenant un levier (l'écart entre le bout de la perche et la main) de 5,17 m. Ces deux curseurs sont placés à leur maximum. Reste la dureté de la perche. Plus la perche est dure, plus elle est difficile à tordre... mais plus elle permet d'aller haut. Lors du concours de Donetsk, Lavillenie a choisi la perche la plus dure qu'il a jamais utilisée en compétition. Plus l'indice est faible, plus elle est dure : Lavillenie a dégainé une 13,8 pour la première fois à Donetsk quand Bubka utilisait... du 10,8 !
La musculation du haut et du bas du corps représente une part importante du travail des perchistes, et d'après l'entraîneur suédois Miro Zalar, c'est aussi là que repose une grande part de leur marge de progression : "Dans 99% des cas, la technique de saut d’un athlète ne change plus après les catégories cadets et juniors, soit après 18 ans, tandis que le potentiel physique peut augmenter jusqu’à 30 ans." Renaud Lavillenie aura 30 ans en 2016, juste après les Jeux de Rio.
L'entraînement, ça compte
L'entraînement moyen d'un perchiste, c'est trente sauts par jour. Pour Renaud Lavillenie, c'est plutôt une centaine, note La Croix. Le perchiste, qui a installé un sautoir dans son jardin, s'est même risqué à tenter 6,65 m à l'entraînement, avec un élastique à la place de la barre. "J'ai quand même pu engager les pieds", confiait-il à Libération en 2012.
D'après la rumeur, Bubka avait franchi un élastique à 6,45 m, là encore à l'entraînement. Autant d'exercices qui auraient pu payer davantage encore en compétition : les biomécaniciens ont calculé que Bubka avait son centre de gravité placé à 6,49 m quand il franchit 5,85 m à Rome en 1987, et même à 6,50 m quand il passe 6,01 m aux championnats du monde à Athènes (PDF, en anglais), dix ans plus tard !
La salle, ça limite les aléas
Depuis 2000, le record du monde de saut à la perche est unifié, qu'il soit battu en salle ou en extérieur. Reste que concourir en salle enlève une bonne partie des aléas climatiques. En extérieur, les perchistes ont rarement le vent parfaitement dans le dos. Aux Jeux de Moscou, en 1980, les autorités soviétiques avaient carrément fait ouvrir en grand les portes du stade pour créer un courant d'air et favoriser leur concurrent dans l'épreuve du javelot, mais cela reste une exception.
"Il peut exploser le record du monde dans la station italienne de Sestrières, remarque Georges Martin. Là-bas, il y a toujours un fort vent de dos. Pas comme au Stade de France, où c'est toujours tourbillonnant. Cela dit, j'ai vu des concours où tous les participants avaient le vent de face, et quand c'était à son tour, il l'avait de dos. Non seulement il a tout pour lui, mais en plus il a de la chance !"
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