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Sang de tortue, enfants martyrisés et classe biberon du sprint : la longue marche de l'athlétisme chinois

La Chine a érigé l'athlétisme au rang de priorité nationale. Et les premiers résultats commencent à se faire sentir. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le sprinter chinois Zhang Peimeng fête la victoire du relais chinois aux Jeux asiatiques, le 2 octobre 2014 à Incheon, en Corée du Sud.  (BRENDON THORNE / GETTY IMAGES)

"La Chine est la nouvelle superpuissance de l'athlétisme." La phrase est signée de l'ex-président de la fédération internationale Lamine Diack, en 2014. On peut l'interpréter de deux façons : une flatterie à l'égard du régime de Pékin, car la Chine n'a décroché que quatre médailles aux derniers Mondiaux. Ou alors la vision d'une montée en puissance rapide de l'empire du Milieu à l'occasion d'une compétition à domicile. Sans doute un peu des deux. Et on va le vérifier lors des Mondiaux de Pékin, du 22 au 30 août.

La Chine a talonné les Etats-Unis au tableau des médailles des Jeux olympiques de Pékin en 2008, mais ce n'était pas grâce à l'athlétisme – deux malheureuses médailles sur la piste du Nid d'oiseau. Les résultats des Mondiaux d'athlétisme ces vingt dernières années sont éloquents. La Chine est grosso modo au niveau de la France, c'est-à-dire une nation moyenne. 

 

L'ère du sang de tortue et de la soupe aux chenilles

L'âge d'or de l'athlétisme chinois remonte au début des années 1990, trente ans après que le gouvernement a désigné huit disciplines prioritaires pour faire briller la Chine sur la scène internationale. Parmi elles, l'athlétisme. Il faut attendre l'éclosion de l'entraîneur Ma Junren pour faire briller le drapeau rouge sur les podiums internationaux. De façon spectaculaire. Aux Mondiaux de Stuttgart, en 1993, ses athlètes, toutes des paysannes de la province reculée du Liaoning, décrochent les huit médailles chinoises, dont un triplé inédit sur 3 000 mètres. Les observateurs s'interrogent : d'où débarquent ces athlètes qui pulvérisent les records – 42 secondes de mieux sur le 10 000 mètres ? Certains n'y croient pas, comme Linda Ondieki, victorieuse du marathon de New York en 1992, qui refuse de courir contre les Chinoises : "Courir le 10 000 mètres en 29'30, c'est une blague."

Ma met en avant ses méthodes : 23 km de course à 4h30 tous les matins avant le petit déjeuner, et 20 km dans l'après-midi. Soit un marathon tous les jours, avant l'extinction des feux à 20h30, résume le Los Angeles Times. L'entraînement est si dur que la championne Wang Junxia, qui vomira d'épuisement en course aux Jeux d'Atlanta, en perdait ses ongles de pied. L'entraîneur exerce un contrôle total sur ses athlètes : pas de cosmétiques, pas de cheveux longs, pas de petit ami, pas de nouvelles de la famille, pas de télévision et survêtement obligatoire tous les jours. Au premier écart, la fautive est renvoyée chez ses parents. Le tout à l'eau claire ? Presque. Ma concède juste l'utilisation de soupe de chenilles et de sang de tortue pour booster les performances. Des classiques de la médecine traditionnelle chinoise absents de la liste de produits interdits par l'Agence mondiale antidopage.

Wang Junxia mène le 10 000 mètres des Jeux asiatiques de 1994 à Hiroshima (Japon) devant ses coéquipières.  (MIKE POWELL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Le triomphe est tel que Ma apparaît dans des spots de pub pour des capsules de sang de tortue. C'est son succès financier qui va causer sa perte, raconte Dong Jinxia dans Women, Sport and Society in Modern China. Lassées de voir leur coach garder toutes leurs primes et rouler en Mercedes, ses athlètes claquent brutalement la porte en décembre 1994. Un coup terrible porté à l'athlétisme chinois, qui mettra quinze ans à s'en remettre. L'athlétisme tout court mettra plus longtemps à effacer la trace des filles de Ma. Le record du 1 500 mètres, établi par Qu Yunxia en 1993, n'est tombé qu'en juillet dernier, battu par l'Ethiopienne Genzebe Dibaba. Ceux du 3 000 et du 10 000 mètres de Wang Junxia tiennent toujours. 

Des enfants "propriétés de l'Etat"

Il faut attendre la désignation de Pékin comme hôte des Jeux olympiques de 2008 pour assister à un regain d'intérêt pour l'athlétisme. Le "projet 119" du gouvernement chinois – les 119 médailles atteignables à condition d'investir – comprend un volet fourni en athlétisme, surtout chez les femmes. Les méthodes militaires sont toujours d'actualité, mais c'est surtout la faute des parents. "Ce sont eux qui poussent leur enfant dans des camps d'entraînement, pour qu'il soit repéré par le gouvernement et intègre un centre de formation national [il y en a 6 000 dans tout le pays, qui forment 200 000 jeunes], explique Shane Hayes, physiothérapiste australien qui a travaillé pour le comité olympique chinois. Ce n'est pas très différent des parents occidentaux qui forcent leurs enfants à briller en danse ou au football." Les photos terribles (ici, ici, ou ici) qui font les choux gras de la presse occidentale en moins. 

De jeunes athlètes dans le centre de formation olympique de Hubei (Chine), le 16 juillet 2009.  (CHINA PHOTOS / GETTY IMAGES)

Les parents les plus fortunés lâchent même 800 dollars (environ 723 euros) pour détecter via un test ADN les capacités de leur progéniture, raconte CNN. Avoir un sportif de haut niveau peut tout changer pour une famille : un appartement, un confortable salaire, des revenus publicitaires – même si le gouvernement prélève une dîme allant jusqu'à 85% du total. Comme le résume crûment la gymnaste chinoise Fan Ye au Chicago Tribune, "on devient propriété de l'Etat".

Le sprint en ligne de mire

Détecter les graines de champion est une chose, susciter des vocations en est une autre. "L'athlétisme n'était pas un choix de carrière populaire, comparé au ping-pong ou au badminton. La jeune génération préfère ces sports, car ils sont plus faciles à pratiquer", concède Feng Shuyong, le patron de l'athlétisme chinois, au quotidien indien Sport Star. D'autant plus que la Chine se concentrait au début sur des disciplines à médailles, comme le lancer du marteau, le 50 km marche ou le lancer du poids, pas les plus prisées chez les jeunes.

La locomotive Liu Xiang, champion olympique du 110 m haies en 2004, a convaincu de jeunes Chinois de chausser des pointes. "Ce dont on a besoin, c'est d'une percée", poursuit Feng Shuyong. Un Chinois en finale du 100 mètres aux côtés d'Usain Bolt, par exemple ? Cela sonne comme de la science-fiction, mais Su Bingtian est devenu le premier Asiatique né sur le continent à courir le 100 mètres en moins de 10 secondes – 9"99 – à Eugene (Etats-Unis), le 31 mai dernier.

Pour briller sur la scène mondiale, la Chine s'est résolue à recruter à l'étranger afin de faire franchir un palier à ses champions. En témoigne le stage au long cours de l'équipe nationale féminine de fond au Kenya, sous la houlette du coach italien Renato Canova, qui a fait précédemment des miracles avec l'équipe du Qatar : "Elles ont une motivation incroyable", confie-t-il au site Roads and Kingdoms. Plus que l'argent, l'idée de devenir une gloire nationale les motive. Sinon, quelques années plus tard, la sanction est immédiate. D'après une étude du China Sports Daily en 2007, 80% des anciens athlètes chinois sont frappés par le chômage. Certains sont devenus vendeurs de pop-corn dans la rue, d'autres ont été contraints de vendre leurs médailles pour acheter des médicaments.

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