Doha 2019 : des Mondiaux au bord du fiasco
Les championnats du monde d'athlétisme de Doha se sont terminés ce dimanche. Le choix du Qatar, critiqué depuis 2014, a malheureusement confirmé toutes les inquiétudes possibles. Entre corruption, absurdité climatique, un public absent et le spectre du dopage, l'athlétisme a vécu une édition 2019 difficile. Mais des athlètes au sommet ont réussi tant bien que mal à ramener le sport au centre de ce marasme, nous offrant un Mondial riche en émotions.
Le Qatar n'a pas fait rêver
Dès l'annonce de la sélection de Doha en 2014, devant Barcelone et Eugene (Etats-Unis), des voix se sont élevées pour questionner ce choix. Des critiques légitimes, balayées par la fédération internationale (IAAF) au nom de l'ouverture de l'athlétisme à de nouveaux territoires. Cinq après, elles reviennent en pleine face à l'IAAF et son président, Sebastian Coe. Son prédécesseur au moment de l'attribution Lamine Diack a été mis en examen par la justice française pour corruption, avec le directeur général de BeIN Sports Yousef Al-Obaidly. Au cœur de l'affaire, révélée par Le Monde dès 2016, un transfert de 3,5 millions de dollars du Qatar au fils de Lamine Diack qui aurait servi à l'achat des Mondiaux.
Tour d'honneur devant tribune vide
Le public, qu'on a tenté de gonfler en invitant des ouvriers et des enfants, n'a pas répondu présent. Les travées du Khalifa International Stadium sont restées désespérément vides une bonne partie de la compétition. La situation s'est améliorée lors des derniers jours de la compétition sous l'impulsion des supporters kényans et éthiopiens venus garnir les tribunes pour soutenir leurs coureurs de fond et demi-fond. Et seul le sacre du local Mutaz Barshim au saut en hauteur a pu vraiment électriser le public.
Des conditions inhumaines
Les critiques concernaient également l'incohérence climatique. Des Mondiaux d'été au Qatar ? La réponse a été un décalage du mois d'août à fin septembre et un système de soufflerie aussi difficile à appréhender pour les athlètes, confrontés à des variations de températures pendant toute la compétition, qu'absurde écologiquement. Une climatisation géante dans un stade à ciel ouvert. Mais les spécialistes des longues distances n'ont pas eu le droit à cette fraîcheur artificielle. Dans les rues de Doha, les marcheurs (50 et 20 kilomètres) et les marathoniens ont dû braver la chaleur étouffante. Sous des ressentis dépassant les 45°C, les marathoniennes ont ouvert un triste bal le 27 septembre, mettant en danger leur santé plus que la raison devrait le permettre. Sur les 70 participantes, 28 ont dû abandonner. Le lendemain, sur le 50 kilomètres marche, Yohann Diniz et 13 de ses adversaires ont également rendu les armes.
L'ombre du dopage plane
Pour ajouter au marasme, le dopage s'est invité à Doha. Pas par un contrôle positif, mais par la suspension d'Alberto Salazar. L'adjectif "sulfureux", euphémisme pour évoquer de lourds soupçons, était appliqué depuis plusieurs années à l'entraîneur américain. La BBC avait révélé en 2015 des pratiques douteuses, lançant une longue enquête de l'agence américaine antidopage. Quatre ans plus tard, en plein Mondiaux, la sanction est tombée. Quatre ans de suspension pour le patron du Nike Oregon Project, groupe d'entraînement financé par la marque à la virgule à Eugene, pour avoir enfreint le règlement antidopage et encouragé des pratiques dopantes. Un "meurtre sans corps" pour The Guardian, car aucun athlète n'a été incriminé dans le dossier. Sept de ses athlètes étaient présents à Doha, dont la double championne du monde du 1 500 et du 10 000 mètres Sifan Hassan et Donavan Brazier, sacré sur 800 mètres. Si l'on ne peut pas accuser la Néerlandaise, jamais contrôlée positive, difficile de savourer pleinement ses exploits.
Des héros malgré tout
Car des exploits il y en a eu à Doha. Même quand les pires décisions sont prises contre le bon sens et l'intérêt du sport, les athlètes parviennent à se réapproprier leur bien. Cette édition des championnats du monde nous a notamment offert parmi les meilleurs concours de l'histoire. Médaillé de bronze du lancer du poids avec une marque à 22,90 mètres, le Néo-Zélandais Tomas Walsh aurait été sacré dans tous les autres Mondiaux. A Doha, il a été devancé par Ryan Crouser au nombre d'essais mordus et par Joe Kovacs pour un centimètre (22,91m). Le podium du triple saut n'avait jamais été aussi haut, avec Christian Taylor à 17,92m , Will Claye à 17,74m et Hugues-Fabrice Zango, à 17,66m. Ce dernier, protégé du Français Teddy Tamgho, en a profité pour apporter au Burkina Faso la première médaille de son histoire.
Des mères au sommet
Il faut également citer la victoire des mères. Ces athlètes qui ont mis en pause leur carrière pour mettre au monde un enfant, avec ce que cela implique de difficultés sportives et extra-sportives (manque de soutien des fédérations et des sponsors). La Jamaïcaine Shelly-Ann Fraser-Pryce a retrouvé son titre sur 100 mètres, l'Américaine Nia Ali a triomphé sur 100 mètres haies et la Chinoise Liu Hong est revenue rafler sa troisième couronne mondiale sur le 20 kilomètres marche. L'Américaine Allyson Felix, qui a obligé Nike à revoir sa politique de rémunération pour les athlètes enceintes, repart avec deux médailles d'or (4x400m mixte, 4x400m) pour devenir l'athlète la plus titrée de l'histoire des Mondiaux.
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