2018/2022: Le choix de l'argent ?
La même question mais un point commun de taille. La Russie, comme le Qatar peuvent s'appuyer sur des ressources en gaz et en pétrole phénoménales. Quel rapport avec le football ? Aucun, si l'on considère que l'argent qui découle de ces deux énergies n'a pas, d'une manière ou d'une autre, eu une incidence sur le choix de la Fifa. Cette dernière a-t-elle considéré que ces décisions constituaient les moins risqués financièrement, en cette période de crise ?
A l'heure où des affaires de corruption au sein de la FIFA sortent les unes après les autres, la plus haute instance du football mondial a décidé d'attribuer les Coupes du monde 2018 et 2022 à des candidats qui ne présentaient pas le profil idéal, d'un point de vue sportif. Mais comme souvent, la politique, le lobbying et bien sûr l'aspect financier ont semble-t-il constitué des critères de poids pour l'attribution de ces événements. Une Coupe du monde peut rapporter de 7,4 à 15 milliards d'euros à un pays, et l'estimation n'a rien d'irréaliste, elle sort de la bouche de Michel Platini, l'actuel président de l'UEFA. De telles conditions peuvent convertir bon nombre de nations jusqu'alors peu admiratrices du ballon rond... Le 2 décembre dernier, les 24 membres du Comité exécutif de la Fifa, dont fait partie Platini, ont effectué deux votes distincts. Dans l'après-midi, les décisions sont tombées, surprenant une grande majorité des observateurs... La Russie pour 2018, le Qatar pour 2022.
"Accepter des dons en argent (...) est prohibé"-Extrait du code éthique de la Fifa.
Dans une atmosphère si particulière, il eût été important que la Fifa rappelle quelques passages de son code éthique, histoire de marquer les consciences. Il eût été intéressant de voir le président de la Fifa, M. Sepp Blatter, rappeler à tous qu'"accepter des dons en argent de n'importe quel montant ou forme que ce soit, est prohibé" (extrait du code éthique, partie II 'Règles de conduite', section 10 'Accepter et donner des présents et autres avantages)! Et c'est précisément sur ce point, qu'un documentaire de la BBC diffusé lundi, avait mis en cause trois membres du comité exécutif. Ainsi, Issa Hayatou, président de la Confédération africaine (CAF) et accessoirement membre du CIO, Ricardo Teixeira, responsable du football brésilien, et Nicolas Leoz, président de la Confédération sud-américaine (Conmebol), sont soupçonnés d'avoir reçu de l'argent. Depuis, le CIO a ouvert une enquête, alors que la Fifa a estimé que l'affaire était définitivement classée...
Pour en revenir aux Mondiaux 2018 et 2022, la phase de candidature a débuté -officiellement- en janvier 2009 avec l'appel d'offres officiel, puis dans un deuxième temps, les fédérations ont dû déclarer leur intérêt par la Coupe du Monde de la Fifa 2018 et/ou 2022, et ce, avant le 2 février. Le troisième acte concernait le dépôt de candidature, le 14 mai 2010 à Zurich. Une fois ces dossiers en mains, une délégation de la Fifa a effectué une tournée d'inspection de tous les candidats. La dernière visite, au Qatar, s'est déroulée à la mi-septembre sur quatre jours. Et c'est donc le jeudi 2 décembre 2010, au siège de la Fifa à Zurich, que le Président de la plus haute instance du football a dévoilé les noms des heureux élus.
Drôles de stratégies
Pour en arriver à ces deux décisions, des tractations ont eu lieu, y compris par le biais de la Fifa. "Le principe de rotation est arrivé à ses fins et nous a permis d'attribuer notre plus belle compétition à l'Afrique pour la première fois, et (...) à l'Amérique du Sud pour la première fois depuis de nombreuses années", expliquait clairement M. Blatter en octobre 2007. Malgré ce nouveau principe, tous les candidats pour la Coupe du monde 2018 se trouvaient pourtant sur le continent européen ! Dans les faits, la logique était donc de nouveau à un système de rotation, mais aménagé... C'est ainsi que les Etats-Unis, qui restaient les seuls non-européens à vouloir postuler pour 2018, se sont retirés, eux qui, à la base, postulaient aux deux éditions. "Nous sommes convaincus que cela va dans lintérêt de notre candidature", avait alors déclaré Sunil Gulati, président du comité de candidature des États-Unis et de la Fédération de Football des États-Unis, après s'être entretenu avec des représentants de la Fifa. Inutile de dire que cette stratégie n'a pas payé...
Se rendant compte que leurs chances d'obtenir gain de cause pour 2018 s'étaient soudainement fortement réduites, les concurrents non-européens s'étaient donc rabattus sur 2022, poussant la Fifa à organiser en contre-partie un double vote. "Si l'on parvient à offrir deux compétitions sur huit ans à nos partenaires et à nos diffuseurs, et à laisser ainsi plus de temps à l'organisation, les répercussions économiques n'en seront que meilleures pour la Fifa", expliquait Blatter à l'issue du 58e congrès de la Fifa. Si l'on prend un peu de recul, ces petits arrangements faisaient déjà un peu mauvais effet, alors que la Fifa tente de se racheter une meilleure image suite à l'affaire de corruption qui a mené à la suspension de deux membres du Comité exécutif de la Fifa. Surtout ces arrangements rappellent des pratiques discutables d'un point de vue purement éthique. Mais n'est ce pas de cette manière que la France a décroché le gros lot pour l'Euro 2016, l'Allemagne ayant renvoyé l'ascenseur pour le Mondial 2006 ?...
Des alliances de ce type ont probablement été montées pour ces nouveaux votes. Selon le site internet Inside World Football, le duo Portugal/Espagne se serait d'une certaine manière associé au Qatar pour se donner plus de chances de l'emporter pour 2018, donnant le change au Qatar pour le vote concernant 2022... Et à quelques heures de la décision, la confédération sud-américaine de football (Conmebol) avait même clairement annoncé la couleur. "Les dix pays sont d'accord pour donner leur vote à l'Espagne", avait-il lancé !
Après Sotchi, la Russie surprend encore
Comme pour toute compétition, il se dégageait des favoris. Sur le papier donc, l'édition 2018 rassemblait les suffrages pour l'Angleterre, notamment grâce à son parc de stades, un pays de tradition footballistique, et un savoir-faire en matière d'organisation. L'Angleterre ne possède pas qu'une redoutable expérience du lobbying (souvenons-nous des JO-2012). Ses infrastructures n'ont pas d'équivalent en Europe, surtout si on les compare aux stades russes.
Aviez-vous été étonnés de voir la station balnéaire de Sotchi désigner pour organiser les JO d'hiver en 2014 ? C'est pourtant bien là, où Vladimir Poutine (le Premier ministre russe) possède une résidence secondaire, que ces Jeux se dérouleront. Déjà battue sur le fil par Vancouver, pour 2010, le candidat sud-coréen Pyeongchang avait été cette fois devancé par Sotchi, Salzbourg ayant été rapidement mis de côté. La Russie surprend donc encore une fois en l'espace de quelques mois, pour l'obtention d'un événement sportif majeur.
Pourtant habitué au fair-play, l'Angleterre a encore du mal à digérer la nouvelle. "Quand on a le meilleur dossier technique, des rapports d'inspection fantastiques, la meilleure évaluation économique et, d'après ce qu'on nous a dit, la meilleure présentation, on a dû mal à admettre que ça n'ait servi absolument à rien", a déclaré le directeur exécutif d'"England 2018", Andy Anson. Et lorsque l'on fait le décompte, le résultat est d'autant plus surprenant. L'Angleterre n'a en effet obtenu que deux voix sur 22, dont celle de son représentant ! "Le fait que les votants ne sont que 22 leur donne trop d'influence. Il faut ouvrir (le processus) à toutes les fédérations membres et faire la transparence afin qu'on sache qui a voté pour qui", a-t-il estimé.
Mais il n'est pas le plus vindicatif. La presse anglaise ne s'est pas fait prier pour accuser la Fifa. "Truqué!", titre en Une le quotidien le Sun, selon qui "les Russes connaissaient le résultat" du vote 24 heures avant l'annonce... Et pour un autre tabloïd, pour qui l'exagération fait partie de sa ligne éditoriale, les mots choisis sont encore plus lourds de sens. "La Russie, un Etat mafieux pourri jusqu'à la moëlle par la corruption; le Qatar (organisateur de la coupe du monde 2022), un royaume médiéval sans liberté d'expression; les deux nagent dans l'argent du pétrole", peut-on lire en première page.
"Un système atrocement corrompu"- The Times
Mais même pour un quotidien plus "respecté" comme The Times, les choix de la Fifa sont étranges. "Le système des élections de la coupe du monde est atrocement corrompu", peut-on lire dans un éditorial qui juge ce système "trop restreint, le rendant facile à manipuler, et il est trop secret". Et la presse néerlandaise n'y va pas non plus par quatre chemins. La Fifa a effectué ces choix "pour les garanties en or et pour l'argent", a lancé un journaliste du quotidien populaire AD. "Le quartier général de la Fédération internationale de football à Zurich va nager dans les billets de banque", a-t-il osé.Les dirigeants de la Fifa ont opté pour les "moins démocratiques des neufs candidats" et ont "encore attiré l'attention sur leur réputation controversée", a encore estimé le quotidien Volkskrant.
Le Qatar, par 45°C...
Pour la 22e édition, en 2022, ce n'était pas quatre, mais cinq candidats engagés, soit une chance de moins de décrocher le Graal. Mais jusqu'à peu, qui aurait imaginé une Coupe du monde en 2022 au Qatar ? Il y a encore dix ans, cet émirat ne pouvait pas prétendre à autre chose qu'un tournoi de beach soccer. Mais depuis, la puissance financière du gaz et du pétrole a métamorphosé cet Etat, et du sable, sont sortis de véritables bijoux de l'architecture moderne. Et si la canicule peut refroidir la Fifa, les organisateurs ont assuré que leurs stades pouvaient être climatisés... Impossible n'est donc pas qatari.
Avec ses 11400 m2, cette monarchie va devenir le plus petit pays à organiser une Coupe du monde. Pointant à la 113e place du classement Fifa, on ne peut pas dire que le Qatar représente une nation majeure du football. Tant mieux pourrait-on dire, mais pourquoi ne pas l'organiser dans un pays qui en a vraiment besoin ? C'était le cas pour l'Afrique du Sud en 2010. Ce sera moins le cas en 2022. Même les Sud-Coréens ont eu du mal à masquer leur étonnement. "On s'attendait à lutter avec les Etats-Unis ou l'Australie au dernier tour", a dit Han Sung-Joo, président de la candidature sud-coréenne. "Il semble que l'idée d'offrir une première Coupe du monde au Moyen-Orient ait réuni beaucoup de votes", a-t-il sobrement déclaré.
Il faut reconnaître que depuis ces dernières années, le Qatar a très fortement investi dans des infrastructures sportives. Hôte des Masters féminin de tennis, d'un Grand Prix de MotoGP, d'une Coupe du monde des moins de 20 ans (en 1995), et l'an prochain de la Coupe d'Asie des nations de football, on ne peut pas reprocher aux Qataris de ne pas s'intéresser au monde du sport. Mais comme l'a rappelé le représentant de la candidature anglaise, si l'on part du principe qu'un vote doit s'effectuer en fonction de la qualité des dossiers, des infrastructures, de l'évaluation économique, et de la présentation générale du dossier, on a du mal à comprendre que le Qatar qui ne possède que trois stades (sur douze, les neuf autres étant inexistants) a pu s'en sortir. Surtout, le climat (avec des chaleurs avoisinant les 45°C) qui représentait le gros point noir du dossier a été totalement résolu en quelques promesses. Les stades seront donc climatisés, et le tout, de manière écologique. Il faudra juste éviter de patienter en dehors des stades. La Fifa a donc préféré miser sur un pari que sur des valeurs sures.
Et Zidane dans tout ça ? C'est sûr que de voir l'un des plus brillants footballeurs soutenir une candidature n'a pas de prix. Enfin si, finalement. Une image, cela a un prix, et l'ancien meneur de jeu des Bleus l'a bien compris. Alors le voir soutenir la candidature du Qatar n'étais pas si surprenant. Le plus désolant dans cette histoire, est que, là encore, le pouvoir de l'argent a pesé dans la balance. Alors que le Journal du Dimanche estimait que Zidane avait touché une somme "proche du million d'euros" pour soutenir le Qatar, le quotidien australien Herald Tribune, avance une somme de 15 millions de dollars... Mais "Zizou" est loin d'être le seul à avoir monnayé son soutien. Des stars du football comme Pep Guardiola, Gabriel Batistuta, ou encore Ronald de Boer n'aurait pas refuser un petit chèque. Comme quoi, tout a un prix !
Les rapports d'évaluation des neuf candidats pour 2018 et 2022 (en anglais)
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