Violences conjugales : la garde des Sceaux veut développer les ordonnances de protection, mais un récent décret complique leur obtention
L'objectif de Nicole Belloubet est de faire connaître davantage ce dispositif, qui existe depuis dix ans. Il interdit à un conjoint violent d'entrer en relation avec une femme victime ou ses proches.
"Aller plus loin." La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a annoncé la création d'un comité de pilotage national afin de développer les ordonnances de protection dont peuvent les femmes victimes de violences conjugales, dans une interview au JDD (article pour abonnés), dimanche 7 juin. Ces ordonnances interdisent à un conjoint violent d'entrer en relation avec une femme victime ou ses proches.
La garde des Sceaux doit lancer ce comité mardi, jour de l'examen au Sénat d'une proposition de loi LREM visant à protéger les victimes de violences conjugales. Ce comité pluridisciplinaire sera composé de "représentants du ministère de la Chancellerie, des barreaux, des huissiers de justice, des associations spécialisées dans l'accompagnement des victimes de violences conjugales", précise la ministre.
Nicole Belloubet indique que 4 000 ordonnances ont été demandées en 2019, "soit plus de 20% comparé à 2018". "Le taux d'acceptation par les juges est passé à 65%, ce qui nous rapproche de l'Espagne où ce taux est de 70%", se félicite la garde des Sceaux. Elle lie cette évolution au "Grenelle contre les violences conjugales" qui s'est tenu à l'automne 2019. La ministre a aussi indiqué que "plus de 1 000 femmes" bénéficiaient d'un "téléphone grave danger" contre "300 environ en février 2019". Le bracelet antirapprochement, destiné à éloigner les conjoints et ex-conjoints violents, "devrait commencer comme prévu dès septembre prochain".
Un nouveau délai pour les ordonnances problématique
Cette initiative survient alors que plusieurs avocats spécialisés et militantes féministes alertent sur les conséquences d'un récent décret, destiné à faciliter la délivrance d'ordonnances de protection, mais qui selon eux va avoir l'effet inverse. Ce décret du 27 mai vient préciser les modalités d'application d'une loi adoptée fin décembre, dans la foulée du "Grenelle". Il impose aux juges aux affaires familiales un délai de six jours pour statuer sur les demandes d'ordonnance de protection.
Le problème est qu'il introduit aussi un autre délai : à partir du moment où le juge fixe une date d'audience pour examiner une demande d'ordonnance de protection, la victime dispose de 24 heures pour informer son conjoint violent par huissier et retourner l'acte de signification au tribunal. Si ce délai n'est pas respecté, la requête devient automatiquement caduque, sans aucun pouvoir d'appréciation du juge.
Un "recul stupéfiant des droits des victimes"
"Cette caducité, qui tombera comme un couperet, exposera encore plus les victimes à leurs bourreaux", dénonce auprès de l'AFP Fatiha Belkacem, avocate spécialisée dans ces questions. Dans ces conditions, "obtenir une ordonnance de protection devient quasiment… impossible", s'est également alarmée la militante féministe Caroline De Haas, dans plusieurs messages publiés vendredi sur Twitter et Mediapart.
L'ordonnance de protection vise à protéger les femmes victimes de violences de la part de leur conjoint.
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) June 5, 2020
Un décret publié le 27 mai change les règles de fonctionnement. Résultat : obtenir une ordonnance de protection devient quasiment… impossible. ⤵️
Ce nouveau délai entraîne un "recul stupéfiant des droits des victimes", et vient "mettre à néant toutes les avancées obtenues de haute lutte par les défenseurs" des femmes victimes de violences, ont estimé de leur côté les avocats Jean-Michel Garry et Aurore Boyard, dans un article publié vendredi sur le site Dalloz Actualité.
Chaque année, quelque 210 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint. L'AFP a recensé 27 féminicides présumés depuis le début de l'année. En 2019 selon un décompte de l'AFP, au moins 126 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex, soit une femme tous les trois jours en moyenne.
Les femmes victimes de violences peuvent contacter le 3919, un numéro de téléphone gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute, d'information et d'orientation est accessible de 9 heures à 22 heures du lundi au vendredi et de 9 heures à 18 heures les samedis, dimanches et jours fériés.
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