Trois questions sur les accusations de viol et d'agressions sexuelles portées contre le psychanalyste Gérard Miller
"Soudain, un truc dans mon cerveau m'a sortie de la torpeur. Je me suis dit qu'il se passait quelque chose d'anormal." Trois femmes accusent le psychanalyste et réalisateur Gérard Miller, 75 ans, de viol et d'agressions sexuelles, dans une enquête du magazine Elle, publiée mercredi 31 janvier. Selon ces témoignages, les faits dénoncés se sont notamment produits lors de séances d'hypnose, il y a plusieurs années. Sollicité par l'hebdomadaire, l'intéressé conteste ces accusations. Voici ce que l'on sait de cette affaire.
1 Quelles sont les accusations portées contre Gérard Miller ?
Le premier récit rapporté par le magazine est celui de la journaliste et metteuse en scène Muriel Cousin, qui accuse Gérard Miller de l'avoir agressée sexuellement en 1990, alors qu'elle avait 23 ans et qu'ils travaillaient tous deux pour le mensuel Globe. Le célèbre psychanalyste, âgé de 42 ans à l'époque, recherchait "un cobaye pour un article sur l'hypnose", et elle s'était portée "volontaire", relate Elle. Mais alors que la jeune femme se retrouve allongée, les yeux fermés, "dans les locaux de l'Institut du champ freudien, à Paris", elle affirme sentir qu'il se passe "quelque chose d'anormal". "Il touchait mes seins sous mon pull. J'ai senti aussi sa main passer sur mon sexe, par-dessus le pantalon", se souvient celle qui témoigne pour la première fois. Muriel Cousin "trouve le courage de se lever et de prendre la fuite". Une ancienne collègue confirme à Elle le "malaise" de la journaliste à son retour à la rédaction.
Un autre témoignage, celui de Camille, le prénom d'emprunt donné par Elle, dénonce un viol en 2004. Alors âgée de 19 ans et Gérard Miller de 55 ans, elle assiste à l'émission "On a tout essayé", à laquelle participe le psychanalyste et chroniqueur. A la fin de l'enregistrement, invitée avec une amie à le suivre chez lui pour "prendre un verre", elle se voit proposer, selon elle, de participer à "un jeu" qu'il a l'habitude de faire "avec ses patients". Les deux jeunes femmes s'allongent au sol. "Il est remonté très progressivement jusqu'à ma poitrine. Je devais être dans un état second, car je n'ai pas réagi. A côté de moi, mon amie s'est levée pour partir", rapporte-t-elle. Camille accuse Gérard Miller de l'avoir ensuite violée dans sa chambre : "Je suis sidérée, c'est comme un piège qui se referme sur moi. Je ne peux plus bouger, je suis un corps mort qui tremble", relate-t-elle.
Une troisième femme, qui travaillait comme baby-sitter pour le psychanalyste, rapporte une agression sexuelle en 1993, alors qu'elle était âgée de 19 ans et que Gérard Miller la raccompagnait chez elle en voiture. "Au moment de me déposer, il m'a soudainement touché les seins et a tenté de m'embrasser. Il était plus vieux que ma mère, je gardais ses enfants, ce n'était pas possible !", s'indigne-t-elle dans les colonnes du magazine. D'autres femmes, des comédiennes, dont Anna Mouglalis, se souviennent pour Elle de propositions déplacées au moment du tournage du film Terminale, en 1998, dont Gérard Miller était scénariste.
2 Que répond Gérard Miller ?
Le psychanalyste avait anticipé cette publication, en annonçant dès vendredi sur le réseau social X avoir été informé par les deux journalistes de Elle d'une enquête le "mettant gravement en cause". "Dès que j'aurai eu connaissance de l'article, je réagirai dans les meilleurs délais ici même", avait ajouté le professeur émérite à l'université Paris 8. Sollicité par Elle dans le cadre de l'article, Gérard Miller a répondu "n'avoir jamais abusé sexuellement de quiconque, et ce, en aucune circonstance".
"Il n'y a jamais eu quoi que ce soit qu'on puisse qualifier d'agression sexuelle, ou, pire, de viol", a-t-il réaffirmé mercredi soir, dans une déclaration publiée sur son compte X. Le psychanalyste reconnaît toutefois "qu'un rapport inégalitaire existait objectivement dans les relations (...) avec des femmes plus jeunes". "Psychanalyste, universitaire, auteur, chroniqueur télé et radio, j'étais de fait un 'homme de pouvoir', et il y avait dès lors une dissymétrie 'objective', dont on peut se dire aujourd'hui qu'elle était purement et simplement rédhibitoire", ajoute-t-il.
Le nom du médiatique psychanalyste avait ressurgi ces derniers temps après la rediffusion sur les réseaux sociaux de son interview du réalisateur Benoît Jacquot en 2011, dans le cadre d'un documentaire, Les Ruses du désir. Devant un Gérard Miller conciliant, le cinéaste y évoquait ses relations avec de jeunes actrices, dont Judith Godrèche, qui avait 14 ans à l'époque et lui 40. Une relation "d'emprise", selon cette dernière, dépeinte dans sa série French Icon of cinema. Interrogé sur cette interview polémique, début janvier, dans l'émission "C ce soir" sur France 5, Gérard Miller, aujourd'hui engagé auprès de La France insoumise, s'est justifié ainsi : "Aujourd'hui, je ne pourrais plus imaginer le même film, parce que nous ne sommes plus dans cet aveuglement collectif. Il faut bien mesurer ce qui a changé, sinon on oublie ce qui a été révolutionnaire dans MeToo."
3 La justice peut-elle enquêter sur ces accusations ?
Aucune des femmes interrogées par Elle n'a intenté d'action en justice contre Gérard Miller. Muriel Cousin explique au magazine ne pas avoir eu l'idée de porter plainte après les faits qu'elle dénonce : "A l'époque, ça ne se faisait pas." Désormais, la question de la prescription se pose. En France, le délai au-delà duquel il n'est plus possible de poursuivre une personne soupçonnée de viol est passé en 2017 de 10 à 20 ans. Mais la loi n'est pas rétroactive. Le viol dont Camille dit avoir été victime en 2004 était donc prescrit en 2014. Le délai de prescription pour une agression sexuelle sur majeur, est, lui, de six ans.
Le parquet de Paris, compétent géographiquement, peut-il toutefois s'autosaisir ? Sollicité, il répond qu'"en cas de révélation de faits de nature sexuelle par la presse", il "a pour politique de ne prendre l'initiative d'une enquête que s'il apparaît que la ou les victimes étaient mineures et donc démunies pour engager seules une procédure".
De fait, jusqu'à présent, la justice s'est autosaisie dans des affaires impliquant de potentielles victimes mineures, comme l'avait recommandé le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti en 2021. Cette même année, après la diffusion d'un numéro d'"Envoyé spécial" relayant des accusations de viols et d'agressions sexuelles contre Nicolas Hulot, le parquet de Paris avait annoncé dès le lendemain l'ouverture d'une enquête préliminaire, l'une des victimes déclarées étant mineure au moment des faits. Elle a été classée sans suite en 2022.
S'agissant des adultes, "il est laissé le soin aux victimes majeures de faire le choix, en pouvant consulter un avocat ou une association d’aide aux victimes, de confier leur récit au parquet ou à un service d'enquête", précise le parquet de Paris, ajoutant que "celles qui le souhaitent peuvent adresser un courrier au parquet de leur initiative ou par l'intermédiaire d’un avocat, ou se rapprocher d'un service d’enquête". Selon l'avocate Carine Durrieu-Diebolt, spécialisée dans les violences sexuelles faites aux femmes, "le procureur devrait mener une enquête, pour rechercher s'il existe des faits plus récents et d'autres victimes impliquées".
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