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Note aux policiers sur les violences conjugales : "C'est de la politique au fil de l'eau", dénonce un ancien procureur général

"C'est quand même extraordinaire qu'il faille attendre 2021 pour demander aux policiers de faire leur travail", pointe Luc Frémiot, magistrat honoraire.

Article rédigé par franceinfo
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Luc Frémiot, en juin 2016. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

"C'est du laisser-aller, c'est de la politique au fil de l'eau", parce que ça arrive "bien tard", dénonce mardi 1er juin sur franceinfo Luc Frémiot, magistrat honoraire, ancien procureur général à la cour d’appel de Douai, auteur de Non-assistance à femmes en danger, publié en février dernier aux éditions de l’Observatoire. Il réagit à la note interne envoyée aux policiers, leur demandant d'"améliorer la prise en charge des victimes" de violences conjugales et d'être "particulièrement réactifs" dans le "traitement des enquêtes".

franceinfo : Cette circulaire envoyée aux policiers peut-elle changer les choses, chez les gendarmes, dans les tribunaux ?

Luc Frémiot : Bien sûr, mais je suis atterré qu'après l'été meurtrier de 2019 où une femme était tuée tous les deux jours, on n'ait pas procédé à cela bien avant. Je réclame ça depuis des années. C'est quand même extraordinaire qu'il faille attendre 2021, le mois de juin, pour demander aux policiers de faire leur travail et de demander la même chose aux magistrats. C'est du laisser-aller, c'est de la politique au fil de l'eau. Quand on sait qu'il y a des plaintes anciennes et qu'il faut maintenant les réactiver... Mais c'est une horreur d'entendre ça. Plus le temps passe, plus les auteurs des violences se sentent dans la toute-puissance. Il y a un sentiment d'impunité qui se développe et la victime, bien évidemment, perd courage et ne vient plus déposer plainte. C'est atterrant ce qu'on entend aujourd'hui.

L'institution judiciaire n'applique pas les mesures qu'elle a à sa disposition. Là encore, le problème, il vient d'où ? D'un manque de communication entre les services, d'un manque de moyens humains, financiers ?

Tout est mélangé. Mais il est vrai qu'il n'y a aucune concertation. Il n'y a pas de politique de juridiction. Il n'y a pas de dialogue. Quand on sait par exemple qu'un juge d'application des peines est dans son coin et qu'il n'a pas forcément de rapport avec le procureur de la République. Quand on sait que le juge aux affaires familiales prend des ordonnances permettant à des auteurs de violences de recevoir leurs enfants, on se dit manifestement qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, on ne se parle pas.

Ce n'est pas possible que, si on se parlait, on arriverait à des décisions comme celles que l'on voit. Il faut obliger les services de police de rendre compte à leur hiérarchie de ce qu'ils ont en stock et de ce qu'ils font. Même chose pour les procureurs de la République. Il faut absolument que tous les trimestres, il y ait un état des lieux qui soit fait et qui soit communiqué à la Chancellerie de manière à ce qu'on vérifie si des consignes sont bien exécutées et si ça ne l'est pas, il faut des sanctions.

La pose de bracelets anti-rapprochement a aussi augmenté : il y a aujourd'hui 78 hommes qui portent ce dispositif. Est-ce un dispositif qui peut éviter les féminicides ?

On se moque du monde ! On part de zéro, il n'y en avait pas avant et aujourd'hui, on apprend qu'il n'y a que 78 bracelets anti-rapprochement. On sait qu'il y a plus de 220 000 femmes qui font l'objet de violences. Et on vient nous parler de 78 bracelets anti-rapprochement. On n'a pas non plus le nombre de fonctionnaires qu'il faut pour faire un état des lieux du suivi des bracelets anti-rapprochement. Il faut qu'il y ait quelqu'un au bout du fil lorsque la personne est géolocalisée et aujourd'hui, je ne suis pas du tout persuadé que les moyens sont réunis.

Est-ce qu'on ne sent pas quand même une certaine prise de conscience au sujet des féminicides dans les tribunaux, dans les services de la police, de la gendarmerie et même au sein du gouvernement ?

On sent surtout une fébrilité, parce qu'on est en train d'écoper un bateau qui est en train de prendre l'eau. Aujourd'hui, tout le monde s'en rend compte, parce qu'il y a des élections qui approchent et qu'il y a une grosse partie de la population qui prend conscience de ce fléau que représentent les violences familiales. Alors, évidemment, tout le monde est sur le pont, mais c'est bien tard. Il faut absolument que ça ne soit pas seulement une vue de l'esprit, que ce soit mis à exécution avec les mesures que je vous ai indiquées.

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