"#MeToo" des armées : "Les chiffres sont complètement sous-évalués", déplore la députée Laetitia Saint-Paul qui annonce "un plan d'action"
"Les chiffres sont complètement sous-évalués", a estimé jeudi 4 avril sur franceinfo Laetitia Saint-Paul, députée Renaissance de Maine-et-Loire et capitaine de l’armée de terre, alors que la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles dans l'armée commence à se libérer. Franceinfo a recueilli la semaine dernière le témoignage de Manon Dubois. Engagée en tant que cuisinière sur un navire de la marine, elle a été victime d’agressions sexuelles entre 2019 et 2022.
Après son témoignage, "j’ai reçu de l'ordre d'une quarantaine de témoignages, notamment des victimes, des parents de victimes, mais aussi beaucoup de membres des armées qui veulent absolument lutter contre ce fléau", a indiqué la députée. "Ça m'a surprise et inquiétée. L’inquiétude est partagée par le gouvernement puisque Sébastien Lecornu a décidé en urgence de rédiger une instruction pour rappeler toutes les obligations de la chaîne de commandement et qu'une agression sexuelle commise par quelqu'un ayant une autorité est une circonstance aggravante", a-t-elle rappelé.
"La hiérarchie n'est pas consciente des enjeux"
Après le témoignage de Manon Dubois, le ministre des Armées et son cabinet ont reçu Laetitia Saint-Paul et trois autres députés. Le ministre "a convenu que nous n'étions pas du tout dans un épisode à traverser, mais bien dans un chantier à mener. On va dérouler tout un plan d'action", a-t-elle annoncé. Sébastien Lecornu a, selon elle, "pris la mesure d'un aspect systémique et il veut absolument prendre le problème à bras-le-corps".
À l’époque des faits, Manon Dubois en parle à sa hiérarchie, mais cette dernière minimise les faits. Le marin agresseur est rappelé à l’ordre. Mais après une nouvelle agression, la jeune femme prévient sa chaîne de commandement qui déclenche une enquête. Devant la hiérarchie militaire, son agresseur reconnaît les faits. Une soixantaine au total. Il écope de 10 jours de mise à pied. "La hiérarchie n'est pas consciente des enjeux", a déploré Laetitia Saint-Paul.
Dans la grande "famille" de l'Armée, "dénoncer le problème, c'est devenir le problème"
L’ancien ministre des Armées, Jean-Yves Le Drian, a créé il y a 10 ans, la cellule Thémis, une plateforme permettant aux militaires victimes de harcèlement sexuel, de violences sexuelles et de discriminations à caractère sexuel, de saisir l’autorité hiérarchique. Thémis "est devenue presque l'outil pour que le commandement se débarrasse du sujet", a expliqué Laetitia Saint-Paul. "Normalement, c'est bien à la chaîne de commandement de mettre tous les outils en place pour que ça n'arrive pas, pour que les plaignantes ne deviennent pas le problème", a-t-elle précisé. Mais "l’Armée est une grande famille. Les plaignants craignent vraiment que dénoncer le problème, c'est devenir le problème. C'est une inversion totale de la chaîne des valeurs", a-t-elle regretté.
Le témoignage de Manon Dubois est loin d’être unique. Laetitia Saint-Paul reçoit tous les ans des témoignages analogues depuis qu'elle est devenue députée il y a sept ans. "Une jeune victime, un cadre chevronné, le commandement qui porte l'empathie vers le cadre chevronné qui a déjà rendu beaucoup de services plutôt que vers la victime, cite-t-elle. C'est inacceptable".
En 2023, 220 signalements pour violences sexuelles ont été recensés sur la plateforme Thémis, dont 28 viols et 73 agressions sexuelles."Le problème, c'est tout ce qui ne lui parvient pas."
"Ma conviction, c'est que les faits sont souvent étouffés au sein des unités."
Laetitia Saint-Paul, députée et capitaine de l’armée de Terreà franceinfo
"Les chiffres sont complètement sous-évalués et ne permettent pas une prise en compte structurelle"; affirme la députée. Elle propose un plan d’action en trois points : "Revoir les régimes des sanctions" et "bien rappeler la gravité des faits à la chaîne de commandement pour qu'il y ait une sanction pour se séparer de ces personnels". Enfin, "j’ai demandé à Sébastien Lecornu de lâcher ses plus fins limiers pour traiter le problème à la racine et faire le bilan de la cellule Thémis au bout de dix ans", a détaillé la députée.
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