Violences contre les journalistes en hausse : "Il y a une forme de détestation qui est en train de monter"
"On n'accepte pas que soit donné écho à la parole de l'autre, à une vision qu'on n'approuve pas", dénonce Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) qui a publié mardi un bilan 2018 des violences contre les journalistes en hausse.
"La question politique qui nous est posée, c'est comment faire pour promouvoir une information fiable, diverse et indépendante dans une démocratie aujourd'hui", a déclaré mardi 18 décembre sur franceinfo Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). Selon le bilan annoncé le matin par l'ONG, les violences contre les journalistes sont reparties à la hausse en 2018. 348 journalistes ont été emprisonnés, 80 ont été tués. Christophe Deloire dénonce "une forme d'affaiblissement des résistances à ceux qui voudraient passer à l'acte contre les journalistes" dans les démocraties et une "haine du pluralisme" de la part des citoyens.
franceinfo : La presse est de nouveau visée par des violences alors que les chiffres étaient en recul. C'est une tendance de fond et non pas une exception statistique ?
Christophe Deloire : Même si les pays dans lesquels le plus de journalistes sont tués demeurent l'Afghanistan ou la Syrie, ce qu'on observe, c'est qu'il y a plutôt une régression du nombre de journalistes assassinés dans des conflits. Ce qui est en train de se passer, c'est que dans des pays en paix, les journalistes sont ciblés. Deux tiers des journalistes morts dans l'exercice ou en raison de leurs fonctions ont été sciemment visés. Ce ne sont pas des victimes collatérales parce que le métier est dangereux. Ce sont de plus en plus de journalistes d'investigation qui enquêtent sur des sujets sensibles - la corruption, l'évasion fiscale, les discriminations contre les femmes, les questions environnementales - et les journalistes qui enquêtent sur la mafia. Les normes sont en train de changer. Sur le plan international, des régimes despotiques se permettent des choses qu'ils ne se permettaient pas. Le summum, c'est l'assassinat de Jamal Khashoggi au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul. Les normes sont d'une certaine manière aussi en train de changer dans les démocraties, où il y a une forme d'affaiblissement des résistances à ceux qui voudraient passer à l'acte contre les journalistes, avec une haine spontanée mais qui est largement entretenue. Ce dont on s'aperçoit cette année, c'est que ces discours, ces mots, in fine, mènent au passage à l'acte.
Il y a un climat de défiance envers la presse, en France aussi. On a eu plusieurs exemples autour du mouvement des "gilets jaunes". Les journalistes passent pour des auxiliaires du pouvoir ?
On est dans un mouvement où se développe malheureusement une forme de haine du pluralisme. Non pas que les journalistes soient parfaits, mais si on regarde de très loin, le journalisme de manière générale représente largement l'information indépendante et fiable. Il y a une forme de détestation qui est en train de monter, qui est liée au fait qu'on n'accepte pas que soit donné écho à la parole de l'autre, à une vision qu'on n'approuve pas. Ça fait en plus l'objet d'une instrumentalisation politique, et c'est de plus en plus le cas sur le territoire européen, avec des politiques institutionnelles très hostiles au journalisme menées comme en Pologne et en Hongrie. Quand des dirigeants politiques propagent une forme de haine parce qu'ils estiment que politiquement, ça peut les servir, je ne sais pas s'ils se rendent compte à quel point ça dessert les systèmes démocratiques. Mais en tout cas, le droit de chacun à des informations fiables est largement mis en péril par les rumeurs et l'information sponsorisée par l'intérêt.
La nature de l'information a beaucoup changé depuis quelques années. Est-ce que ça peut jouer dans le rapport de la population aux journalistes ?
Évidemment qu'il y a à redire sur la manière dont les choses sont faites. Mais en tant que citoyen, il faut se demander comment faire en sorte d'avoir l'information la plus fiable, la plus diverse, la plus indépendante possible. Le journaliste a évidemment un rôle à jouer et la critique des médias est très légitime. Mais s'en prendre de manière violente aux journalistes, ce n'est certainement pas régler le problème mais plutôt l'aggraver. Les erreurs comme les fautes, ça arrive. Les journalistes sont des êtres humains. Mais doit-on pour autant faire plus confiance à des gens qui propagent de la pure propagande ? La question politique qui nous est posée, c'est comment faire pour promouvoir une information fiable, diverse et indépendante dans une démocratie aujourd'hui.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.