Une fondation controversée sur la guerre d'Algérie
La première tâche de la fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie sera sans doute de prouver sa propre légitimité. Elle a été installée ce mardi aux Invalides, à Paris, par le secrétaire d'Etat aux Anciens combattants, Hubert Falco. Et elle provoque déjà une levée de boucliers.
Le pêché originel, celui qui provoque la méfiance des historiens et de certains des acteurs de la guerre d'Algérie, c'est qu'elle est née de la loi 23 février 2005, “portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés”. Le texte avait lui-même fait flamber une polémique des deux côtés de la Méditerranée en recommandant aux enseignants d'insister sur “les aspects positifs de la colonisation” auprès de leurs élèves. L'article avait finalement été abrogé.
_ L'idée de la fondation avait elle aussi été abandonnée. Mais elle a été relancée par Nicolas Sarkozy en décembre 2007. Le président estimait qu'elle contribuera à la réconciliation des mémoires.
Cette tâche originelle, dans l'esprit de ses opposants, est encore réhaussée par la composition du conseil d'administration, qui décide du financement. Le budget du nouvel organisme s'élève en effet à 7,2 millions d'euros. L'Etat en apporte trois. Le reste provient de trois associations d'anciens combattants : la Fédération nationale André Maginot, les “Gueules cassées” et Le Souvenir français. Certains dirigeants de ces associations ont signé le manifeste des généraux, au début des années 2000. Il minimise et justifie l'utilisation de la torture par l'armée pendant le conflit.
D'où le scepticisme des historiens spécialisés les plus reconnus, comme Benjamin Stora, Jean-Pierre Rioux ou Jean-Charles Jauffret. Ils ont refusé d'entrer au conseil scientifique, jugeant que le travail de la fondation risquait d'être orienté et de favoriser une vision de l'Algérie et de la guerre conforme à celle de l'armée et des nostalgiques de la période coloniale. Ils dénoncent une opération électoraliste, destinée à flatter un lobby encore actif et s'inquiètent des conditions dans lesquelles des archives privées pourraient être collectées.
Autre grande absente, la FNACA, principale association d'anciens combattants d'Algérie avec 350.000 adhérents. Elle dénonce une sélection par l'argent : les associations qui n'ont pas versé leur écot sont exclues du conseil d'administration.
Manquent aussi à l'appel les Algériens. Pas le moindre représentant de l'Algérie à l'inauguration de la fondation. Un choix unilatéral curieux pour un organisme destiné à “soigner les plaies” encore vives de cette histoire, qui pèse encore sur les relations franco-algériennes.
Hubert Falco et Claude Bébéar, le président de la fondation, ont assuré qu'elle serait “un lieu ouvert où on s'efforce de réconcilier les mémoires sur ce conflit qui a déclenché tant de passions”, promet le secrétaire d'Etat. Réconcilier les mémoires n'est pas la question pour les historiens : il s'agit d'abord d'écrire une histoire dépassionnée. Si c'est possible.
Grégoire Lecalot
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