Un sexe "neutre" à l'état civil : quatre questions sur un jugement inédit
Une personne née avec des organes génitaux masculins et féminins, et qui ne s'identifie ni comme homme, ni comme femme, a obtenu de la justice le droit de bénéficier d'un état civil inédit.
C'est un jugement qui pourrait être historique : une personne intersexuée a obtenu le droit de changer son état civil pour y apposer la mention "sexe neutre", a révélé, mercredi 14 octobre, son cabinet d'avocats. Née avec des caractères sexuels masculins et féminins, et ne s'identifiant à aucun des deux genres, cette personne a obtenu gain de cause, à la fin août, devant le tribunal de grande instance de Tours (Indre-et-Loire). Une décision inédite en Europe. Francetv info répond aux quatre questions que vous vous posez sur ce jugement.
Pourquoi la justice a pris cette décision ?
Dans sa décision, mise en ligne par le cabinet d'avocats de cette personne et révélée par 20 Minutes, le juge insiste d'abord sur l'impossibilité concrète de lui attribuer un sexe. Médicalement, ses organes génitaux présentent à la fois des aspects féminins et masculins, et il ne produit ni hormones masculines, ni féminines. Ses proches attestent de cette ambiguïté : il n'est "ni garçon, ni fille, ni les deux", explique son épouse. "Force est de constater que ni les médecins ni l'entourage de XXX [...] ne peuvent affirmer que le sexe masculin, que l'officier d'état civil a mentionné à sa naissance, corresponde à une réalité quelconque", estime le juge.
"Pas plus que lui-même", ajoute-t-il, mettant en avant l'importance de l'aspect psychologique sur les considérations médicales. A la barre, l'individu a expliqué ne pas se reconnaître dans "la posture masculine" qu'il a dû adopter dans l'enfance, "sans toutefois vouloir devenir une fille".
Quels en sont les fondements juridiques ?
La loi demande de définir le sexe de l'enfant à sa naissance. Mais pour le juge, elle ne prévoit pas de cas où il est impossible de le faire, créant "un vide juridique". Il s'en remet à la Convention européenne des droits de l'Homme qui donne droit au "respect de la vie privée". Une notion qui, dans la jurisprudence, peut inclure l'identité sexuelle, et le droit de la définir de façon autonome.
Cette personne va donc changer son état civil ?
Le tribunal de grande instance a, dans sa décision, ordonné de substituer la mention "sexe : neutre" à celle de "sexe masculin" de son acte de naissance. Mais cette décision ne peut pas encore être exécutée, explique son cabinet d'avocats, car le ministère public a fait appel.
Cette décision peut-elle créer un "troisième sexe" ?
C'est ce que craint le ministère public, qui s'est prononcé contre cette décision dans ses réquisitions, puis a fait appel. Dans son jugement, le Tribunal se défend : son intention n'est pas de reconnaître "l'existence d'un quelconque 'troisième sexe'", assure-t-il. Il constate simplement qu'on ne peut pas classer cette personne d'un côté ou de l'autre de cette division, et que "la mention qui figure sur son acte de naissance" est donc erronée et à corriger.
C'est aussi pour cela, explique le tribunal, que le terme de "sexe neutre" a été préféré à celui "d'intersexe", "qui conduit à une catégorisation qu'il convient d'éviter, et qui apparaît plus stigmatisant".
Les avocats rappellent, eux aussi, dans une analyse publiée sur leur site, que cette décision est "individuelle" et ne crée pas une règle générale. Ils espèrent tout de même qu'elle fera autorité, et que d'autres tribunaux confirmeront ce jugement.
Ils voient aussi dans cette décision une victoire contre la pratique d'opérer les enfants intersexués à la naissance, qu'ils jugent "inutile, inefficace et dangereuse". Ils espèrent aussi, comme ils l'expliquent dans leur communiqué, que cette décision viendra appuyer un projet d'amendement à une proposition de loi sur le changement d'état civil des personnes trans. Un amendement qui inscrirait cette fois dans la loi le droit à une mention autre que "masculin" ou "féminin" sur son état civil.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.