Supprimer "bon père de famille" du Code civil fait-il vraiment avancer la cause féministe ?
Claudie Baudino, spécialiste des questions de genre, explique à francetv info en quoi l'abandon de cette expression historique est importante pour faire avancer l'égalité hommes-femmes.
Le "bon père de famille" est prié de faire ses valises. A l'occasion du débat sur le projet de loi pour l'égalité femmes-hommes, les députés ont adopté, tard mardi 21 janvier, un amendement proposé par les écologistes, qui prévoit de supprimer cette expression du Code civil. Jugée "désuète" et évoquant le "système patriarcal", la notion de gestion "en bon père de famille" va donc céder sa place dans la loi à la notion de gestion "raisonnable".
Pour en savoir plus sur l'impact du langage sur le sexisme d'une société, francetv info a interrogé Claudie Baudino. Politologue et spécialiste des questions de genre dans la langue, elle est l'auteure de Prendre la démocratie aux mots : Pour une réappropriation citoyenne de la langue et de ses usages (L'Harmattan, 2008).
Francetv info : Les députés ont adopté un amendement supprimant l’expression "bon père de famille" du Code civil. C'était important ?
Claudie Baudino : Ce vote va dans le sens de l’Histoire. D'une certaine manière, le terme de "bon père de famille" venait inscrire dans la loi l'inégalité entre les femmes et les hommes : celui qui gérait une chose en "bon père de famille" ne pouvait être que l'homme, le chef, celui qui détenait l'autorité. Cette évolution entérine la volonté d'égaliser les rôles des femmes et des hommes dans le mariage.
Dans quelle mesure ce type de décision, comme la suppression du terme "mademoiselle" des formulaires administratifs, fait-il avancer l’égalité hommes-femmes ?
On a souvent l'impression que toucher au langage est superflu, qu'il ne s'agit que de s'amuser avec les mots. Mais la langue est révélatrice d'un ordre social, et d'inégalités ! L'exemple du "mademoiselle" dans les formulaires administratifs est à ce titre révélateur : les femmes avaient deux possibilités de se désigner dans l'espace public, et les hommes une façon.
Cette différence linguistique cachait une différence de statut : en devant choisir entre "madame" ou "mademoiselle", on obligeait les femmes à indiquer leur disponibilité amoureuse ou sexuelle dans l'espace public. Ce que les hommes n'ont jamais eu à faire.
Bien sûr, la suppression du mot "mademoiselle" des formulaires ne fait pas avancer spontanément l'égalité femmes-hommes, mais cela permet de faire prendre conscience que les mots ne sont pas innocents, et peuvent avoir un usage discriminatoire. Si certains le réalisent, la partie est gagnée.
Au-delà de la loi, quelles traces le sexisme a-t-il encore laissées dans le langage ?
Il reste des progrès à faire dans la féminisation des noms de métiers, même si la situation s'est largement améliorée depuis le début des années 1980. A l'époque, cette idée semblait complètement fantaisiste. Mais même aujourd'hui, l'Académie française se montre réticente sur le sujet. C'est d'autant plus dommage que la Commission générale de terminologie et de néologie, qui est chargée de faire des propositions pour enrichir la langue française, a rendu dès 1999 à l'Académie un rapport qui jugeait qu'il n'existait pas d'obstacle grammatical ou linguistique à la féminisation des métiers.
On pourrait également se pencher sur les accords en genre, avec la fameuse règle qui stipule que le masculin l'emporte toujours sur le féminin. L'ouvrage de référence Le Bon Usage du grammairien Maurice Grevisse, qui se base sur des exemples littéraires, montre que cette règle ne se vérifie pas systématiquement. Certains auteurs faisaient ainsi des accords de proximité, et accordaient l'adjectif avec le mot le plus proche. Ils auraient pu écrire : "pour que les hommes et les femmes soient belles", par exemple !
La même question se pose avec les accords en nombre. Lorsqu'on lit : "Un homme et cent femmes ont été faits prisonniers", cela paraît étrange. Dans ce genre de cas, on pourrait s'affranchir de la règle, et l'appliquer de façon compréhensive. Cela permettrait aux enseignants de ne plus répéter aux petites filles que le masculin l'emporte quoi qu'il arrive sur le féminin : c'est là un message envoyé par toute la société.
Enfin, certains mouvements queer [personnes qui ne se reconnaissent pas dans une norme exclusivement hétérosexuelle] et trans proposent d'introduire un nouveau pronom, qui ne soit ni "il", ni "elle", mais neutre. Cela permettrait aux personnes qui ne souhaitent pas se définir par leur sexe d'avoir la possibilité de faire autrement. La Suède a fait ce choix, même s'il est compliqué à mettre en œuvre.
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