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"Tout le monde savait" : la sœur d'une victime présumée du père Matassoli, accusé de pédophilie et tué dans l'Oise, témoigne

Le père Roger Matassoli a été tué chez lui, dans l'Oise, début novembre. Un suspect a été interpellé et une enquête est en cours. Mais avec la mort de l'abbé, ont aussi  éclaté au grand jour les accusations de pédophilie dont il faisait l'objet. La soeur d'une victime présumée témoigne lundi sur franceinfo.

Article rédigé par franceinfo - Flavien Groyer
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
Le presbytère de Saint-André-Farivillers, où habitait l’abbé Matassoli entre 1967 et 2009.  (FLAVIEN GROYER / RADIO FRANCE)

Le 4 novembre, l'abbé retraité Roger Matassoli est retrouvé mort dans sa maison d’Agnetz, dans l'Oise, un crucifix enfoncé dans la gorge. Un homme âgé de 19 ans est rapidement interpellé et hospitalisé "sous contrainte", son attitude laissant supposer "d'importants problèmes mentaux", selon le parquet de Beauvais. 

Très vite après l'annonce de la mort de l'abbé, des langues se délient et éclate au grand jour les accusations de pédophilie dont il faisait l'objet, sans qu'il ne soit jamais inquiété par la justice. Plusieurs hommes accusent en effet le prêtre d'abus sexuels alors qu'ils étaient enfants de coeur ou participants au catéchisme. Jacques a été, étant jeune, l'une des victimes présumée du père Matassoli. Depuis, il est décédé et c'est sa soeur Colette qui témoigne aujourd'hui sur franceinfo "pour que l’Eglise et la Justice prennent la mesure de ces actes horribles et qu’on écoute les enfants".

Des soupçons dès les années 80

En 1984, dans le petit village picard de Saint-André-Farivillers, des habitants retrouvent dans une décharge une photo de l'abbé Matassoli dévêtu. Il expliquera que cette photo est un souvenir de l'armée quand il avait 18 ans. Mais pour Colette, "il ne ressemblait pas à un jeune de 18 ans sur cette photo". Les jeunes garçons du village, enfants de chœur ou simples participants au catéchisme, sont régulièrement invités le jeudi chez le prêtre, dans son presbytère.

À cette époque, des rumeurs de pédophilie circulent déjà, raconte Colette. "Certaines personnes disent qu’il a été muté [en 1967] à Saint-André car il touchait des enfants dans son autre paroisse de Clermont", raconte-t-elle. Elle demande alors à son jeune frère Paul s'il a subi des sévices de la part de l’abbé : "Il me dit qu’il a pris une douche nu chez l'abbé et que Matassoli aussi était nu." Troublée, elle va questionner son autre frère Jacques, 22 ans à l’époque. "Jacques était rustre, un gamin taciturne et assez réservé. Je me suis dis que j'allais me faire envoyer bouler. En fait pas du tout, il a fondu en larmes", confie Colette. Jacques lui raconte alors ce qu'il a vécu : "Il me dit que l'abbé avait jeté son dévolu sur lui", raconte-t-elle.

Il y avait des douches, il y avait des mises en scènes de photo : le prêtre demandait à Jacques de se mettre nu sur son lit. Matassoli se masturbait également sur mon frère.

Colette, la soeur de Jacques, victime présumée du père Matassoli

à franceinfo

Roger Matassoli avait aussi pour habitude de venir manger chez la famille : "À la fin du repas, il prenait toujours un enfant sur les genoux et c'était souvent Jacques. Mon frère m'a avoué qu'à ce moment, le curé lui touchait le sexe." Colette raconte également un autre épisode, alors que Jacques est en colonie scout dans le Jura : "Il avait évoqué ces sévices à un de ses camarades, qui ne l'a pas cru. Jacques n'a plus jamais osé parler."

Omerta dans la commune

Selon sa soeur, les abus subis par Jacques ont duré entre ses 6 et ses 15 ans. Dans le village, tout le monde connaissait les rumeurs, mais Matassoli les a toujours niées : "Je me demande comment il pouvait regarder dans les yeux les fidèles qui venaient à la messe", raconte aujourd'hui Colette. "Mon père et Jacques sont allés voir Matassoli pour qu'il reconnaisse le mal qu'il a fait à mon frère. C'était un moment important pour toute la famille. Le curé a nié en bloc, il a dit devant Jacques qu'il racontait des histoires et que c'était sa sensibilité qui lui faisait reconstruire des choses." Et personne n'osait rien dire dans l'entourage des victimes. "Roger Matassoli avait un tel charisme, se souvient Colette. C'était un prêtre souriant et moderne. Il faisait jeune quand nos parents étaient vieux jeu. Mes frères me racontaient qu'il y avait du Coca et de l’Orangina chez lui, à l'époque on ne savait pas ce que c'était." 

Chez lui, il y avait un grand train électrique au grenier. Il faisait envie à tous les enfants de Saint-André et d’ailleurs.

Colette

à franceinfo

Colette est certaine que le curé, la figure du village, était protégé par le silence des notables, de grands propriétaires terriens. "Ma sœur était allée voir un conseiller municipal, il lui a répondu 'n'en parle pas sinon on n'aura plus de curé dans la commune'", raconte-t-elle, encore sous le choc. Une théorie partagée par une habitante de Saint-André-Farivillers : "Les gens qui auraient pu protéger les enfants ont protégé le prêtre. Le curé savait manipuler les gens donc on ne disait rien. Et puis, il faisait beaucoup de choses bien dans le village." Mais un ancien adjoint du village, en poste lorsque Matassoli officiait, réfute cette idée : "Oui, des rumeurs circulaient, mais ce n'était que des rumeurs. Personne n'est venu nous parler d'abus sexuels avérés. Personne ne le protégeait."

Interdit de ministère mais jamais inquiété par la justice

Jacques et sa famille, détruits par cette histoire, vont porter plainte dès la confession de Jacques. Mais l'enquête ne donne rien, en raison du délai de prescription. En 2002, la famille envoie une lettre à l'évêché. Elle est égarée et ne ressortira que seize ans plus tard : "À cette date, c'était un moment de transition entre deux évêques. La lettre a dû se perdre", explique l'évêque actuel de Beauvais, Mgr Jacques Benoit-Gonnin. Ce dernier arrive en poste en mai 2010, il ne sait alors rien de Matassoli. Il est rapidement mis au courant par une victime, Jean-Paul, du penchant pédophile de Matassoli pour des faits datant de 1962 à Clermont (Oise).

Pourquoi n'a-t-il pas contacté la justice ? "Dans les années 2010-2011, la pratique pour les évêques était de dire si les faits sont prescrits ou non, là ils l’étaient, répond l'évêque. On ne le ferait plus maintenant", reconnaît-il. "En plus, je n'ai le témoignage que de cette victime qui ne veut pas porter plainte, ajoute Mgr Jacques Benoit-Gonnin. Et puis j'ai l'abbé Matassoli qui m'explique que c'est la seule, je le crois." Sauf qu'en juillet 2018, Mgr Benoit-Gonnin apprend qu'une plainte a été déposée.

S'il y a une deuxième victime, c’est qu'il peut y en avoir d’autres. Je suis alors très contrarié. C’est à partir de là que je lui retire tous ses ministères car je ne peux plus le croire.

Mgr Jacques Benoit-Gonnin

à franceinfo

En tout, trois personnes ont contacté le parquet de Beauvais depuis juillet 2018 mais l'action publique est désormais éteinte car les faits sont prescrits et l’abbé est décédé. Une enquête canonique a également été demandée par Rome mais elle n'est jamais arrivée à son terme. Elle avait pour but d'entendre les victimes qui se font connaître auprès de l'Église. Colette, une de ses sœurs et un de ses frères sont conviés pour témoigner en avril 2019. "L’abbé Matassoli n'a pas été entendu. En stricte rigueur canonique, on aurait dû l'entendre", explique l'évêque. Mgr Benoit-Gonnin avoue ne pas avoir envoyé les conclusions de l’enquête à Rome : "J’ai mis beaucoup de temps à écrire. Jusqu'au moment de la mort de l’abbé, je n'avais toujours rien envoyé à Rome."

Colette, elle, reste persuadée que le père Matassoli a fait de nombreuses victimes. "Depuis 1984, je peux vous dire qu’il y a malheureusement beaucoup de petits garçons qui sont passés entre ces pattes", affirme-t-elle. Elle leur demande aujourd'hui de se faire entendre. Matassoli ne serait pas seul dans l’Oise. Sans en dire plus, Mgr Benoit-Gonnin confie qu'il a eu vent d'autres affaires de pédophilie impliquant d'autres prêtres de son diocèse.

Accusé d’avoir abusé du père de son meurtrier présumé

Le suspect numéro 1 du meurtre du prêtre, Alexandre, est toujours hospitalisé en psychiatrie. Il n'a pas encore été entendu par les enquêteurs. Caty Richard, l'avocate d'Alexandre, explique que Matassoli a aussi sévi dans cette famille : "On sait aujourd’hui que son père [celui d’Alexandre] a été victime de l’abbé." Il a d’ailleurs été entendu par Mgr Benoit-Gonnin. "On sait aussi que ce papa a tenté de protéger ses enfants et puis après le divorce, il est retombé dans les griffes de Matassoli." L'avocate continue : "Alexandre a évoqué des faits qui étaient de nature à le perturber profondément. Il a été question d’Alexandre faisant le ménage nu pour le prêtre." Pour l'instant, rien n'indique que le meurtre est lié à une vengeance.


Une cellule diocésaine d’accueil et d’écoute est toujours disponible pour que les victimes d’abus se fassent connaître : ecoute.victimes@oise-catholique.fr ou par téléphone au 03 44 06 28 25 (de 9h à 12h30 et de 14h à 17h, en semaine)

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