"Les leaders sectaires doivent danser en ce moment" : les associations expriment leur colère après le déménagement express de la Miviludes
Les services du nouveau Premier ministre ont décidé de récupérer les locaux qu'occupait jusque-là la Mission de lutte contre les dérives sectaires. Une preuve de plus, selon certains, du peu d'intérêt accordé à son travail.
Pour mener à bien sa politique, Jean Castex a besoin de monde, et donc de place. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui occupait une partie des locaux appartenant au cabinet du Premier ministre, a été priée de déménager. Et vite !
"On avait trois jours pour tout débarrasser et partir", raconte l'un des membres de la Miviludes, qui était justement en train de scotcher ses cartons quand franceinfo l'a appelé. "Quand il y a un changement d'équipe dans les ministères, on sait que ce sont des choses qui peuvent arriver. On nous a trouvé une solution de repli du côté des services administratifs de Matignon." "Enfin là, c'est quand même précipité, grince des dents un autre fonctionnaire. Surtout qu'on va devoir encore bouger dans un ou deux mois, quand Beauvau nous aura trouvé une place..."
Placée sous l'autorité de Matignon depuis sa création en 2002, la Miviludes, qui reçoit environ 2 500 signalements par an, va désormais être rattachée au ministère de l'Intérieur, précisément au sein du Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR). Ce changement, décidé dès fin 2019, a pris officiellement effet dans un décret présenté en Conseil des ministres mercredi 15 juillet. Il "s'appuie sur la nécessité de renforcer le partage de compétences entre la Miviludes et le SG-CIPDR sur les questions d'emprise mentale et de lutte contre les nouvelles formes de radicalité", peut-on lire dans le texte paru au Journal officiel.
"Une condamnation à mort de la Miviludes"
Selon la place Beauvau, ce "rattachement" s'explique notamment par "la nécessité (...) de partages de compétences avec d'autres organismes qui n'existaient pas lors de sa création, comme le secrétariat général du CIPDR par exemple". La Miviludes et le CIPDR ont "un point commun important : la lutte contre les nouvelles formes de radicalité et les phénomènes d'emprise et d'enfermement", souligne le ministère.
Les associations qui viennent en aide aux victimes pensent exactement le contraire. La présidente de l'Association de défense des familles et de l'individu victimes de sectes y voit "un mauvais signe vis-à-vis du mouvement sectaire". "La spécificité du mouvement sectaire risque de disparaître, au profit d'une certaine similitude dans le processus de radicalisation. Or, le phénomène sectaire touche tous les domaines de la société et des acteurs très différents. Ils sont différents de ceux de la radicalisation. On ne sait pas sur combien de personnes la nouvelle structure pourra compter et ce qu'elle aura comme possibilité d'action", s'alarmait Marie Drilhon en décembre dernier, sur franceinfo.
Dans les couloirs du Centre national d'accompagnement familial face à l'emprise sectaire (Caffes), on estime que "cette histoire de déménagement contraint et forcé n'est qu'un épisode de plus dans la transformation en cours de la Mission." "Les leaders sectaires doivent danser en ce moment", ironise sa présidente, Charline Delporte. Avant d'enchaîner, très remontée : "Pourquoi maintenant, durant la période estivale où chacun regarde ailleurs ? Cela ressemble de trop près à une condamnation à mort de la Miviludes".
Quand j'entends Emmanuel Macron dire que l'on doit être plus au contact des personnes fragiles... On fait exactement l'inverse, là !
Charline Delporte, présidente du Caffesà franceinfo
Georges Fenech, qui a présidé la Miviludes de 2008 à 2012, estime aussi que cette décision est "une catastrophe". L'ex-magistrat et député juge que la lutte contre les sectes doit relever de plusieurs ministères.
Certes, les sectes se retrouvent dans le monde religieux. Mais elles sont aussi présentes dans la santé, l'éducation, la culture ou le monde sportif.
Georges Fenech, ex-président de la Miviludesà France Inter
Sollicité par franceinfo, un ancien fonctionnaire de la Miviludes se dit tout aussi "peiné par tout ça", avant d'avoir "une grosse pensée pour les victimes et leurs familles qui sont, elles, les premières à souffrir de ce changement d'intérêt." "A force, le combat va cesser, faute de combattants, finit-il par lâcher. On était une vingtaine de fonctionnaires il y a encore quelque temps, ils sont moins d'une dizaine à présent". Depuis son départ à la retraite en octobre 2018, le dernier président de la Miviludes, Serge Blisko, n'a d'ailleurs toujours pas été remplacé.
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