Quatre questions sur le retour du débat sur les crèches dans les lieux publics
Le rapporteur public du Conseil d'Etat a recommandé vendredi d'autoriser, sous conditions, l'installation de crèches de Noël dans les bâtiments administratifs, au nom du principe de laïcité.
Vous aimez les débats sur la laïcité ? Celui sur les crèches dans les lieux publics revient à l'ordre du jour. A deux mois de Noël, le Conseil d'Etat est invité à se prononcer sur le dossier dans les semaines qui viennent. Le rapporteur public du Conseil d'Etat, dont l'avis est généralement suivi, a recommandé, vendredi 21 octobre, d'autoriser, sous conditions, l'installation de crèches de Noël dans les bâtiments administratifs, au nom du principe de laïcité. Explications.
D'où vient cette polémique ?
L'Association des maires de France avait décidé fin 2014 d'élaborer un guide de "bonne conduite laïque" à destination des élus locaux. L'élaboration de ce fascicule avait été accélérée après les attentats de janvier 2015. En novembre 2015, rappelle Le Parisien, l'association avait publié un document préconisant notamment d'écarter les crèches des mairies ou les menus confessionnels des cantines.
Sans convaincre tout le monde. Xavier Bertrand, par exemple, s'y était opposé. "Quand j'entends aujourd'hui des préconisations, notamment de l'Association des maires de France, disant 'On ne peut pas avoir de crèches dans les mairies', s'il y en a déjà eu, je suis désolé, on les garde. Si nous commençons à vaciller aussi sur nos valeurs et sur nos traditions, ce pays est fichu."
Pourquoi le Conseil d'Etat a-t-il été saisi ?
Le Conseil d'Etat, examinait vendredi deux affaires liées à l'installation de représentations de la scène de la nativité dans des lieux publics. Plus précisément, le dossier était présenté devant l'"assemblée du contentieux", une formation de 17 juges présidée par le vice-président du Conseil d'Etat et chargée d'examiner les affaires "qui présentent une importance remarquable".
Ces deux affaires avaient donné lieu à des décisions contradictoires de la justice. En octobre 2015, la cour d'appel de Nantes avait validé l'installation d'une crèche au conseil général de Vendée. Celle de Paris avait au contraire donné raison à l'association qui refusait l'installation d'une crèche à la mairie de Melun. En première instance, les décisions avaient été diamétralement opposées.
A l'origine de ces affaires, des plaintes d'associations de défense de la laïcité, affilées à la Fédération nationale de la libre pensée.
Que dit le rapporteur public ?
Pour le rapporteur public, "l'article 28 de la loi de 1905 et, surtout, le principe de neutralité dont la portée est plus grande (...) n'interdisent pas par principe l'installation d'un crèche sur le domaine public", à moins qu'il ne s'agisse d'un "geste de reconnaissance d'un culte".
A l'instar du burkini, autorisé sur les plages tant que l'ordre public n'est pas troublé, cette autorisation de principe doit être assorti de conditions strictes : que l'installation de la crèche s'inscrive "dans le temps festif lié à la célébration de Noël" ; qu'elle ne soit accompagnée d'aucune "initiative teintée de prosélytisme religieux" ; et qu'elle revête le "caractère d'une manifestation culturelle ou à tout le moins festive".
Autrement dit, une crèche autour de laquelle on organiserait des prières serait à proscrire ; et mieux vaut exposer les santons "dans un lieu destiné à la circulation du public et apprêté pour Noël" qu'"entre le buste de Marianne et le drapeau tricolore".
Le Conseil d'Etat doit se prononcer dans les prochaines semaines. Mais les avis du rapporteur public sont, en règle générale, suivis.
Comment justifie-t-il cette position ?
Le rapporteur public estime que si la crèche a longtemps revêtu un caractère religieux, elle a été "emportée" par le mouvement de sécularisation de la société consécutif à la Révolution française. A compter du XIXe siècle, elle "essaime" dans les foyers non catholiques pour devenir, comme les décorations de Noël, un "accessoire festif de célébration". Au point qu'aujourd'hui, les santons connaissent des chiffres de vente bien supérieurs au nombre des chrétiens pratiquants...
Pour autant, "contrairement au sapin de Noël", la crèche "porte encore en 2016 la trace perceptible de sa dimension religieuse". "Nous ne croyons pas que ce contexte vous impose d'instruire par principe le procès de la crèche au risque, à vouloir trop traquer le religieux derrière la tradition festive ou le folklore, d'attiser des soupçons et des controverses qu'il vous appartient plutôt d'apaiser", a conclu le rapporteur, appelant les juges à "privilégier la dimension pacificatrice de la laïcité". Avant d'ajouter que la justice devra en revanche "censurer" sans état d'âme ses éventuelles "instrumentalisations".
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