Radio HDR : un "pompier" sonore dans un quartier sensible
Vingt ans : tout un symbole de jeunesse. Mais pour une radio associative, l'âge est respectable. Quand l'idée est née d'une radio destinée à donner la parole à un quartier en crise, destinée aussi à montrer que tout ce qui s'y déroulait n'avait pas vocation à figurer dans la rubrique faits divers, son fondateur, Moïse Gomis, ne pensait peut-être pas que l'expérience serait aussi durable. En 1995, le quartier des Hauts de Rouen vit en effet des émeutes suite à la mort d'un jeune homme, abattu par des gendarmes. Le dialogue n'existe plus. L'autorité et tout ce qui peut la représenter est devenue une menace. Le quartier semble à la dérive.
Ironie du sort, c'est dans l'ancienne gendarmerie des Hauts de Rouen que la radio a installé ses studios, en 1998. Les cellules, avec leurs gros verrous, sont encore là. Mais elles ne renferment plus que du matériel et leurs portes sont peintes de courbes blanches et rouges rappelant la diffusion des ondes. Quant à la lourde porte métallique, elle n'est plus une barrière, raconte Nicolas Leborgne, technicien et responsable des programmes : "La porte d'entrée reste ouverte des heures et des heures, puisque le soir, de 8h jusqu'à 22 ou 23h puisque le soir, il y a des émissions de bénévoles. Et ici c'est bienvenue à tout le monde ".
L'esprit de la radio HDR est résumé par cette revue de presse hebdomadaire, faite par un bénévole : "Je suis Charlie et je vous dis bonjour, à toutes les auditrices et auditeurs de la radio HDR ", lance-t-il dans son édition qui suit les attentats. Ni journaliste, ni animateur, le titulaire de cette chronique est vendeur de kebabs dans le centre de Rouen. Très ému au micro, il survole la presse puis finit par un message d'espoir : "Je vous souhaite une bonne année et victoire et Je suis Charlie! ", conclut-il.
"Ca s'atténue, mais beaucoup de gens ont peur encore de monter sur les Hauts de Rouen ".
Réalisée dans le quartier, la radio fait appel à des intervenants de toute l'agglomération, sur laquelle elle est diffusée. Au lendemain des attentats, elle a réalisé une émission avec des bénévoles et des intervenants. Des dizaines de messages ont été diffusés : tolérance, liberté, appels à éviter les amalgames, à rester unis. Loin des clichés qui peuvent véhiculer des quartiers comme les Hauts de Rouen. Sonia a animé cette tranche en compagnie de l'ancien directeur-fondateur, Moïse Gomis : "Sur les quartiers, on a tendance à véhiculer l'insécurité etc ", regrette la jeune femme, "Ca s'atténue, mais beaucoup de gens ont peur encore de monter sur les Hauts de Rouen. Moi je vis dans le quartier. Effectivement, il y a des choses qui ne sont pas toujours très faciles. Mais il y a aussi beaucoup de mouvements de solidarité, d'associations très actives. Et c'est pour ça qu'il faut éviter de mettre des cloisons, des murs et la radio HDR, elle est là pour ça ".
Rompre l'isolement, changer l'image et revaloriser ces quartiers, c'est aussi la clé pour Tufek Ababsa, journaliste depuis le début. Entre reportages et sport, il fait partie des figures du quartier et de la station : "Dans le cadre de la politique de la ville et de la rénovation urbaine, on se pose la question : qu'est-ce qui se passe après ? En fait la radio, les gens peuvent entrer. Tout à l'heure un habitant du quartier est venu boire un café puis il s'en va. Si on se balade, il y a des nouveaux lotissements, des nouveaux bâtiments. On a pensé au bâti, certes. Mais aujourd'hui, il faut recréer du lien social dans ces quartiers-là ".
Grande silhouette et fine moustache, Chérif Kane passe la tête par la porte et salue tout le monde. Coordinateur de l'association et journaliste, il a été à la rencontre de nombreux habitants depuis une semaine. Fier de l'action de sa radio, il dresse un constat de réussite quant à son influence sur la vie du quartier, preuve à l'appui : "Les politiques viennent peut-être acheter la paix sociale, alors que nous, cette paix sociale, on ne l'achète pas. On a une émission musicale faite par des jeunes. Depuis qu'ils ont cette émission, c'est la paix. Ils se disent qu'ils ont une radio qui leur donne la parole et ils se sentent vraiment chez eux. La radio HDR, c'est un pompier en fait ".
Vu de l'ancienne gendarmerie, une chose est en tout cas certaine : la politique sécuritaire ne suffira pas à juguler le malaise des quartiers. Ni sortir certains jeunes de dérives dans lesquelles ils risquent de tomber : la délinquance, l'islamisme radical ou les deux. Le repli sur soi et la mise en marge de la société. Et même en temps de coupes budgétaires, alors que les collectivités locales vont devoir se passer d'une dizaine de milliards d'euros, sabrer les crédits des associations de quartiers est une idée à courte vue.
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