Pénalisation des clients : "Les travailleuses du sexe n'ont pas d'autres possibilités que d'accepter ce qu'elles refusaient"
Sarah-Marie Maffesoli, coordinatrice chez Médecins du Monde, estime que la loi prostitution de 2016 a inversé le rapport de force entre prostituées et clients.
À cause de la loi prostitution de 2016 sur la pénalisation des clients qui ont recours à la prostitution, ces derniers "s'estiment beaucoup plus légitimes à imposer des choses, et les travailleuses du sexe, n'ayant plus beaucoup de ressources, n'ont pas d'autres possibilités que d'accepter ce qu'elles refusaient auparavant", a estimé lundi 12 novembre sur franceinfo, Sarah-Marie Maffesoli, coordinatrice chez Médecins du Monde du programme de lutte contre les violences faites aux travailleuses du sexe. Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par neuf associations, dont Médecins du Monde, mais aussi le Strass (syndicat du travail sexuel) ou AIDES, et par cinq travailleurs du sexe, contre cette loi, a appris franceinfo lundi 12 novembre.
franceinfo : Est-ce que c'est une première victoire d'apprendre que le Conseil constitutionnel va devoir se pencher sur le bien-fondé de cette loi ?
Sarah-Marie Maffesoli : Oui, bien sûr ! Le fait que le Conseil d'État juge que c'est une question sérieuse montre que nous avons des arguments pertinents pour contester la constitutionnalité de la pénalisation des clients. On a essayé de se faire entendre au niveau politique, avant même l'adoption de la loi, puisqu'on craignait déjà les conséquences qui sont malheureusement advenues. On a eu très peu de retours. Maintenant, on se situe aussi sur un terrain juridique, et non plus politique, parce qu'il nous semble que ce n'est pas seulement une question politique, mais une question de protection des droits des personnes.
Vous estimez qu'avec cette loi, les prostituées sont obligées d'accepter des rapports non protégés, ou non voulus ?
Ce qui a vraiment changé, c'est que les bons clients se sont raréfiés, et les clients qui restent sont ceux qui sont qualifiés de "mauvais clients" par les travailleuses du sexe elles-mêmes, parce qu'ils négocient les pratiques, les tarifs, et autre. Le rapport de force est inversé, paradoxalement, en faveur des clients, puisqu'ils estiment qu'ils prennent un risque en allant voir des travailleuses du sexe et donc, ils s'estiment beaucoup plus légitimes à imposer des choses, et les travailleuses du sexe, n'ayant plus beaucoup de ressources, n'ont pas d'autres possibilités que d'accepter ce qu'elles refusaient auparavant. La réalité, c'est que toute forme de pénalisation du travail sexuel est une pénalisation des travailleuses du sexe, qu'il s'agisse d'une pénalisation directe, ou d'une pénalisation indirecte, comme c'est le cas de la pénalisation des clients. Il y a beaucoup moins de clients aujourd'hui. Les travailleuses du sexe sont unanimes sur le fait que leurs revenus ont baissé. Elles ont été énormément précarisées par la pénalisation des clients et elles n'ont plus du tout la possibilité de choisir les clients comme elles le faisaient auparavant. Quand on parle d'une hausse des agressions, dans la majorité des situations, [c'est à cause] des clients que les travailleuses du sexe auraient refusé auparavant, mais qu'elles n'ont plus la possibilité de refuser.
Vous estimez que cette loi va à l'encontre de plusieurs principes fondamentaux, notamment la liberté d'entreprendre. Voulez-vous rappeler que les travailleurs du sexe sont des vrais travailleurs ?
Les travailleuses du sexe exercent une activité rémunérée, génératrice de revenus. Elles sont assujetties aux impôts et aux cotisations sociales. Elles relèvent du régime des travailleurs indépendants. Après, vrai ou faux travail, ça n'existe pas, mais, de fait, le droit français les appréhende comme des personnes qui exercent un travail. Ce que nous jugeons contre-productif, c'est qu'une loi censée protéger les personnes les met véritablement en danger, et qu'il y a une atteinte à la santé et à la sécurité des travailleuses du sexe.
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