: Récit Tout l'enjeu du trajet, c'est de "ne pas s'arrêter" : on a suivi l'extraction judiciaire d'une détenue entre sa prison et le tribunal
L'admistration pénitentiaire se charge désormais seule des opérations de transferts des détenus entre la prison et le tribunal. Exceptionnellement, franceinfo a pu suivre l'une de ces extractions avec une équipe de l'administration pénitentiaire de la prison de Fresnes en région parisienne.
C'est le seul moment où les détenus sortent des quatre murs de la prison. Quelques heures où ils se retrouvent dans la société, pour aller voir le juge, ou assister à leur procès. Chaque jour, 200 extractions judiciaires sont réalisées, rien qu'en Île-de-France. Des opérations sous tension, où le risque d'évasion est le plus élevé. Exceptionnellement, franceinfo a pu suivre l'une de ces extractions avec une équipe de l'administration pénitentiaire de la prison de Fresnes, en région parisienne.
Ce jeudi 31 octobre, c'est une détenue à haut risque qui est transférée. M, 19 ans, n'a pourtant pas le physique d'un caïd : le corps frêle, la voix enfantine, elle est en prison pour association de malfaiteurs terroristes, ce qui fait d'elle une détenue classée comme sensible. L'escorte qui va l'accompagner est donc prévue en conséquence : trois surveillants, Aurélie, Lionel, Guillaume, la petite trentaine, et une gradée plus expérimentée, Fabienne Ethore, qui ont pour mission de l'amener de la maison d'arrêt des femmes de Fresnes, où elle est détenue, jusqu'au tribunal de grande instance de Paris, dans le quartier des Batignolles, où elle a rendez-vous avec un juge des libertés et de la détention.
Fabienne Ethore et son équipe font partie de l'administration pénitentiaire, ceux que l'on connaît souvent comme les "matons", les surveillants de prison. Pourtant, depuis le mois de mai, ces agents peuvent aussi réaliser des extractions judiciaires, en lieu et place des gendarmes et des policiers qui n'ont plus le temps de s'y consacrer. Le transfert de compétences a débuté en 2011, progressivement dans toute la France, avant d’être définitivement confié lundi 4 novembre aux seuls agents de l’administration pénitentiaire.
Arme de poing, revolver et gilet pare-balles
Pour être dans les équipes d’extraction judiciaire, Fabienne Ethore, comme les autres, ont dû apprendre un nouveau métier. Un mois de formation intensive, pour apprendre les techniques d'intervention, la conduite opérationnelle et le maniement d'une arme. "En prison, notre arme ce sont nos mains", explique Fabienne Ethore, qui porte désormais un 9 mm à la ceinture.
Il est 10h35, l'escorte va s'équiper à l'armurerie. Il faut d'abord montrer patte blanche, en l'occurrence sa main, scannée en 3D et identifiée, avant de pouvoir entrer. Dans la petite pièce, on entend une mouche voler. "Un coup de feu, c'est vite parti", explique l'un des agents. Pas question de blaguer, la procédure est précise : entrer son code, récupérer la clé de son casier, prendre son équipement : arme de poing, bâton télescopique, spray au poivre.
Charger le revolver dans un tube à sable, tout vérifier, plusieurs fois. C'est là que la mission commence, que la pression monte aussi, progressivement. Une dernière cigarette, les agents enfilent leur gilet pare-balles. L'escorte du jour est de niveau 3 sur 4, il faut donc prendre le gilet lourd, celui qui pèse près de cinq kilos, et "qui protège des tirs de Kalachnikov", explique Fabienne Ethore.
Il est 11 heures, il faut partir chercher la détenue à Fresnes. La maison d'arrêt des femmes est à quelques mètres des locaux de la PREJ (la plateforme régionale d'extraction judiciaire). L'équipe y va en camionnette, et en silence. Chacun se concentre.
Une prise en charge où rien n'est laissé au hasard
La maison d'arrêt pour femmes est au bout d'une allée, un peu en retrait de la prison des hommes. Un petit bâtiment en grosses pierres, un lourd portail. Il faut se désarmer avant d'y entrer. Répéter les gestes : retirer le chargeur, ranger l'arme de poing, le bâton télescopique, le gaz à poivre dans un casier. Les agents peuvent alors entrer dans le bâtiment principal. Là encore, une enfilade de portes, de grilles, qu'il faut refermer avant de pouvoir en franchir une nouvelle. À l'intérieur, les sons résonnent : les voix des prisonnières, celles des surveillantes, les cliquetis des serrures, les bruissements des talkies-walkies.
La détenue est dans une petite cellule, derrière une porte en bois. C'est là que Fabienne Ethore et une surveillante de l'escorte, Aurélie, vont la fouiller intégralement. On lui demande avant son identité, nom, prénom, date de naissance. "Vous allez bien ? Pas de problème de santé ? Et le moral, ça va ?", demande Fabienne Ethore avec bienveillance. La détenue répond d'un filet de voix, à peine audible. La fouille peut alors commencer : chaussettes, chaussures, culotte, soutien-gorge, la détenue doit tout enlever, la surveillante tout vérifier.
On s'assure qu'il n'y ait rien de caché dans les coutures des vêtements, et dans la semelle des chaussures.
Fabienne Ethore, cheffe d'escorteà franceinfo
"Parfois ils creusent la semelle pour cacher des choses, du tabac, des stupéfiants, des médicaments. Ils ont beaucoup d'idées", raconte Fabienne Ethore en souriant. La détenue doit ensuite ouvrir la bouche. "J'ai vu à Fleury [Mérogis] des hommes cacher des lames de rasoir" sous leur langue, raconte la gradée. Il faut s'assurer que la détenue transférée soit "clean", qu'elle n'ait rien sur elle qui puisse lui permettre de blesser un agent, ou le juge qu'elle va ensuite aller voir dans son bureau du tribunal.
Cinq minutes plus tard, la fouille est terminée, la détenue est sortie de la cellule, encadrée par Fabienne Ethore et la surveillante de l'escorte. Il faut attendre, encore, que les portes s'ouvrent, cela prend un peu de temps. Quelques minutes qui permettent à Fabienne Ethore d'engager la conversation. "Vous êtes bien ici ? Vous étiez où avant ?" La détenue esquisse un sourire et répond d'une voix fluette : "À Versailles." Fabienne Ethore connaît bien, elle a passé sept ans là-bas. L'ambiance se détend quelques secondes, jusqu'à ce que la porte de la prison s'ouvre à nouveau. Les visages alors se tendent. Le plus délicat commence pour les agents de la pénitentiaire.
27 kilomètres "toujours en mouvement" pour éviter le guet-apens
Menottée, les poignets attachés à une ceinture abdominale pour entraver au maximum ses mouvements, la jeune femme est embarquée à bord d'un fourgon spécial. L'arrière y est aménagé comme une petite cellule : un siège, une ceinture, des sacs à vomi au cas où, tout cela séparé du reste de l'habitacle par une vitre en plexiglas et une grille en métal. Aurélie fait le trajet avec la détenue à l'arrière. La cheffe d'escorte Fabienne Ethore monte à l'avant avec le chauffeur. Les deux garçons, Lionel et Guillaume, sont eux dans une autre camionnette qui fait office de voiture-balai.
11h15 : le convoi démarre, c'est parti pour 27 kilomètres jusqu'aux Batignolles. Les visages sont concentrés, il ne faut rien laisser passer. "J'ai les yeux partout", explique Fabienne Ethore. Une main sur le bouton déclencheur de la sirène, le "deux tons" comme on dit dans le jargon, l'autre bras sert à faire signe aux automobilistes qui ne se poussent pas assez rapidement. Tout l'enjeu du trajet, c'est de ne pas s'arrêter. "En tout cas pas trop longtemps", précise la gradée. Le trajet est étudié à l'avance, pour repérer les commissariats, les caméras de vidéo-surveillance, pour éviter aussi les petites rues encombrées qui peuvent se transformer en guet-apens, car chaque minute passée immobilisés "c'est un danger qui peut arriver". Un risque qu’Aurélie a "toujours en tête".
On ne sait jamais ce qui peut arriver.
Aurélie, surveillante pénitentiaireà franceinfo
La jeune femme est à l’arrière avec la détenue. Par la vitre elle observe aussi, reste sur ses gardes. Elle discute aussi avec les détenus quand ils en ont envie "c’est un côté différent par rapport à la détention, on a davantage de temps pour discuter avec eux, parfois ils nous racontent leurs dossiers".
Mais la peur de l'attaque est dans toutes les têtes. C'est précisément pendant le trajet que le risque d'évasion est le plus important. Depuis le début de l'année, huit détenus se sont échappés durant une extraction médicale ou judiciaire. À Tarascon, le 28 janvier dernier un convoi comme celui que Fabienne Ethore conduit a même été attaqué. Des coups de feu échangés, un agent blessé. "C'est ce qu'il faut à tout prix éviter", reconnaît la cheffe d'escorte qui redoute par-dessus tout de devoir faire usage de son arme. "Ça ne m'est jamais arrivé, j'espère que ça ne m'arrivera jamais", confie-t-elle. Alors pour éviter les risques au maximum, il faut rouler, pas forcément vite, mais "toujours en mouvement". En région parisienne c'est loin d'être évident, alors il faut jouer de la sirène, et parfois donner de la voix. À quelques centaines de mètres du tribunal, le convoi arrive dans un tunnel, et se retrouve bloqué au milieu des voitures. Impossible d'avancer, Fabienne Ethore ouvre la fenêtre, fait des moulinets avec ses bras. "Allez, allez, allez ! On bouge !" "C'est pas bon", reconnaît la gradée, exactement le genre de situations qu'il faut éviter.
L'arrivée au tribunal et la fin d'une mission
Quelques longues secondes plus tard, à force de cris et de mouvements de bras, la route se dégage, le convoi peut se faufiler, on voit enfin l'imposant bâtiment du TGI se profiler. Après 30 minutes de trajet, les visages se détendent alors que le fourgon s'engouffre dans le sous-sol du tribunal. La mission est presque terminée.
Il est 12h15, la détenue a rendez-vous à 14h avec le juge. En attendant, elle est amenée dans ce que l'on appelle "le dépôt", des cellules aménagées au sous-sol du tribunal et qui ressemblent à des cellules de garde à vue : une vitre, un banc en bois, un repas en barquette plastique, des toilettes. Ce sont alors d'autres agents qui prennent le relais. Mais ce n'est pas terminé pour l'escorte de Fabienne Ethore. Deux autres détenus, des hommes cette fois, ont terminé leurs rendez-vous au tribunal, il faut donc les ramener à Fresnes. Et tout recommencer. Le "risque c'est de tomber dans la routine, conclut Fabienne Ethore, penser qu'on est rodés, que l'on connaît les gestes, le trajet". C'est là, quand on se relâche, que le danger est le plus grand, et que le "pépin" peut arriver.
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