Pourquoi le journal "L'Union" a décidé de publier les commentaires homophobes de ses lecteurs
L'initiative est rare : le quotidien régional "L'Union" a publié, dans son édition de Châlons-en-Champagne du 23 novembre, les commentaires homophobes de certains lecteurs, avec noms et visages, afin de dénoncer ces propos. La responsable d'édition explique la décision à franceinfo.
"En 2016, l'homosexualité dérange toujours", déplore L'Union. Dans son édition de Châlons-en-Champagne, le quotidien régional publie, mercredi 23 novembre, son "mur de la honte" : des commentaires homophobes de certains de ses lecteurs sont dévoilés, avec leur nom et leur visage. Le journal réagit aux propos haineux qui se sont multipliés sous un article, publié sur le web, consacré aux actes de vandalisme contre des affiches de prévention contre le Sida. On pouvait y voir des couples d'hommes s'enlacer.
La prise de position est forte. "Ce n'est pas une démarche militante pro-LGBT, précise toutefois le rédacteur en chef de L'Union, Didier Louis, interrogé par franceinfo. On a voulu dénoncer l'outrance et la bêtise des propos." "Les gens, depuis les migrants, utilisent la tribune des réseaux sociaux pour déverser leur populisme et leur haine, poursuit-il. On s'est dit qu'il fallait que chacun assume ses positions à visage découvert."
La chef d'édition de Châlons-en-Champagne, Géraldine Baehr, à l'origine de cette initiative, s'en explique sur franceinfo.
Franceinfo : Qu'est-ce qui vous a amené à publier ces commentaires haineux, avec les noms et les visages ?
Géraldine Baehr : Cela a commencé dimanche. Les journalistes de Châlons ont vu que les affiches de la campagne de prévention anti-VIH avec un couple d'hommes enlacés avaient été scotchées ou griffonnées au marqueur un peu partout. Ce n'était pas anodin, il s'agissait d'un message. Du coup, après avoir relayé l'info, on a écrit un article "Les 5 raisons d'avoir honte de ce vandalisme", qui a fait énormément de buzz. Les gens se sont complètement lâchés sur les réseaux sociaux et les commentaires du site.
Cela montrait qu'en 2016, ce débat sur l'homosexualité avait du mal à évoluer et cristallisait les passions. C'était évident pour nous qu'il fallait sortir de notre réserve habituelle, dénoncer ces propos de manière forte. Le journal Nord Littoral, qui fait partie du même groupe de presse que L'Union, avait déjà publié des commentaires de haine sur les migrants et, à l'époque, on avait trouvé cela courageux. Si on a gardé les noms et les visages des auteurs, c'est pour rappeler que la parole sur internet est publique. Derrière son clavier d'ordinateur tout est beaucoup plus simple. Les gens ne se rendent plus compte de la portée de leurs propos, qu'ils ne crieraient pas dans la rue par exemple.
On a voulu les mettre face à leurs responsabilités.
Ce n'est pas la première fois que vous faites face à des commentaires haineux...
Loin de là, et pourtant il y a une modération ! On n'est pas les seuls médias à le voir, on est frappés au quotidien par la violence des propos dans les commentaires. La dernière fois, c'était lors d'un appel aux dons pour une petite fille atteinte de leucémie – les parents voulaient une piscine qui l'aiderait au quotidien pour ses soins. Certains commentaires étaient vraiment d'une bêtise crasse.
Sur les migrants, on l'a aussi beaucoup vu, comme d'autres collègues : à Châlons-en-Champagne, on a accueilli 10 familles de réfugiés. Cela se vérifie aussi en reportage, sur le terrain. C'est moins fort que sur Facebook, mais la parole populiste s'est libérée. Ce n'est pas pour rien qu'à Châlons-en-Champagne, le FN a fait 20% aux dernières municipales.
Cette initiative n'est-elle pas une prise de risque pour un journal local traditionnellement neutre ?
C'était une prise de risque. On a eu des réactions positives, mais aussi des réactions très négatives et on s'y attendait. Certains nous ont reproché notamment de donner encore plus de visibilité à ces propos. D'ailleurs, pour équilibrer, on prévoit de publier les réactions des lecteurs qui s'indignent du vandalisme et de ces commentaires.
Un autre risque est que certains lecteurs arrêtent de nous lire, tout simplement. Mais en même temps, on gagne en crédibilité auprès d'autres.
Cela dépoussière l'image vieillotte du journal local, qui a évolué considérablement ces derniers mois et ces dernières années.
A Châlons-en-Champagne, on est engagés sur notre territoire, on assume certains de nos choix et nos lecteurs nous attendent là-dessus. C'est fini les compte-rendus d'assemblées générales. Vous savez, la politique, ce n'est pas qu'à Paris et dans les couloirs de l'Assemblée nationale.
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