Accès des mineurs à la pornographie : "C'est un véritable enjeu de santé publique, car cela devient leur éducation sexuelle", alerte une spécialiste
Les moins de 18 ans passent en moyenne 49 minutes par mois sur des sites pornographiques et 83% d'entre eux utilisent un téléphone portable pour le faire. Ce sont deux des chiffres édifiants de l'étude de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et de Médiamétrie sur la fréquentation des sites pour "adultes" par les mineurs, publiée jeudi 25 mai.
Anne-Sixtine Pérardel est conseillère en vie affective et sexuelle et co-fondatrice de l'association Déclic, qui intervient dans les établissements scolaires et accompagne des personnes, dont des enfants et des adolescents, souffrant d'une dépendance au porno. Elle analyse pour franceinfo les dangers d'un accès de plus en plus précoce à ces images et prodigue des conseils aux parents afin de protéger leurs enfants de la pornographie.
Franceinfo : Les chiffres publiés par l'Arcom et Mediamétrie reflètent-ils ce que vous observez sur le terrain ?
Anne-Sixtine Pérardel : Oui. Je suis contente qu'il y ait enfin des statistiques sur le sujet. Plus personne ne peut nier la réalité. Mais même ces chiffres ne la reflètent pas totalement : l'étude mentionne par exemple que dès 12 ans, c'est-à-dire en général en sixième ou en cinquième, les garçons consacrent près d'une heure par mois à ces sites. Dans mes consultations et mes interventions scolaires, je constate que l'accès à la pornographie se fait plutôt dès le CM1-CM2. C'est lié au fait de posséder un smartphone, et donc un accès à internet, de plus en plus tôt. [Près de 50% des moins de 10 ans en sont équipés, selon une étude de l'association d'e-Enfance]
Le sujet est-il encore tabou dans les familles ?
Certainement. Les gens sont frileux sur la question de la sexualité, et les parents ont tendance à croire qu'il n'est pas possible que leur enfant consomme de la pornographie, que cela n'arrive que chez les autres. Il y a une forme de déni de la réalité qui fait que l'on rejette cette idée par principe, alors que plus d'un garçon deux regarde de la pornographie au collège.
Peut-on parler d'addiction à la pornographie chez les jeunes ?
On ne peut pas encore parler d'addiction au sens des classifications internationales, comme celles de l'Organisation mondiale de la santé, mais on peut parler d'une dépendance à partir du moment où la consultation devient quotidienne. Or, les moins de 18 ans passent en moyenne 7 minutes par jour [sur des sites pornographiques], selon l'étude de l'Arcom. La spécificité de la pornographie est qu'elle expose à la fois aux écrans, à la violence et à la sexualité. Elle stimule la libération de dopamine, l'hormone du plaisir en jeu dans le circuit cérébral de la récompense, et cela favorise les comportements compulsifs.
En quoi les adolescents sont particulièrement sensibles à ce risque ?
C'est un âge particulièrement sujet aux addictions. Chez un adolescent, rien n'est mûr, tout est en croissance, le corps comme le psychisme. Il y a ainsi une particulière vulnérabilité face à ce genre de contenus, car dans un cerveau adolescent, la partie émotionnelle est la plus active. Les images pornographiques s'apparentent à un viol psychique et provoquent une sidération que l'on retrouve dans les violences sexuelles. Les jeunes vont y retourner pour essayer de comprendre, dépasser le traumatisme de la première fois. C'est un véritable enjeu de santé publique, car cela devient leur éducation sexuelle. Or, c'est à cette période de développement qu'il faut leur apprendre l'empathie et la gestion des émotions, mises à mal dans la pornographie.
Que conseillez-vous aux parents pour éviter à leurs enfants de tomber dans l'engrenage ?
La première chose à faire, c'est installer des filtres parentaux sur tous les écrans de la maison. Pour moi, il s'agit de protection parentale et non de contrôle parental. Mais cela ne remplace pas l'éducation affective et sexuelle : mieux vaut devancer les questions sur la sexualité à l'âge de la puberté, quand le corps change. Si ce n'est pas expliqué, l'ado ira chercher des réponses sur internet.
C'est une question fondamentale, qu'on ne peut pas laisser à l'école. Et les filles sont de plus en plus concernées : à 12 ans, elles sont désormais 31% à consulter des sites pornographiques chaque mois. Pour aborder le sujet, on peut avoir recours à des supports, comme les vidéos "Vinz et Lou" destinées aux 7-12 ans, ou des livres sur la puberté.
Comment demander à son enfant s'il a déjà regardé de la pornographie, et comment réagir si c'est le cas ?
Les parents peuvent aborder le sujet via l'actualité, en parlant par exemple de l'étude de l'Arcom qui vient de sortir, pour demander à l'enfant s'il a déjà été confronté à ce genre d'images, s'il a des copains qui regardent. Si c'est le cas, il faut bien garder en tête que leur enfant n'est pas "un petit crado", mais une victime de ces images, car il va éprouver de la honte. Cela va permettre de replacer la culpabilité au bon endroit. L'adulte peut même dire : "Je suis désolé que tu aies vu ces images, j'ai failli à mon rôle, je n'ai pas su te protéger." C'est important pour que l'enfant se sente assez libre pour en parler.
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