: Témoignages Bioéthique : nés d'un don de sperme, ils racontent la quête vers leur géniteur anonyme
Le projet de loi de bioéthique, définitivement adopté par le Parlement mardi 29 juin, prévoit dans sa version initiale une levée partielle de l'anonymat des dons de gamètes. Certains Français ont déjà engagé ces démarches, à l'aide de tests ADN illégaux.
Ils se sont donné rendez-vous un samedi matin de septembre 2017, dans le salon d'Arthur et Audrey Kermalvezen. Les sœurs d'Arthur, le frère d'Audrey, des témoins du couple… Ces dix personnes, nichées dans une pièce trop étroite pour l'occasion, ont en commun d'être nées d'un don de gamètes. Face à elles, dix petites boîtes blanches en carton. Le groupe s'apprête à faire, dans le secret, une série de tests ADN qui partiront vers les Etats-Unis, avant des résultats en ligne des semaines plus tard. Un dernier recours dans la quête de leurs origines, interdit en France, où les dons sont totalement anonymes.
Cet anonymat pourrait être partiellement levé avec la loi de bioéthique – dont la PMA pour toutes – définitivement adoptée par le Parlement mardi 29 juin, après un dernier et large vote de l'Assemblée nationale. Dans sa version initiale, le texte prévoit l'accès, pour les personnes le souhaitant à leur majorité, à des informations sur leur donneur, y compris son identité. Franceinfo a rencontré des Français déjà lancés dans cette enquête.
"Est-ce que mon père est mon géniteur ?"
Les parents d'Arthur Kermalvezen ne lui ont jamais caché qu'il était né d'un don de sperme. Sa mère, psychanalyste, a très vite verbalisé l'histoire en parlant à son ventre arrondi, évoquant, très tôt, cet "homme très généreux". Arthur l'intègre. "Et puis, on grandit d'un coup et on fait deux têtes de plus que son père", relate le trentenaire élancé, le rire facile et les cheveux légèrement ébouriffés. "On se construit de manière plus angoissée", manquant de repères. Avec par exemple "une page blanche dans ses antécédents médicaux".
Un grave accident de scooter le bouscule dans ses questionnements. "Mourir sans connaître ses origines... Je ne pouvais pas laisser ça." Arthur avait déjà grandi en se sentant parfois "en marge". Le choc de l'accident le rend, au passage de la vingtaine, "révolté" contre ceux qui détiennent sa pièce manquante. Il s'engage dès 2006 pour l'accès aux origines et fonde plus tard, avec Audrey, l'association Origines, qui revendique environ 150 membres actifs.
Akram, lui, s'est au contraire construit dans le secret. Dans les années 1970, les Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), premiers acteurs des dons de gamètes, incitent les couples à ne rien dire à leurs enfants, assure-t-il. L'époque est aussi celle où "la stérilité est perçue comme une absence de virilité" : la honte, la peur du jugement l'emportent.
Né à Tunis, Akram perçoit pourtant une "dissonance" avec son père tunisien. "J'étais beaucoup plus blond à l'époque", glisse le quadragénaire aux yeux et cheveux noisette. Au fil des années, des questions émergent. Pourquoi est-il à ce point plus grand que son père ? "Je me demande pourquoi je n'ai pas de frère et sœur", poursuit-il. Rien ne filtre, pas même à la mort de son père en 1998.
"Je me cherche, je manque de maturité, d'ancrage. Je suis un peu torturé : qu'est-ce que je suis ?"
Akramà franceinfo
Il reçoit de premières réponses vingt ans plus tard, à la veille de ses 40 ans. Quelques jours plus tôt, il a rencontré une femme dont l'histoire, celle de son père qui ne serait pas son géniteur, "fait tilt". L'architecte d'intérieur téléphone à sa mère. "J'ai une question à te poser, et tu vas me répondre par oui ou par non. Est-ce que mon père est mon géniteur ?" Un instant de silence maternel et la vérité émerge. C'est "une déflagration".
"C'était vital"
Alexandre Mercier a vécu seul la "déflagration", sans la moindre explication. Il s'occupait de la maison familiale, après la mort de ses parents. Des meubles, des livres, des vêtements… Toute une vie à trier. En ouvrant l'un des derniers cartons un matin, le trentenaire discret découvre des analyses médicales, des échographies, la notice d'un Cecos, l'ordonnance d'un gynécologue. Sur un papier rose soigneusement conservé depuis, il lit "spermogramme" et '"absence de spermatozoïdes". La feuille date de 1985, l'année précédant la naissance d'Alexandre.
"Je me suis senti vidé, comme si tout s'écroulait. Comme si, pendant trente-trois ans, je m'étais construit sur un mensonge."
Alexandre Mercierà franceinfo
Le quotidien du salarié dans l'informatique s'interrompt, laissant place à un flot de questions. "Tu savais que papa était stérile ?" envoie-t-il par SMS, sous le choc, à l'ancienne compagne de son père. Au fil des contacts familiaux, Alexandre comprend que "tout le monde était au courant". Personne, évidemment, ne sait rien sur le donneur. Le jeune père de deux enfants découvre alors l'association PMAnonyme, qu'il rejoint. Celle-ci revendique un peu plus de 400 membres nés de dons, qui échangent régulièrement sur la quête de leurs origines.
Deux tests ADN sont commandés. "C'est illégal mais peu importe", lâche Alexandre, convaincu. "C'était vital pour moi de chercher. Il fallait que je creuse tout ce que je pouvais creuser." A l'arrivée des résultats, qui montrent des liens avec d'autres personnes ayant fait un test ou renseigné leur généalogie, le moindre temps libre est dédié aux recherches. Seules deux personnes ont un lien avec lui et il est ténu : 0,6%, soit "des arrières-arrières-arrières-grands-parents en commun" vers 1850, explique Alexandre, schémas à l'appui.
Pendant "des dizaines, voire une centaine d'heures", le jeune homme consulte sites de généalogie et archives d'état civil pour construire la descendance de ces ancêtres en commun et, peut-être, identifier son donneur. D'autres résultats apparaissent, lui trouvant des liens avec une certaine Françoise. "J'ai demandé tous les actes que je pouvais avoir sur son père", décrit avec précision Alexandre. Il imagine son donneur être un cousin de cette Françoise, poursuit les appels. "Tout le monde me dit : 'Non, ce n'est pas moi'."
Incapable de dormir, Alexandre reprend ses premiers résultats un soir de mai 2020. Et finit par découvrir son donneur : un certain Jacques, âgé de 72 ans, un enfant caché du père de Françoise... Les deux hommes entrent en contact via Facebook.
"Il y a eu quelque chose, une alchimie naturelle"
Contacté par franceinfo, Jacques raconte être "resté assis ce jour-là". "Je l'ai laissé parler", prudent face aux messages de cet inconnu. Dans leurs premiers échanges, Alexandre se présente, explique sa découverte et cherche d'emblée à le rassurer. "Je ne cherche pas une nouvelle famille, mais à savoir qui je suis", écrit-il. Les questions de Jacques sont nombreuses. Ces dons n'étaient-ils pas anonymes ? Comment des tests ADN peuvent-ils renseigner l'identité de son père ? Puis le retraité, ancien acheteur dans l'industrie, reconnaît avoir été donneur. Il accepte de réaliser un test ADN et d'échanger. Il sait bien que d'autres, à sa place, peuvent tarder à répondre ou refuser – c'est leur droit le plus strict.
"Il n'y a pas eu de réticence. Je ne lui ai pas fermé la porte. Ces jeunes qui cherchent, si des gens leur ferment la porte en disant : 'je n'ai jamais donné', ils ne trouveront jamais."
Jacquesà franceinfo
Sur WhatsApp, les deux hommes relatent quelques bribes de leurs vies, prennent leurs yeux en photos pour y noter des ressemblances. Un tutoiement s'instaure progressivement, jusqu'à leur première rencontre. "On s'est tout de suite reconnus. Il y a eu quelque chose, une alchimie naturelle", sourit Alexandre. Jacques se remémore aussi un rendez-vous "fluide" dans un restaurant des Landes, où il vit. "On a discuté comme de vieux copains. Comme si on ne s'était pas vus depuis six mois." Le donneur se dit "heureux de découvrir un nouveau garçon". De rencontrer le résultat de son don.
La porte s'est également ouverte pour Arthur Kermalvezen, qui a retrouvé son donneur, Gérard, en 12 heures, grâce à l'aide d'une femme avec qui il partageait 6% de liens. Il s'est ensuite rendu dans la commune de son donneur, déposant finalement un courrier à ses voisins, à son attention. "J'ai lu et relu sa lettre", se rappelle ce retraité des transports parisiens, 77 ans. "Il n'était pas là pour mettre le bazar, il voulait connaître ses racines. C'était quelque chose de sain." L'ancien donneur attend le 25 décembre pour appeler Arthur, qui se trouve alors en voiture. "Je m'arrête et le paysage s'efface sous un rideau de larmes", décrit-il. Pendant des semaines, chaque samedi à 10 heures, les deux hommes s'appellent. Gérard répond à chaque question d'Arthur sur sa famille, sur cette histoire à laquelle il est lié.
Depuis, une relation s'est tissée. Dans son salon, Arthur garde la mallette remplie de photos et d'archives familiales, offerte par Gérard le jour de leur rencontre. Ils se sont vus une dizaine de fois, parfois avec leurs proches, tandis que Jacques s'apprête à rendre visite à Alexandre, qui revient d'un week-end chez sa demi-sœur à Antibes. "Je ne m'attendais pas à ça !" sourit-il, le regard lumineux. Lui qui cherchait avant tout ses origines n'entend pas remplacer ses parents, mais espérait, au fond, "tomber sur des gens bien" et "partager des choses". Ces relations devenues familiales, encore émergentes, sont pour lui "une richesse".
"Il y a une barrière"
Elles ne sont toutefois pas évidentes, tant elles sont nouvelles. "On va mettre en place de l'affection entre deux personnes ayant un lien de sang, et qui veulent avoir un lien de vie amical", résume Jacques. "Oui, on noue des liens familiaux mais ses enfants ne m'appellent pas 'papy'. On essaie de trouver un rythme, on laisse faire le temps." Gérard, lui, dit aujourd'hui connaître "très bien" Arthur, sans vouloir prendre trop de place. "Il y a une barrière à mettre, il a ses parents. Je ne peux pas aller plus loin que mon rôle, le prendre dans les bras" par exemple, confie-t-il posément.
"Plus ça va, moins c'est facile. Je ne peux pas passer de l'autre côté de la barrière car il a ses parents. Il faut que je reste en retrait."
Gérardà franceinfo
D'autres gardent simplement leurs distances. Le donneur de Cécile a volontiers répondu à ses questions, sur ses dons ou ses antécédents médicaux. Ils se sont vus une fois au restaurant, puis échangent régulièrement sur Skype, sans plus. La jeune femme de 25 ans, ne ressent pas le besoin d'aller plus loin. Elle s'est plutôt rapprochée de ceux qui ont croisé son chemin dans cette quête : des demi-frères et demi-sœurs biologiques qui ont tous la vingtaine et sont nés du même donneur. Ils sont aujourd'hui huit, demain peut-être plus. "Je me sens assez proche de certains d'entre eux", confie Cécile derrière ses grandes lunettes rondes. "C'est l'expérience partagée. On a vécu le même secret et la même satisfaction de se retrouver."
De son côté, Akram a lui trouvé un demi-frère et une demi-sœur, les deux enfants de son donneur. Une relation "amicale, complice, un peu fraternelle" est née, bien avant la rencontre avec son donneur, il y a seulement deux semaines. La suite reste à bâtir, mais le quadra se sent "apaisé". "Quand je me regarde dans la glace, maintenant, je sais."
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