Images d'horreur, blessures inconnues et séquelles : les survivants d'Hiroshima confient leurs souvenirs
A 8h15, le 6 août 1945, l'armée américaine larguait sur la ville japonaise la première bombe nucléaire, qui fera plus de 140 000 morts.
Il faisait beau, ce lundi 6 août 1945, à Hiroshima, quand la bombe la plus dévastatrice de l'histoire a été larguée sur la ville. Soixante-dix ans plus tard jour pour jour, une jeune femme et un écolier ont frappé une grande cloche, à 8h15, à l'heure où un bombardier américain B-29 baptisé Enola Gay sema le feu et la mort sur cette grande ville japonaise.
Dotée d'une force destructrice équivalente à 16 kilotonnes de TNT, la bombe a porté la température à 4 000 degrés au sol, anéantissant tout alentour. On estime à 140 000 le nombre de morts, au moment de l'impact puis ultérieurement, sous l'effet de l'irradiation. Trois jours plus tard, une autre bombe atomique frappait Nagasaki, à 400 kilomètres de là. Au total, le bilan se portera à 200 000 morts.
Les survivants n'ont oublié ni l'incroyable blancheur de l'explosion, ni les images d'horreur qui ont suivi. Un traumatisme tel pour les Japonais qu'ils ont créé un mot spécifique pour parler des rescapés de ces deux bombardements. Voici le témoignage de trois de ces "hibakusha", à l'occasion de la commémoration du bombardement.
Des souvenirs de blessures inédites
La bombe d'uranium a explosé à 600 mètres au-dessus des habitations. Un flash blanc, puis le centre-ville est pulvérisé. Plus de 80 000 personnes sont tuées sur le coup. Les survivants souffrent de blessures jusque-là jamais vues. "Regardez, raconte un survivant dont le témoignage a été diffusé sur France 2, j'ai eu les oreilles partiellement arrachées. Elles avaient fondu, mes lèvres étaient brûlées...Tout mon visage avait fondu."
Un docteur, qui a monté un hôpital de fortune dans une école, raconte dans ce reportage : "Les gens mouraient de symptômes qui n'étaient pas liés à leurs brûlures. Ils saignaient, vomissaient du sang. On ne pouvait rien pour eux. Pourquoi ces gens étaient-ils en train de mourir ? Pourquoi ? Ils ne comprenaient pas quelle était la cause de leur décès."
L'impossibilité d'oublier
Plus le temps passe, plus les langues se délient. Libération fait ainsi le portrait d'Akemi Masuda, 75 ans. Ce n'est qu'en 2012 qu'elle a avoué pour la première fois avoir survécu à la bombe d'Hiroshima, à son médecin lui apprenant qu'elle était atteinte d'hypothyroïdie.
A la journaliste de Libération, elle confie "n’avoir rien oublié des minutes" qui ont précédé le flash du 6 août. "Je jouais avec mon cousin. Nous avons vu dans le ciel bleu trois avions qui se dirigeaient vers l’ouest. Il en passait souvent, nous n’avons pas fait attention." Puis, elle est allée dans la cuisine couper une tomate pour sa sœur d’un an qui pleurait de faim. L’explosion l’a piégée à ce moment-là, poursuit le journal. Sa mère l’a retrouvée indemne, abritée sous une poutre dont la chute avait été stoppée par un gros buffet chinois. "Je venais de partager la tomate, une grosse moitié pour moi, la plus petite pour ma sœur. J’ai longtemps cru qu’il s’agissait d’une punition parce que je n’avais pas été égalitaire. Les dieux s’étaient vengés."
Quand elle retrouve ses esprits, le voisinage est rasé et les maisons en feu. "A 5 ans, je voyais les gens par en dessous. La vision terrible qui me reste en mémoire est la peau de ces survivants qui pendaient de leurs mains et de leurs bras, et tombaient en lambeaux au sol. On ne comprenait pas ce qui nous arrivait." Les premiers mois après l’explosion, explique encore le journal, elle souffre de diarrhées, de saignements de nez, de fièvres. "Je me souviens un jour avoir vomi une bassine de sang."
Le long silence des survivants
A Ouest-France, Okihiro Terao, né en 1941 à Hiroshima, raconte qu'il doit à un déménagement la chance d'avoir survécu. Alors qu'il habitait en plein centre-ville, l’annonce du décès de son père, qui combattait en Chine, oblige sa mère à partir, avec ses trois fils, quatre kilomètres plus au nord, en banlieue, en juillet 45.
"Sans ça, je ne serai pas là aujourd’hui, explique Okihiro Terao au quotidien régional. Car il n’y a eu aucun survivant dans le quartier que nous habitions..." Si lui, alors âgé de 4 ans, était à l'abri à son domicile avec ses frères et sa tante quand la bombe a explosé, sa mère se trouvait au marché, à mi-chemin du centre-ville. Elle a survécu, explique son fils, mais n'a jamais osé raconter son histoire pour éviter toute discrimination. Car, le plus souvent, les survivants se sont tus pour éviter d'être isolés. Après guerre, ils étaient considérés comme des contagieux infréquentables.
En 1968, la mère d’Okihiro, "qui ressemblait alors plus à un squelette qu’à un être humain", poursuit le quotidien régional, est morte après avoir développé de multiples cancers. "Jusqu’à sa mort, elle a caché le fait qu’elle avait survécu à l’explosion", conclut son fils septuagénaire. Le retraité construit aujourd'hui des maquettes du dôme de Genbaku, le Mémorial de la paix de la ville, qu'il expose au centre d'Hiroshima. Sa façon à lui de militer pour qu'il n'y ait pas de nouvelle apocalypse nucléaire.
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