Mariage pour tous : aux Invalides, les brushings s'encanaillent et les parpaings volent
Au soir du vote de la loi à l'Assemblée, la manifestation des opposants au mariage des homosexuels a dégénéré en échauffourées. Douze personnes ont été arrêtées.
Un couple de jeunes trentenaires brushing-imper-mocassins s'approche timidement. "Vas-y chérie, et maintenant, tu lances." La bouteille de Kronenbourg est jetée façon cochonnet et s'écrase à quelques mètres du cordon de gendarmes. Rouge aux joues. Gloussements. Le couple retourne vers l'arrière, à l'abri. De nombreux opposants au mariage pour tous se sont encanaillés, mardi 23 avril au soir, à Paris, à l'occasion de nouveaux heurts avec les forces de l'ordre. Le message : non, le mouvement ne s'essoufflera pas ; oui, ils sont en colère.
Mélange des genres
D'après les estimations du ministère de l'Intérieur, quelque 3 500 personnes se sont rassemblées sur l'esplanade des Invalides et 500 y sont restées malgré les instructions de dispersion des organisateurs. Lorsque les violences éclatent vers 22h30, la foule qui se tient devant le cordon de gendarmerie est très diverse : beaucoup de jeunes adultes d'une petite vingtaine d'années, hommes et femmes, quelques adolescents, mais aussi des quinquagénaires en costume. La plupart visiblement issus de milieux aisés. D'ailleurs, ils le scandent : "On est chez nous !"
Le ton policé du début de soirée laisse place aux slogans décomplexés : "CRS à Barbès", "Taubira à Cayenne". Certains se lâchent : "CRS, va plutôt buter des Femen !" Galvanisée par les éléments les plus extrêmes, la foule se met à jeter pierres, sacs-poubelle et bouteilles sur les forces de l'ordre. "Hollande, ta loi, on n'en veut pas !" Mais les charges ponctuelles des gendarmes refroidissent les ardeurs.
Vers minuit, avec le départ (ou l'interpellation) des manifestants les plus virulents, devant les gendarmes mobiles, l'ambiance flirte avec la colonie de vacances, voire le camp scout. Les potentiels projectiles qui traînent encore sont discrètement ramassés et déposés hors de portée. Les manifestants se pavanent en file indienne, scandent en chœur des "on n'est pas fatigués", "si t'es un flic en civil tape dans tes mains". Chants catholiques et traditionnels sont entonnés, le poing sur le cœur ; de temps en temps, un clairon sonne. Pendant ce temps, à quelques mètres des affrontements, des centaines de "veilleurs" prient en silence sur l'esplanade.
Malaise avec la presse
Douze personnes au total ont été interpellées. Et la focalisation des médias sur cette minorité ultraviolente agace. "De toute façon, demain on ne verra que des photos des violences et pas un mot sur la manifestation et la foule qui s'est mobilisée", peste un jeune homme derrière un groupe de journalistes. Dès le début des échauffourées, les journalistes présents ont été pris pour cible par les manifestants et ont essuyé jets de bouteilles de bière et invectives. "Journalistes collabos", "salauds", "vous êtes à la solde du gouvernement". Accusée de partialité par les opposants au mariage des homosexuels, la presse est devenue la bête noire des manifestants, et la méfiance vis-à-vis des journalistes ne cesse de croître. A chaque fin d'entretien, le même refrain : "Mais vous allez vraiment écrire ce que j'ai dit, hein ? Rien d'autre ?"
"On en a marre d'être méprisés par la presse et le gouvernement, de se faire traiter d'imbéciles et d'homophobes alors qu'on veut juste être entendus", s'agace Guillemette, 27 ans. "Tout ce que Hollande a trouvé à dire, ajoute Camille, 22 ans, c'est que le mouvement allait s'essouffler avec le vote de la loi. Vous appelez ça une réponse ?" La polémique sur le comptage des manifestants a fini de convaincre les opposants à la loi : les dés sont pipés et tout ce qu'ils pourront dire sera retourné contre eux. "La presse a un traitement complètement partial du débat. Tous les journalistes sont pro-mariage gay", croit savoir Guillemette.
Etienne, 25 ans, abonde dans son sens : "J'en ai marre de ne voir que des articles caricaturaux, d'un côté comme de l'autre, Figaro comme Le Monde. C'est trop leur demander que de raconter simplement ce qui se passe ?" Il se tient un peu à l'écart des heurts mais approuve. "Les gens sont en colère et ils ont raison de l'exprimer, même si on n'a rien contre les CRS. Ce qu'on aimerait, c'est avoir François Hollande en face de nous, qu'il ose descendre un jour dans la rue et discuter avec nous."
Ce ressentiment à l'égard de la presse fait l'unanimité. La preuve, les manifestants les plus agressifs prennent par surprise un groupe de journalistes pour les courser sur deux cents mètres. Attrapés au vol, des cameramen et des photographes sont jetés à terre. Au bout de la rue, un reporter est tabassé avant d'être rapidement exfiltré par les gendarmes. D'autres, qui ont évité les coups et reviennent pour filmer, sont pris à partie. L'un d'eux évite de justesse un parpaing.
Barricades
Les manifestants redéployés sur le quai d'Orsay arrachent des barrières pour monter des barricades face au cordon de gendarmes mobiles. Certains sont venus préparés : lunettes de ski, foulards et jus de citron pour se protéger des gaz lacrymogènes, capuches et cagoules pour rester discrets. Des journalistes reconnaissent dans les slogans les thèmes du GUD et du Renouveau français.
Alors que la violence atteint son point culminant, des dizaines de personnes s'installent sur les murets pour assister au spectacle. Leurs copains, leurs frères sont dans le lot, alors ils ne rentrent pas et soutiennent les leurs, comme pour le match de foot du petit dernier. Vers 1 heure, les gendarmes dispersent les derniers manifestants. Les modérés sont toujours là. "On continuera à manifester, insiste Guillemette, et Hollande le paiera dans les urnes l'année prochaine."
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