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Mariage pour tous : "Je ne suis pas homophobe mais..."

DÉCRYPTAGE | À quatre jours du débat parlementaire sur le mariage pour tous et à deux jours d'une mobilisation des partisans du projet de loi, François Hollande recevait vendredi à l'Elysée les détracteurs du projet. Il y a deux semaines, ceux-ci avaient massivement rassemblé à Paris. Récurrente dans leurs propos, cette phrase : "Je ne suis pas homophobe mais...", mais quoi ?
Article rédigé par Clara Beaudoux
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
  (Maxppp)

Voilà ce que déclarait Sibylle, 17 ans, venue de Rouen pour manifester à Paris
le dimanche 13 janvier
, contre le projet de loi sur le mariage et l'adoption par
des couples homosexuels. Les détracteurs avaient alors fait le plein, et parmi leurs arguments, cette phrase revient régulièrement : "Je ne suis pas homophobe mais... "  

Pourquoi ? "Les
débats très violents autour du Pacs ont enseigné quelques leçons, et les opposants
au projet de loi ont bien compris que pour être entendus ils devaient apparaître
comme non homophobes, donc c'est une très belle technique oratoire
",
commente Elisabeth Ronzier, présidente de SOS Homophobie. "C 'est une sorte de figure rhétorique pour essayer de traverser cet amalgame qui empêche de rendre audible le débat ", répond Thibaut Collin, agrégé de Philosophie, auteur de Les lendemains du mariage gay  (éd. Salvator) et opposé au projet de loi (en décembre il était entendu par les députés à ce sujet).

Les témoignages d'homophobie en hausse

Mais cette figure rhétorique ne semble pas suffire, puisque depuis le début de ce
débat en France, de nombreuses associations dénoncent un climat "homophobe
généralisé
". Dans son rapport annuel 2012 (ici en PDF), SOS Homophobie fait état de 30% de témoignages supplémentaires en décembre 2012
(comparé à décembre 2011) et s'attend à une quantité quatre fois
supérieure à l'année précédente pour le mois de janvier.

Il est vrai
que ce débat a entraîné de nombreux dérapages, notamment recensés par
Libération dans son "Observatoire des déclarations homophobes" ou tout récemment sur ce Tumblr

Mais au-delà de ces propos clairement homophobes, s'opposer au mariage pour tous
est-il synonyme d'homophobie ? Difficile de répondre clairement à cette
question, tant les avis sont partagés et tant chacun dispose de sa définition
de l'homophobie. 

Que dit la loi ? 

La loi définit l'homophobie comme circonstance
aggravante de crime ou délit depuis le 18 mars 2003 (à lire dans le Code pénal ici)
et condamne les discriminations liées à l'orientation sexuelle. Mais la loi ne
définit pas de manière totalement arrêtée ce qu'est l'homophobie. "Il s'agit
de toute parole, attitude, comportement qui comporte une discrimination à l'égard des homosexuels
", indique Serge Portelli, auteur de Désirs de familles homosexualité et parentalité, aux éditions de L'Atelier. Mais le magistrat reconnaît qu'au-delà
des actes criminels, les actes homophobes sont aujourd'hui difficiles à définir.

"Aujourd'hui l'homophobie est très diffuse, très latente, elle se manifeste moins par des agressions physiques, même si il y en a encore. C'est beaucoup de rejets, de la mise à l'écart... donc effectivement il y a tout un pan de l'homophobie qui
n'est pas réprimée par la loi
", indique également Elisabeth Ronzier,
présidente de SOS Homophobie.

Homophobes car "ils refusent l'égalité des droits pour les personnes homosexuelles"

Et pour l'association, à la question "s'opposer au mariage pour tous est-il synonyme d'homophobie ?", la réponse est oui. "Les opposants au mariage pour
tous se classent en deux catégories : les opposants qui sont
profondement homophobes car ils s'opposent à ce projet en expliquant que les
homosexuels sont contre nature, un danger pour la société, etc etc. Et les
opposants plus 'soft', qui ne se ressentent pas homophobes, mais dont les
positions sont homophobes dans la mesure où ils refusent l'égalité des droits pour
les personnes homosexuelles. Les rejeter et les maintenir à l'écart de la
société est pour nous constitutif d'homophobie
", répond Elisabeth
Ronzier, présidente de SOS Homophobie.

"Lorsqu'on s'oppose à l'égalité des droits entre les noirs et les blancs, cela
s'appelle du racisme. Lorsque l'on s'oppose à l'égalité des droits entre les
femmes et les hommes, cela s'appelle du sexisme. Lorsqu'on s'oppose à l'égalité
des droits entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels, cela
s'appelle de l'homophobie
", déclare-t-elle
également dans une tribune sur le Huffington Post.

"Je ne considère pas que tous les gens
opposés au projet de loi sont homophobes, ce serait trop facile. Mais il est
vrai que parmi tous ceux qui s'y opposent il y en a une bonne partie qui le font
purement et simplement par homophobie, en maquillant tout cela avec des considérations
psychologiques, psychanalytiques, juridiques, historiques, tout ce que vous pouvez imaginer
", considère
pour sa part Serge Portelli.

"Peut-on encore débattre sans être taxé d'homophobe ?"

Il s'agit en fait d'une question de définition, d'après Thibaut Collin, défavorable au projet de loi. "P *our certains partisants LGBT [lesbien, gay, bi, trans] , le fait d'être contre
ce projet de loi est un signe d'homophobie, alors que pour moi ce débat tourne avant tout autour de la question de la filiation. Donc
effectivement on est obligé de parler de l'homosexualité parce que ce sont ces
personnes qui revendiquent ce droit. Mais si moi je dis que ça me pose un problème
par rapport au statut de l'enfant, et qu'on me rétorque tout de suite que je suis homophobe, toute la question est de savoir si on peut encore débattre. Dans ce cas le terme d'homophobie devient une sorte de filet extrêmement étendu, et fait l'amalgame entre des gens qui ont des objections de type intellectuel, et des comportements ou attitudes irrespectueuses
* ".

Mais
alors, la France est-elle homophobe ?

Dans son rapport 2012, SOS
Homophobie indique : "On nous pose souvent la question suivante : 'La société
française est-elle encore homophobe ?' Et nous sommes à chaque fois
embarrassé-e-s quant à la réponse à apporter. Non, l'homosexualité n'est plus
pénalement réprimée ; oui, la discrimination en raison de l'orientation sexuelle
est interdite par la loi ; non, l'égalité des droits n'existe pas ; oui, la
société accepte de mieux en mieux la diversité des orientations sexuelles et
des identités de genre. Répondre à cette question tend presque au numéro de
funambulisme.

Pour
Serge Portelli, magistrat, la France ne peut pas sortir si vite de plusieurs siècles d'homophobie, même si "ce progrès est inéluctable ". "Ce serait fou de penser que l'homophobie a disparu en 2013 parce qu'il y
a un projet de loi à l'Assemblée nationale, ce serait idiot, parce que l'homophobie a une
histoire, elle est aussi vieille que le  monde, donc on ne va pas en sortir par
un coup de baguette magique
."

Les défenseurs du projet de loi ouvrant le
mariage et l'adoption aux homosexuels vont battre le pavé
parisien dimanche, deux
jours avant le début de l'examen du texte au Parlement.

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