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Qui sont les participants aux manifestations pro-palestiniennes interdites ?

Entre casseurs et militants pacifistes, francetv info revient sur les profils qui se côtoient au sein de ces rassemblements.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Des manifestants pro-palestiniens sont montés sur le monument de la place de la République à Paris et agitent des drapeaux de différents pays, le 26 juillet 2014. (CLEMENT PARROT / FRANCETV INFO)

"Nous sommes tous des Palestiniens""Hollande complice, et Israël assassin"... Les manifestants pro-palestiniens donnent de la voix, mais ne montrent pas toujours leur visage. Samedi 26 juillet, sur la place de la République, à Paris, ils étaient environ 5 000 à exprimer leur soutien aux Palestiniens de la bande de Gaza. Casseurs, militants politiques ou simples citoyens de passage, le cortège était constitué de groupes très diversifiés.

Le rassemblement a dégénéré, avec des heurts limités, de moindre ampleur que ceux de Barbès le samedi précédent. La police a quand même procédé à 70 interpellations. Trois personnes ont été condamnées à deux mois de prison ferme et un responsable du NPA se retrouve convoqué devant la justice pour l'organisation des manifestations de Barbès et de République.

Alors qu'une veillée de soutien à Gaza doit se tenir jeudi soir à Paris et qu'une nouvelle grande manifestation est prévue samedi dans la capitale, francetv info s'est intéressé aux différentes composantes de ces manifestations pro-palestiniennes.

Des organisations politiques

Contrairement à la mobilisation autorisée du mercredi 23 juillet, les organisations politiques n'étaient pas en position de force ni à Barbès, ni à République. Pour cette dernière, seuls le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et le mouvement Ensemble (une composante du Front de gauche) étaient visibles sur la place.

Même si certains militants étaient présents à titre personnel, le Parti communiste et Europe Ecologie-Les Verts n'ont pas souhaité braver l'interdiction de manifester, comme lors du rassemblement à Barbès. Quant au Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, "il s'est fait discret à République en sortant quelques drapeaux quand les organisateurs ont obtenu la confirmation d'une tolérance des forces de l'ordre pour le rassemblement jusqu'à 17 heures 30", raconte Jean-François Pellissier, du mouvement Ensemble, joint par francetv info.

Au niveau des élus, si quelques-uns avaient bravé l'interdiction à Barbès, provoquant la colère de Manuel Valls, Jean-François Pellissier regrette leur faible présence sur la place de la République. Il a repéré quelques élus, notamment communistes, mais ceux-ci "n'ont pas osé sortir leur écharpe". Le NPA et Ensemble se sont écartés de la place un peu avant 17 heures, quand les événements ont commencé à déraper, raconte Jean-François Pellissier. Il évoque quelques slogans antisémites proférés dans un mégaphone qui ont provoqué ce départ anticipé.

Samedi prochain, comme pour le 23 juillet, la manifestation est organisée par le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, qui agrège une cinquantaine d'associations, de partis et de syndicats. Si la manifestation est autorisée, les organisations politiques devraient à nouveau retrouver le chemin de la rue.

Un réseau associatif structuré

Avec le NPA, un certain nombre d'associations pro-palestiniennes se sont regroupées dans un collectif informel pour organiser la manifestation de Barbès et celle de samedi dernier. Comme l'indique le chercheur Marc Hecker au Monde, il s'agit d'organisations "moins consensuelles" que d'autres structures telles que l’Association France Palestine solidarité (AFPS), qui n'a pas appelé à manifester lors des interdictions.

Dans ce regroupement cohabitent différentes associations : le Parti des indigènes de la République (PIR), le Mouvement des jeunes Palestiniens (PYM France), Génération Palestine, la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), l'Union générale des étudiants de Palestine (GUPS) et l'UJFP (Union juive française pour la paix). D'autres structures participent à ces rassemblements, comme par exemple Forum Palestine citoyenneté, qui organise le rassemblement de jeudi soir, autorisé par la préfecture.

Toutes ces associations partagent un certain nombre de revendications communes comme l'arrêt des bombardements sur Gaza, la libération des prisonniers palestiniens ou la prise de sanctions contre Israël. En revanche, elles peuvent différer sur certaines questions comme l'attitude face au Hamas ou bien la recherche d'une solution à un ou deux Etats. Ces associations ont tenté, lors des deux rendez-vous interdits par l'Etat, d'assurer un service d'ordre. De son côté, la préfecture justifie les interdictions par le manque de moyens et l'expérience de ces associations pour gérer les cortèges.

Joint par francetv info, Omar Alsoumi, du Mouvement des jeunes Palestiniens, considère que l'interdiction est une stratégie du gouvernement pour diviser les structures entre celles qui seraient "respectables" et les autres. Les associations qui ont coordonné les mobilisations interdites espèrent donc désormais retrouver l'unité des mouvements pro-palestiniens, dès la manifestation du samedi 2 août.

De simples manifestants

Au milieu des militants associatifs et politiques, un certain nombre d'individus ne se revendiquent d'aucune organisation. Ils sont majoritairement jeunes, comme Bilal, 21 ans, rencontré sur la place de la République, et qui participait à sa première manifestation pro-palestinienne. Effaré par les images en provenance de la bande de Gaza, le jeune homme souhaite l'arrêt de "la guerre et des morts"

Des manifestants venus avec des convictions politiques diverses, mais qui souhaitent généralement se distinguer des structures politisées présentes au rassemblement. Henri, 25 ans, regrette d'ailleurs que les organisations politiques "aient ramené leurs drapeaux"Enveloppé dans un drapeau bleu, blanc, rouge, il souhaite montrer que "le peuple français soutient la cause palestinienne", en réaction au premier communiqué de François Hollande où le président se déclarait "solidaire" d'Israël.

Sans appartenance à aucun groupe, certains manifestants sont quand même très impliqués, comme Tarah, étudiante de 23 ans qui participe à tous les rendez-vous pro-palestiniens : "C'est important pour moi, car depuis que je suis petite, j'entends parler de la souffrance du peuple palestinien." Par ailleurs, des drapeaux algériens, tunisiens ou encore égyptiens émaillent les cortèges. Un manifestant explique se sentir proche du peuple palestinien de par ses origines algériennes et son refus de la colonisation. 

Quelques jeunes imprégnés par la religion

Place de la République, une fois le calme revenu vers 17 heures 30, une cinquantaine de fidèles se sont tournés vers la Mecque pour procéder à une prière. Les observateurs ont également noté la présence d'un étendard noir aux inscriptions islamiques et d'une femme portant un voile intégral. Enfin lors des affrontements, plusieurs jeunes ont mené la charge au cri de "Allah Akbar". 

Tous les manifestants qui portent l'islam au cœur de leur engagement pour la cause pro-palestienne ne sont pas radicaux, mais certains se distinguent par leur slogan ou leur attitude. Parmi eux, les membres du collectif du Cheikh Yassine, une organisation islamique française qui se revendique proche du Hamas. Interrogé par francetv info, Youssef Boussoumah du Parti des indigènes de la République reconnaît qu'une dimension religieuse est présente dans le rassemblement, mais il tient à relativiser le phénomène : "Il s'agit d'une ou deux associations liées à l'islam, la prière s'inscrit dans un contexte de fin de ramadan, quant aux 'Allah Akbar', c'est devenu une sorte d'expression qui ne porte plus nécessairement de connotation religieuse".

Youssef Boussoumah préfère se réjouir de l'évolution positive par rapport aux années 2000, où la méconnaissance du conflit entraînait parfois des dérives avec des marques d'intolérance liée à la religion. Les slogans ou les symboles antisémites n'ont pas totalement disparu, mais il note une "véritable amélioration". Certains manifestants confessent malgré tout se méfier d'une possible dérive communautaire. 

Une minorité de personnes violentes

A Barbès, comme sur la Place de la République, les rassemblements ont débuté dans le calme avec la simple expression des revendications. Puis quelques perturbateurs minoritaires ont commencé à multiplier les provocations : croix gammée, drapeau israélien brûlé, slogans antisémites ou encore exécutions de "quenelles" (symbole de la sphère des adeptes du polémiste Dieudonné). Enfin dans les deux rassemblements, l'ambiance s'est tendue en fin d'après-midi avec des affrontements entre une frange de manifestants et les forces de l'ordre. 

Des manifestants pro-palestiniens réalisent une quenelle, juchés sur le monument de la place de la République à Paris, le 26 juillet 2014.  (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Un certain nombre d'individus ont profité de ces mobilisations pour exprimer leur haine du système. Ce serait le cas de la nouvelle structure "Gaza firm" apparu lors des manifestations interdites. Elle se compose d'une cinquantaine de membres, parmi lesquels des anciens supporters ultras du PSG plutôt dépolitisés et de jeunes de banlieue nourris pour certains par le discours anti-système de Dieudonné et Soral, comme le détaille Mediapart. "Il s'agit de petits fachos qui n'ont rien à voir avec nos revendications, ils fonctionnent avec un logiciel d'extrême droite", assure Youssef Boussoumah.

En superposition, un certain nombre de casseurs se sont greffés à ces rassemblements. "Nous avons à faire à des professionnels de la casse et de la déstabilisation", explique Christophe Crépin du syndicat Unsa-Police contacté par francetv info. Estimés à une grosse cinquantaine, "ils ont pour seul but de venir se défouler", ajoute-t-il. Il assure avoir vu des casseurs venir  : "Ils sont venus en taxi sur la place de la République afin d'éviter les transports que nous surveillons, j'en ai vu certains descendre tranquillement du taxi avec de quoi fabriquer un cocktail molotov". Plusieurs organisateurs se demandent même si certains casseurs n'auraient pas pour objectif de discréditer leur mouvement.

Un membre du service d'ordre tente d'empêcher un manifestant pro-palestinien de jeter un projectile à travers la place de la République de Paris, le 26 juillet 2014. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Les casseurs ne sont pas les seuls à avoir affronté les policiers sur la place de la République. Des manifestants radicaux ont pu se laisser entraîner par l'effervescence. "C'est d'ailleurs un des buts des casseurs, ils cherchent à haranguer la foule", affirme Christophe Crépin. Pour Youssef Boussoumah, il s'agit de "jeunes souvent paumés, en colère contre la République, et qui veulent parfois régler des comptes avec la LDJ [Ligue de défense juive]". Mais les organisateurs du rassemblement comme Christophe Crépin rappellent que la majorité des manifestants se tienne à l'écart de toute violence réelle ou symbolique.

La manifestation de samedi prochain a de "bonnes chances" d'être autorisée selon Christophe Crépin, car tous les "éléments de sécurité sont réunis, notamment au regard du parcours [de Denfert-Rochereau aux Invalides]". Mais le porte-parole d'Unsa-police prévient que "le risque zéro n'existe pas" et rappelle que même lors du rassemblement autorisé du 23 juillet des violences ont été commises.

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