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"On trouve toujours quelqu’un à qui parler si on craque" : en Touraine, un centre accueille les forces de l'ordre au bord de l'effondrement

Face à la surmobilisation des forces de l’ordre consécutive au mouvement des "gilets jaunes", l'association d'action sociale de la police propose des séjours au vert aux policiers et gendarmes épuisés. Une manière de prévenir le pire, alors que 26 membres des forces de l'ordre ont mis fin à leurs jours depuis janvier.

Article rédigé par David Di Giacomo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le centre de Courbat, en Touraine, accueille policiers, gendarmes et civils au bord de l'épuisement. (DAVID DI GIACOMO / FRANCEINFO)

Le centre du Courbat, en Touraine, est une immense propriété de 82 hectares, un ancien château entouré d'étangs et de verdure. La structure a été créée en 1949 par des CRS et est gérée par l’Association nationale d'action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l'Intérieur.

"J'ai tenté de commettre le pire"

Sophie est arrivée ici il y a trois semaines. Cette maman de 36 ans est policière en banlieue parisienne. L’an dernier, accidentellement, l’une de ses collègues meurt presque sous ses yeux. Traumatisée, Sophie plonge alors petit à petit dans la dépression. "J’ai eu un gros passage à vide où j’ai tenté de commettre le pire, témoigne-t-elle. Beaucoup de collègues décident de rester dans le silence : ça a été mon cas. Je me suis renfermée dans ce mal-être, complètement. Puis j’ai craqué. J’avais la boule au ventre. C’était un ras-le-bol complet, un épuisement total."

Si des collègues m’écoutent, qu’ils ne restent pas dans le silence. Il n’y a pas de honte à se faire soigner, à aller mal. Ça peut arriver à tout le monde. Je sais à quel point c’est dur, mais on peut y arriver.

Sophie, policière

à franceinfo

Le centre accueille jusqu’à 65 patients, à 80% des hommes d’une quarantaine d’année, sur des séjours moyens de deux mois. À Courbat, l’appel a lieu quatre fois par jour, comme une façon de rythmer leur journée, entre consultations médicales, sport et activités artistiques.

"On prend sur soi, on encaisse"

Les pensionnaires sont des policiers, des gendarmes, mais aussi, parfois, des civils. Parmi les patients, Thomas, 34 ans, agent pénitentiaire, usé jusqu’au burn-out par les conditions de travail en prison. "Être sur ses gardes en permanence, devoir toujours être dans le contrôle, ne pas montrer ses faiblesses, fait qu’au bout d’un moment, une usure psychique se crée, soupire le gardien de prison. On prend sur soi, on encaisse. On met un masque, on devient un autre homme. Quand on passe la porte principale, on laisse son autre moi à l’extérieur et on rentre dans l’uniforme…"

Les patients peuvent profiter d'un environnement apaisant. (DAVID DIGIACOMO / FRANCEINFO)

Thomas va rester deux mois au centre du Courbat, où il a trouvé un environnement qui l’apaise. Il peut y profiter de la nature, prendre le temps d'aller à la salle de sport, faire un tour en vélo, voir les chevaux. "On trouve toujours quelqu’un à qui parler si on craque. J’insiste sur le côté responsabilisation : on ne nous mâche pas le boulot."

Le mouvement des "gilets jaunes" a épuisé les forces de l'ordre

Le mouvement des "gilets jaunes" est passé par là : les manifestations ont surmobilisé les forces de l’ordre, parfois jusqu’à l’épuisement. C’est le cas de Mathieu, 1m 86, 105 kilos. Ce jeune CRS de 27 ans a tenu, tenu, puis s’est effondré. Après des problèmes familiaux, une séparation et des week-ends sans cesse travaillés il a connu la fatigue, puis le burn-out. "Je ne me sentais plus capable d’assumer mes responsabilités au travail, indique Mathieu. Il y avait pas mal de choses que je n’étais plus capable de faire…"

Sarah Trotet (à g.), directrice de l'établissement et son assistante. (DAVID DI GIACOMO / FRANCEINFO)

Aussi, pour tenter d’apporter une réponse à ces personnels au bord de l’effondrement, le centre du Courbat propose désormais un séjour de 15 jours aux policiers épuisés. Le but est de leur permettre de prendre de la distance, avant que leur situation ne s’aggrave. Sarah Trotet est la directrice du centre. "Ils vont pouvoir venir sans se dire qu’ils abandonnent leurs collègues, et apprendre à repérer eux-mêmes les symptômes qu’ils commencent à avoir : être irritable, mal dormir, consommer de l’alcool et des médicaments, explique Sarah Trotet. L’idée est de leur donner des outils pour qu’ils puissent gérer ces situations au mieux, respirer, et retourner en service." 

Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner doit annoncer vendredi une série de mesures pour renforcer la prévention des suicides dans la police et la gendarmerie. 

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