Cet article date de plus de neuf ans.

Mort du petit Bastien : comment les services sociaux repèrent les enfants en danger

Les parents de Bastien, mort enfermé dans un lave-linge, sont jugés à partir du mardi 8 septembre. Dans cette affaire, la responsabilité des services sociaux est aussi interrogée, car la famille était suivie. Pour comprendre comment travaillent ces services, francetv info s'est rendu à l'Espace des droits de l'enfant de la Somme.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une secrétaire de l'Espace des droits de l'enfant range les quelque 4 000 dossiers de mineurs suivis par les services sociaux, à Amiens (Somme), le 4 septembre 2015. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)

Le café fume dans les cinq tasses blanches posées sur un bureau. Odile Maquet s'adresse à son équipe. Deux secrétaires et deux assistantes sociales sont présentes. Derrière elles se découpe le ciel gris brumeux d'Amiens. Elles sont assises dans les locaux de l'Espace des droits de l'enfant de la Somme, un service du conseil départemental chargé de prévenir les violences et la maltraitance infantile. Alors que s'ouvre le procès de Bastien, mort enfermé dans un lave-linge, mardi 8 septembre, ces services sociaux sont sous les feux des projecteurs, car la famille était suivie. Ce vendredi 4 septembre, Odile Maquet, chef de service, revient sur les situations marquantes de la veille, avant que chacun ne se plonge dans son travail de la journée.

Le cas d'un bébé de six mois et de sa mère occupe la conversation. "Le bébé pleure beaucoup. La mère s'est sentie en détresse, alors elle a contacté une puéricultrice pour avoir de l'aide. Or, il y a dix ans, cette femme a eu un premier enfant, mort alors qu'il avait quelques mois. A l'époque, il y avait eu des suspicions de syndrome du bébé secoué. Finalement, une enquête a révélé que ce n'était pas le cas. Mais aujourd'hui, la mère en reparle et se sent dépassée. Alors la puéricultrice nous a appelés, car elle avait du mal à prendre du recul sur cette situation", résume Fanny Verstraete. 

"On déblaie toutes les situations"

Assistante sociale, Fanny Verstraete a exercé sur le terrain pendant treize ans, avant d'intégrer l'Espace des droits de l'enfant. C'est l'autre nom pour désigner la Cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) dans la Somme. L'existence d'une Crip dans chaque conseil départemental est une obligation inscrite dans la loi du 5 mars 2007, qui réforme la protection de l'enfance.

Cet acronyme abrupt désigne un ensemble de bureaux dans lesquels travaille une équipe, à mi-chemin entre le métier de travailleur social et de juriste. Le rôle de ces agents est de recueillir des informations sur des mineurs potentiellement en danger pour les transmettre aux travailleurs sociaux qui sont, eux, directement en contact avec les familles, et au parquet, qui décide des suites judiciaires à donner. Un travail très administratif, un peu ingrat, mais indispensable pour faire le tri et identifier les dossiers urgents. "On déblaie toutes les situations", résume Odile Maquet.

Parfois, le problème se dénoue rapidement. Quand Fanny Verstraete rappelle la puéricultrice, la situation s'est arrangée. "La mère s'est rendue aux urgences d'un service psychiatrique. Elle bénéficie de soins. Un accueil provisoire, de quelques jours, est prévu pour le bébé, le temps de mettre en place le suivi psychiatrique de sa mère. Le couple est aussi d'accord pour rencontrer une conseillère conjugale", explique l'assistante sociale. "L'urgence est levée. On a mis en place une réflexion et un suivi. D'une situation inquiétante, on est passés à une situation plus normale, conclut-elle, satisfaite. C'est aussi à nous de décortiquer une situation. L'important, c'est d'éviter de prendre une décision qui ne va pas dans l'intérêt de l'enfant."

M., petit garçon de 3 ans "livré à lui-même"

A Amiens, on fonctionne beaucoup par courrier et par fax. De nombreux partenaires, comme les établissements scolaires, les hôpitaux ou les centres de loisirs, écrivent des lettres pour décrire la situation d'un enfant qu'ils jugent en danger. Il y a aussi quelques courriers électroniques. Céline Pupin, une assistante sociale, est chargée de rester en veille sur la boîte mail. Les informations sont aussi recueillies par téléphone. La ligne de la Somme (03 22 97 22 97) est ouverte de 8h30 à 17h30 avec une interruption d'une heure. En dehors de ces horaires, le 119 "Allô enfance en danger" prend le relais. Chaque jour, un travailleur social différent se charge de répondre au téléphone. Aujourd'hui, c'est le tour de Fanny Verstraete.

Un camion avec le numéro national 119 "Allô enfance en danger", chargé de faciliter le dépistage des situations de maltraitance des enfants, posé sur un bureau de l'Espace des droits de l'enfant. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)


10h30 : la jeune femme à la voix douce et posée reçoit l'appel d'une voisine inquiète. "L'appelante indique que M., âgé de 3 ans, a été placé quelque temps 'car il a été brûlé par sa mère'. Il est revenu vivre auprès de sa famille depuis février 2015. Le petit garçon est livré à lui-même, 'il traîne les rues' pendant la journée, sans surveillance d'un adulte, 'sa mère dort car elle se drogue'..."

Une fiche de recueil d'information préoccupante. (CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE LA SOMME)
 

La conversation téléphonique dure quinze minutes. Fanny Verstraete agite un stylo-bille dans sa main gauche, prend parfois des notes. "Cette femme est surtout préoccupée par son histoire de voisinage, mais ce qui m'intéresse, c'est la situation des enfants. J'oriente donc les questions sur ce point. Il faut l'inviter à reformuler, à se recentrer, tout en valorisant le propos et en étant à l'écoute. J'ai été formée à cela", commente l'assistante sociale. A l'issue de l'échange, elle remplit une fiche. "J'écris quelques lignes, pas plus. Il faut éviter de se noyer dans les informations."

Fanny Verstraete, assistante sociale, répond aux appels téléphoniques au sein de l'Espace des droits de l'enfant. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)

"On n'est pas des flics"

Si la situation est très urgente, Fanny Verstraete doit faire un signalement au procureur de la République. Cela a concerné 90 informations préoccupantes sur 4 180 recueillies en 2014 dans la Somme (dont 2 672 pour des mineurs non connus des fichiers). Cette fois, ce n'est pas le cas, même si la situation est considérée comme urgente.

L'assistante sociale doit ensuite contacter le responsable d'un des neuf territoires de la Somme. C'est lui qui, à son tour, désigne un travailleur social (assistante sociale, éducateur spécialisé, puéricultrice) pour intervenir au domicile de la famille. Dépêché vendredi après-midi, il constate que les enfants vont bien. L'appel a surtout été motivé par un conflit de voisinage avec le nouveau concubin de la mère. L'urgence est levée, mais il doit rédiger une évaluation. Dans la Somme, il a cinq à six semaines pour rendre son rapport. 

L'évaluation permet de préconiser un accompagnement des enfants si nécessaire. En 2014, 922 mineurs ont fait l'objet d'une telle mesure dans la Somme. Par exemple, une assistante sociale vient les voir tous les quinze jours, ou bien, si l'accompagnement est spécialisé, ils sont suivis par un éducateur. "Si un enfant est en danger, on ne se contente pas d'évaluer sa situation. On observe la fratrie dans son ensemble", précise Odile Maquet, qui passe une tête dans l'encadrement de la porte.

Pour évaluer une situation familiale, la coopération des parents est obligatoire. "Une assistante sociale peut contacter les lieux que l'enfant fréquente, mais avec l'autorisation des parents. S'ils refusent, on ne peut rien faire. On n'est pas des flics. On n'a pas le droit de frapper aux portes pour faire une enquête de voisinage", explique Odile Maquet. "On est lié à ce que les parents vont nous laisser voir", reconnaît-elle.

"Respecter le mode de vie des gens est indispensable"

Cette organisation a ses limites, avec une issue parfois tragique. Odile Maquet a connu ce type de situation, il y a un peu plus de sept ans. "Des parents végétaliens n'ont pas soigné correctement leur bébé, et l'ont laissé mourir de défaut de soins et sous-nutrition. L'enfant était repéré par les services sociaux après une information préoccupante des grands-parents paternels", se souvient-elle. Les travailleurs sociaux se sont rendus à deux reprises à leur domicile. Ils ont constaté un faible poids, mais ne l'ont pas jugé préoccupant.

"Les parents ne faisaient pas confiance à la médecine, mais aux plantes. Néanmoins, la mère s'était engagée à le faire soigner en cas de problème. Ils avaient une première fille en bonne santé. Les travailleurs sociaux ont insisté. Mais les parents ont réagi trop tard. Ils ont retrouvé leur bébé mort dans son lit, un matin", raconte Odile Maquet, encore marquée par cette histoire.

Elle ne pense pas que les services sociaux auraient pu agir autrement. "Respecter le mode de vie des gens et leur intimité est indispensable. On n'est pas là pour faire des familles comme dans les Disney. On n'oblige pas tout le monde à vivre de la même manière, avec, toutefois, une seule limite : le bien-être de l'enfant, primordial."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.