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Homosexualité : ce qu'il faut savoir sur la proposition de loi qui vise à indemniser les personnes condamnées en France

Le Sénat étudie mercredi une proposition de loi socialiste visant à apporter une réparation aux personnes homosexuelles condamnées en France entre 1942 et 1982. Le texte a néanmoins peu de chance d'être adopté en l'état.
Article rédigé par Mathilde Goupil - avec AFP
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Temps de lecture : 8min
L'hémicycle du Sénat, lors d'une séance de questions au gouvernement, le 8 mars 2023 à Paris. (STEPHANE DUPRAT / SIPA)

"Réparer une erreur de la société." En France, entre 1942 et 1982, plusieurs milliers de personnes ont été condamnées pour homosexualité, la plupart à des peines de prison. Une proposition de loi, qui sera débattue mercredi 22 novembre au Sénat lors de la niche parlementaire du Parti socialiste, propose d'indemniser les personnes condamnées et de reconnaître la responsabilité de l'Etat dans cette persécution.

"Nous avons suffisamment de recul pour pouvoir regarder ce passé douloureux et peu glorieux, et pour reconnaître les erreurs qui ont été faites", justifie le sénateur socialiste Hussein Bourgi, à l'origine du texte, auprès de franceinfo. Comment était réprimée l'homosexualité en France ? Que contient la proposition de loi ? A-t-elle des chances d'être adoptée ? Franceinfo vous résume tout ce qu'il faut savoir.

Les homosexuels risquaient la prison jusqu'en 1982

La France a été le premier pays au monde à dépénaliser l'homosexualité, en 1791, sous la Révolution française. Mais la politique de discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles s'est poursuivie bien après, en se fondant notamment sur deux articles du Code pénal.

Sous couvert de protéger la jeunesse, le régime de Vichy a d'abord réintroduit une discrimination entre personnes hétérosexuelles et homosexuelles par la loi du 6 août 1942 en alignant la majorité sexuelle sur la majorité civile à 21 ans pour les homosexuels (contre 13 ans pour les hétérosexuels). Cette infraction est confirmée à la Libération et inscrite à l'article 331 du Code pénal. Près de deux décennies plus tard, l'ordonnance du 25 novembre 1960 a intégré à l'article 330 du même code une circonstance aggravante à l'outrage public à la pudeur lorsque celui-ci était commis sur une personne du même sexe. Ces deux infractions étaient passibles de six mois à trois ans d'emprisonnement et de plusieurs milliers de francs d'amende.

"Les juges ont utilisé un arsenal pénal bien plus large et toutes sortes d'articles pour réprimer l'homosexualité, quand bien même ils n'étaient pas explicitement prévus pour cela."

Antoine Idier, sociologue et historien spécialiste de l'homosexualité

à l'AFP

Certains ont ainsi pu être condamnés pour "attentat aux mœurs" ou "excitation de mineur à la débauche". Il faudra attendre 1982 pour que l'homosexualité soit définitivement dépénalisée en France.

Difficile de savoir exactement combien de personnes ont été condamnées pour homosexualité depuis le régime de Vichy. D'après les travaux des sociologues Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen, au moins 10 000 condamnations ont eu lieu dans l'Hexagone entre 1942 et 1982, sur la base de l'article 331 du Code pénal. Il s'agissait presque exclusivement d'hommes, de classe populaire. Un tiers d'entre eux étaient mariés, veufs ou divorcés, et un quart avaient des enfants. Entre 1945 et 1978, 93% des condamnations comportaient une peine de prison. Pour autant, d'autres condamnations pour homosexualité ont eu lieu, sur la base d'autres articles. Entendu par les sénateurs, Régis Schlagdenhauffen estime que jusqu'à 50 000 personnes ont ainsi pu être condamnées en raison de leur homosexualité, réelle ou supposée.

La proposition de loi entend réparer une injustice 

L'ensemble des personnes condamnées ont déjà été amnistiées par la loi du 4 août 1981, entraînant l'effacement des mentions correspondantes au casier judiciaire. La proposition de loi actuelle souhaite aller plus loin en consacrant la responsabilité de la France dans "la politique de criminalisation et de discrimination" menée à l'égard des personnes homosexuelles. Elle prévoit également la création d'un nouveau délit, inspiré par l'infraction de "négationnisme", pour ceux qui "contestent l'existence de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France".

Le texte entend enfin créer une commission indépendante afin d'indemniser les personnes condamnées, à hauteur de 10 000 euros minimum. Cette indemnisation forfaitaire serait par ailleurs renchérie d'une somme équivalente à 150 euros par jour de prison effectué. Le texte prévoit aussi le remboursement des amendes payées par les personnes condamnées. Dans les pays ayant déjà adopté ce type de réparation (Allemagne, Autriche, Canada et Espagne), peu de personnes entament toutefois les démarches pour être indemnisées, pointe Régis Schlagdenhauffen, qui estime que "la somme globale ne devrait pas excéder les deux millions d'euros", rapporte La Croix.

Dans une tribune publiée en juin 2022 dans le magazine Têtu, des militants, syndicalistes et élus avaient demandé à la France de reconnaître et de réhabiliter les milliers de victimes de la répression. Pour l'avocat Joël Deumier, co-président de l'association SOS Homophobie, cette "reconnaissance" du rôle de l'Etat est "indispensable".

"S'il existe encore de l'homophobie dans la société actuelle, c'est aussi parce que des lois, des règlements et des pratiques de l'Etat ont légitimé cette discrimination dans le passé."

Joël Deumier, co-président de SOS Homophobie

à l'AFP

Avec ce texte, "on répare un moment de honte et d'infamie terrible", estime aussi Jean-Louis Lecouffe, membre de la coordination du groupe parisien de l'association de personnes LGBT et chrétiennes David et Jonathan. Il espère que la proposition de loi pourra déclencher "une prise de conscience" sur "la violence" qu'ont pu subir les personnes homosexuelles en France.

"L'homophobie d'Etat, c'était pourchasser les homosexuels partout", se souvient aussi Michel Chomarat, 74 ans, interpellé en mai 1977 à Paris, aux côtés de huit hommes, lors d'une incursion policière dans le bar gay Le Manhattan. Lui qui avait souhaité, dès juillet 2022, sur France Inter, que la France "regarde son passé en face, même s'il n'est pas glorieux", regrette néanmoins que cette proposition de loi arrive "aussi tard", de nombreuses personnes concernées par les condamnations étant déjà décédées. 

Le principe de ces indemnisations pourrait être rejeté

La proposition de loi sénatoriale a été signée par les groupes socialistes, écologistes, communistes et des sénateurs radicaux, centristes et des Républicains.

"Je persiste à penser que c'est un sujet suffisamment consensuel pour réunir toutes les bonnes volontés de l'Hémicycle."

Hussein Bourgi, sénateur à l'origine de la proposition de loi

sur Public Sénat

Pourtant, le texte n'a pas eu l'approbation de la commission des lois du Sénat – un groupe de sénateurs, présidé par François-Noël Buffet (Les Républicains), chargé d'examiner en premier les propositions et projets de loi. Le rapporteur Francis Szpiner (LR) a notamment soulevé des "difficultés juridiques". Selon lui, la proposition entre par exemple en contradiction avec "la durée maximale [de 30 ans] pendant laquelle un préjudice peut être indemnisé".

L'élu s'oppose par ailleurs, sur le fond, au principe de l'indemnisation généralisée, au titre que les Etats l'ayant adoptée ont une "histoire" qui "diffère sensiblement de celle de la France" en raison "du caractère massif des condamnations" (plus de 90 000 en Allemagne) ou de "l'existence d'une politique globale d'Etat homophobe" (sous le franquisme espagnol). Le rapporteur considère également que la déportation des homosexuels depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale est déjà couverte par le délit de "négationnisme" prévu par la loi du 29 juillet 1881.

La droite et le centre disposant de la majorité au Sénat, leur approbation du texte est nécessaire pour emporter le vote. Pour autant, si la proposition de loi n'a que peu de chances de passer en l'état, le rapporteur LR auprès de la commission des lois s'est dit favorable au fait "de reconnaître", par un vote, "que le législateur s'est fourvoyé en soumettant l'homosexualité à la loi pénale". Il se prononce à cet effet pour l'adoption d'un amendement qui supprime notamment la référence à une réparation financière.

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