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Les parents d'enfants adoptifs bloqués en RDC dénoncent "une situation inhumaine"

Les autorités françaises ont refusé d'accorder des visas à 53 enfants originaires de République démocratique du Congo, légalement adoptés par des parents français.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des familles dont les enfants adoptifs sont bloqués en République démocratique du Congo manifestent à Paris, le 19 décembre 2016. (ALAIN JOCARD / AFP)

"Des visas pour nos enfants !" Quelque 150 à 200 manifestants répètent ce slogan sous les fenêtres du ministère des Affaires étrangères, à Paris, lundi 19 décembre. Malgré le froid mordant, ils font le pied de grue sur l'esplanade du quai d'Orsay, en brandissant des pancartes avec des photos d'enfants. Sur l'une d'entre elles, un message : "Aidez-moi à rejoindre mon papa et ma maman."

Ces parents attendent depuis plusieurs années de voir arriver leurs enfants adoptifs. Quelque 53 enfants sont bloqués en République démocratique du Congo (RDC), après que leurs demandes de visa ont été rejetées par les autorités françaises au printemps 2016. Un recours gracieux a néanmoins été accordé vendredi dernier par les autorités françaises, selon Guillaume Le Maignan, l'avocat d'une de ces familles ayant vu sa demande acceptée. Pour les autres, des "irrégularités" font peser des "soupçons de fraude" sur ces dossiers, explique Le Parisien.

"Ça a été la douche froide"

La situation est d'autant plus complexe que le Quai d'Orsay a annoncé qu'il suspendait les adoptions internationales d'enfants dans ce pays, à partir du 1er janvier 2017. "Il s'agit d'une décision difficile mais qui, en raison de l'insuffisance des garanties juridiques et éthiques entourant l'adoption dans ce pays, a été jugée impérative", a expliqué le ministère dans un communiqué, publié le 29 novembre. L'objectif est clair : éviter tout trafic d'enfants.

Pour Irène et Denis Grelier, la situation est "aberrante""Le jugement d'adoption d'Irena, une petite fille de 6 ans et demi désormais, a été rendu en 2012, explique la Nantaise, d'une voix émue. Il s'agit d'un rapprochement de fratrie : nous avons déjà accueilli sa grande sœur biologique, Miradi, en 2011." A l'époque, la Mission pour l'adoption internationale (MAI) a encouragé la famille Grelier à engager cette procédure d'adoption.

Irène, Miradi et Denis Grelier manifestent à Paris, le 19 décembre 2016. La fille adoptive du couple est bloquée en République démocratique du Congo, après le refus de la France de lui délivrer un visa. (MARIE-VIOLETTE BERNARD / FRANCEINFO)

Mais en 2013, Denis et Irène Grelier déchantent : la RDC décide un moratoire sur les adoptions internationales, à cause de soupçons de maltraitance. Tous les dossiers sont gelés durant plus de deux ans. "En avril dernier, les procédures ont repris et les demandes de visa ont pu être déposées, se souvient Irène Grelier. Mais ça a été la douche froide : notre dossier a été rejeté car la MAI avait soudainement des doutes sur l'adoptabilité de notre fille Irena."

"De vrais fraudeurs ne feraient pas autant d'erreurs"

Nicolas Lejeune s'est trouvé dans la même situation. "Cela fait trois ans que nous attendons que Lucie nous rejoigne", explique-t-il, une pancarte avec la photo de sa fille à la main. La petite a désormais 5 ans. La MAI a refusé de lui délivrer un visa de long séjour à cause d'une erreur de date sur un document porté à son dossier. "Nous sommes pourtant les parents de Lucie au regard du droit international, s'indigne Nicolas Lejeune. La RDC pourrait presque nous poursuivre pour abandon d'enfant parce qu'on refuse l'entrée en France à notre fille !"

Nicolas Lejeune manifestent à Paris avec son fils Luxon, le 19 décembre 2016. Il réclame un visa pour permettre à sa fille adoptive d'entrer en France. (MARIE-VIOLETTE BERNARD / FRANCEINFO)

"Les raisons de ces refus ressemblent à un inventaire à la Prévert, s'agace Guillaume Le Maignan, l'avocat de 15 familles. Les autorités françaises évoquent des soupçons de fraudes, après avoir découvert une succession d'erreurs dans les dossiers. Ils oublient que l'administration congolaise ne fonctionne pas toujours aussi bien que la nôtre."

Dans certains cas, le consentement des parents biologiques n'a été donné qu'après le jugement d'adoption. Dans d'autres dossiers, le certificat de décès des parents biologiques est manquant ou les enfants ont plusieurs actes de naissance établis à des dates différentes. "La MAI considère qu'il y a trop d'irrégularités dans ces dossiers, poursuit Guillaume Le Maignan. Mais de vrais fraudeurs ne feraient pas autant d'erreurs !"

"Cette situation est inhumaine"

"La France prend ces enfants en otages, martèle Irène Grelier. Cette situation est inhumaine." Le refus de visa est particulièrement difficile à vivre pour Miradi, la sœur biologique d'Irena et premier enfant adoptif du couple nantais. "Elle en a marre d'attendre sa sœur, témoigne sa mère. Cela fait quatre ans qu'elle espère pouvoir faire sa rentrée avec Irena, fêter Noël avec elle."  La petite fille a écrit une lettre au ministère des Affaires étrangères, peu avant la manifestation. "Je vous en supplie, faites vite pour ma petite sœur, écrit l'enfant sous une photo de famille. Ca fait quatre ans et demi que je ne l'ai pas vue."

Miradi Grelier, la grande sœur biologique d'une petite fille bloquée en République démocratique du Congo, a envoyé une lettre au ministère des Affaires étrangères pour demander un visa pour sa cadette. (MARIE-VIOLETTE BERNARD / FRANCEINFO)

Irène Grelier reste toutefois "confiante""Je suis convaincue qu'Irena finira par nous rejoindre, nous entamerons toutes les procédures nécessaires pour cela", promet-elle. Nicolas Lejeune fait preuve de la même détermination. "La prochaine étape est de déposer un recours devant le tribunal administratif pour qu'il détermine si ce refus de visa est légal, explique le père de la petite Lucie. Mais cette procédure peut prendre encore deux ans. Nous voulons voir notre fille avant ça."

Pour les Grelier, le Quai d'Orsay "va céder" et accepter de réexaminer les dossiers des 53 enfants encore bloqués en RDC. "Après tout, le mot visa commence par un 'v'comme victoire", sourit Irène, toujours debout sous les fenêtres du ministère. A l'étage, une délégation de trois familles et deux avocats de parents vient d'être reçue par le directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault. Le Quai d'Orsay a "encouragé les parents à déposer des recours gracieux, s'engageant à tous les étudier", selon Guillaume Le Maignan. "Nous n'abandonnerons pas nos enfants, assure Nicolas Lejeune. Nous ferons tout ce qu'il faudra pour qu'ils nous rejoignent enfin."

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