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Au Sénat, le sans-papiers Armando Curri en apprenti vedette face aux médias

Ce jeune Albanais a reçu mercredi 4 mars sa médaille de meilleur apprenti menuisier de France. Cette cérémonie lui avait été, dans un premier temps, refusée en raison de sa situation irrégulière. Francetv info y a assisté.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Armando Curri, un Albanais de 19 ans, reçoit son prix de meilleur apprenti de France, au Sénat, à Paris, le 4 mars 2015. (THOMAS SAMSON / AFP)

"La Gironde." Département après département, des jeunes, tout juste adultes, parfois encore adolescents, s'avancent sur le podium recouvert de velours rouge, dans le décor Second Empire de la salle des conférences du Sénat. Chemise sur pantalon à pinces, robes de gala et petits talons : tous sont sur leur trente-et-un. Ce sont les meilleurs apprentis de France.

L'un d'eux, Armando Curri, est très attendu. C'est bientôt son tour : il vient de la Loire. Mercredi 4 mars, c'est lui la star. Dans quelques minutes, ce jeune Albanais de 19 ans sans papiers, recevra sa médaille de meilleur apprenti menuisier de France. L'effervescence règne. Les photographes arrivent. Les journalistes installent leurs caméras. On s'interroge : par où va-t-il arriver ? Où va-t-il repartir ? Un bourdonnement parcourt l'assemblée, à tel point que le maître de cérémonie doit demander le silence. Enfin, le voilà.

En Albanie aussi, les journaux parlent de lui

Cheveux noirs gominés plaqués sur le côté, barbe naissante, costume et nœud papillon noirs, Armando Curri se baisse pour recevoir autour du cou un ruban bleu-blanc-rouge auquel est accrochée sa médaille couleur or. Puis il relève la tête. Les flashs crépitent. Son large sourire, filmé de près, apparaît sur le grand écran fixé au-dessus du podium.

Il pose encore un peu, avec fierté, et redescend pour laisser la place aux lauréats suivants. Logiquement, ce sont les meilleurs apprentis de la Lozère. Mais les journalistes n'écoutent plus : ils s'engouffrent dans un couloir, derrière Armando.

Arrivé à 16 ans en France, le jeune homme se retrouve trois ans plus tard sous les ors de la République. Pourtant, il dit avoir choisi l'Hexagone "un peu par hasard". Il est venu seul. Sa famille est restée en Albanie. "Elle est fière de moi", confie-t-il, en ajoutant qu'il n'a pas encore eu sa mère au téléphone. "Mais là-bas aussi, les journaux ont parlé de moi."

Une nuée de journalistes

Le jeune homme de 19 ans se retrouve au centre des journalistes. Les micros et les perches lui sont tendus, la lumière d'une caméra braquée sur lui.

D'une petite voix, douce, Armando Curri prononce quelques mots, mais n'a pas le temps de développer. "Laissez-nous passer" : un sénateur de la Loire, le socialiste Jean-Claude Frécon, l'entraîne pour prendre une photo. Il pose avec l'autre apprenti de la Loire récompensé. Tous les deux exhibent avec fierté leurs médailles.

Les journalistes ne les ont pas quittés. "Reculez, mais reculez !", s'exclame l'administratrice du Sénat chargée des relations presse. La séance photos dure une poignée de minutes. Puis Armando Curri contourne le cordon. Le silence se fait autour de lui.

C'est un grand jour pour moi. C'est formidable. Maintenant j'aimerais travailler normalement, comme un Français, et même payer des impôts ! Je suis fier de porter cette médaille.

Armando Curri

au Sénat

Le jeune Albanais aux yeux verts clairs espère que cette récompense lui permettra de trouver un emploi facilement. "Et ensuite, monter mon entreprise... Et pourquoi pas embaucher des Français ? Ce sont eux qui m'ont aidé", dit-il.

"On n'a pas souvent de bonnes histoires à raconter"

Armando Curri s'exprime dans un bon français, et a déjà le sens de la formule. Les journalistes répondent au sourire qui ne quitte pas son visage. "Désolée, mais on n'a pas souvent de bonnes histoires à raconter, pour une fois c'est le cas", lance une journaliste d'une chaîne d'info en continu. Elle s'adresse à l'entourage d'Armando Curri, qui s'agace de voir autant de journalistes se presser autour de lui : un sénateur et une sénatrice de la Loire, et son ancien professeur.

Joseph Morin est perplexe devant l'empressement du parterre de journalistes : "C'est phénoménal !" "Heureusement, Armando a la tête solide. Quelqu'un de fragile ne tiendrait pas le coup. Vous rendez-vous compte, déjà, hier, on n'a pas arrêté de répondre aux questions, en non-stop, de 8 heures à 23 heures !", s'exclame cet enseignant dans le domaine de la menuiserie. Il a pris le parti de le conseiller. 

A la retraite depuis peu, Joseph Morin a exercé pendant 36 ans au CFA-BTP Loire Michel-Cluzel à Saint-Etienne. En fin de carrière, il a été le professeur d'Armando. "J'ai tout de suite senti que c'était un jeune qui voulait s'en sortir. Il s'est investi et il est resté dans le droit chemin", commente-t-il. A l'entendre, au début, cela n'a pas été simple : "Les termes techniques en menuiserie sont difficiles, mais il a rapidement progressé en français."

C'est aussi l'avis d'Allan Giffard, l'autre meilleur apprenti de la Loire, primé dans la catégorie Froid et climatisation. Le jeune homme blond et grand, se tient un peu en retrait. Il reste aux côtés d'Armando Curri, sans trop parler. "C'est bien pour lui. Il attendait une autorisation de séjour depuis longtemps [NDLR : celle qu'il a obtenue est provisoire]. Il veut s'impliquer dans la société, être un Français avec des droits et des devoirs", confie-t-il.

Un direct à la télé avant de repartir à l'école

Pendant ce temps, Armando Curri accepte d'être interviewé par un journaliste de RTL arrivé en retard. Les questions sont pourtant les mêmes que celles des confrères. Soudain, le président du Sénat Gérard Larcher fait irruption dans le salon. Mardi, son cabinet avait indiqué "qu'il ne [pouvait] accueillir en son sein une personne en situation irrégulière", avant de revenir sur la décision. Il a décidé, après en avoir informé le ministère de l'Intérieur, de ne pas faire obstacle à l'accueil de ce jeune dans le cadre strict de la cérémonie. Mercredi, il s'en félicite.

"Vous ne vous êtes pas encore serrés la main ?", lance un journaliste. Et voilà le président du Sénat et l'apprenti albanais qui s'exécutent devant les caméras et les photographes. Puis Armando Curri accepte d'apparaître en direct sur iTélé.

A quelques mètres, dans la salle de conférences, les meilleurs apprentis continuent d'être appelés. C'est aux élèves du Tarn de monter sur le podium. Carole Delga secrétaire d'Etat au commerce, est arrivée, elle va prononcer un discours. Gérard Larcher aussi.

A midi, une ultime cérémonie attend Armando Curri. Elle distingue les 25 meilleurs des 338 meilleurs apprentis de France. La crème de la crème. Puis le jeune homme prendra le train pour rentrer dans la Loire. Il est inscrit en bac pro dans un lycée de l'agglomération roannaise. Bien loin des caméras. "Demain, j'ai école", répond-il avec sobriété, pour décliner une énième invitation sur un plateau télé dans la soirée.

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