"La majorité des salafistes ont en horreur ce genre de manifestations"
Rapidement attribuée à des salafistes, la manifestation anti-américaine de samedi serait spontanée et peu organisée, selon plusieurs spécialistes.
VIOLENCES ANTI-AMERICAINES - Ils étaient 200, peut-être 250, samedi, selon la police. Ils auraient souhaité protester contre le film islamophobe Innocence of muslims ("L'Innocence des musulmans"). Beaucoup avaient fait le déplacement samedi vers l'ambassade américaine à Paris après avoir reçu un SMS ou lu un tweet comme celui-ci.
Slm alkm [Rassemblement UNIQUEMENT pour les frères] Assalamou alaykoum, un rassemblement aura lieu le samedi 15 septembre 2012 ...
— samir mokeddem (@samirmokeddem) Septembre 15, 2012
A deux pas de l'Elysée, dans un quartier ultra-sécurisé où les manifestations sont rarissimes, et sans demander une autorisation en préfecture, ils ont importé un peu des protestations qui secouent plusieurs pays du monde musulman. Quelque 152 personnes ont été arrêtées, quatre policiers légèrement blessés et une nouvelle polémique est née.
Les salafistes pointés du doigt
On ignore qui sont les organisateurs de cette manifestation, mais une enquête a été ordonnée pour les identifier. Toutefois, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls a déjà pointé du doigt, dans le Figaro, des "groupes de salafistes purs et durs".
Le salafisme ? "Une méthodologie religieuse qui prône un retour aux valeurs de l'authenticité de l'islam à ses débuts", explique le sociologue Samir Amghar, contacté par FTVi. Ce "courant de l'islam sunnite ultra-orthodoxe" remonte au IXe siècle de l'ère chrétienne, poursuit l'auteur de Le salafisme d'aujourd'hui. Mouvements sectaires en Occident, aux éditions Michalon. Il fait référence au mot arabe "salaf", que l'on peut traduire par "les ancêtres".
En France, le salafisme est un mouvement "réactionnaire, ultra-orthodoxe et rigoriste". Les pratiquants cherchent à "calquer leur vie sur les préceptes des théologiens d'Arabie saoudite", avec une "organisation très ritualisée de la vie où on doit obéir au plus près aux préceptes de l'islam".
Le salafisme, un mouvement pluriel
Le courant est lui-même "subdivisé en trois catégories", observe le chercheur. D'abord "le salafisme piétiste, caractérisé par son apolitisme et une condamnation de la violence avec un retour à la pratique religieuse". Ensuite, le "salafisme politique qui appelle à une pratique authentique de l'islam, mais aussi à un engagement sur la scène publique". Et enfin, "le salafisme révolutionnaire, qui appelle au jihad". Autant de courants qui "se jettent mutuellement l'anathème".
Nos confrères de France 2 avancent le chiffre de 12 000 à 15 000 fidèles en France, bien loin des 3,5 millions de musulmans estimés. Entre un tiers et un quart d'entre eux sont des convertis, notamment catholiques et protestants, selon Slate.
Les manifestants étaient-ils des salafistes ?
Le sociologue en doute. "Ce n'est pas parce que les salafistes portent une barbe et une djellaba que toute personne qui porte une barbe et une djellaba est un salafiste." Pour lui, "salafiste est devenu un terme générique que médias et politiques utilisent pour disqualifier toute forme de radicalisme islamique. On avait affaire à des musulmans ordinaires, pratiquants, qui se reconnaissent dans la philosophie de la manifestation et sentent leur identité menacée".
On "mélange les choses", abonde Mohamed-Ali Adraoui, chercheur et enseignant à Sciences Po, contacté par FTVi. "La majorité des salafistes ont en horreur ce genre de manifestations car elles présentent un risque d'anarchie, de sédition, ou 'fitna', relevant de l'hérésie. Ainsi, on ne provoque pas le pouvoir en place." Lui aussi pointe que "salafiste" est devenu un terme "générique" pour désigner "sectarisme, fondamentalisme et radicalisme", en somme un "terme nouveau qui fait suffisamment peur et suscite la psychose".
"Une manifestation sauvage"
Le chercheur remarque que les images de la manifestation montrent plutôt des personnes en "survêtements, en baskets". Pour lui, "des jeunes de banlieue qui ne fréquentent pas beaucoup les mosquées". "Leurs motivations ne sont pas forcément religieuses" : ils seraient plutôt enclins à "en découdre" avec la police, suppute-t-il.
Dans le rôle d'instigateurs se trouvent "des petits groupes à la recherche d'événements pour se présenter comme des défenseurs de l'islam". Il cite en exemple l'ex-groupe Forsane Alizza, dissous après l'affaire Merah. Il se remémore encore des manifestations épidermiques lors du débat sur le voile intégral ou en réaction à des Assises sur l'islamisation en Europe en 2010.
Sur des mailing-lists, il explique avoir vu fleurir les appels à manifester "au plus tôt vendredi". Pour lui, tout cela était assez "anarchique, pas préparé, décidé dans les dernières heures". D'ailleurs, parmi les manifestants "il n'y avait pas de mot d'ordre, pas de banderole, pas de meneur, on parlait un coup en arabe, un coup en français. C'est une manifestation qu'on pourrait qualifier de 'sauvage' ".
Une réaction spontanée qui aurait dérouté les policiers. "Il n'y a pas de défaillance particulière, il y a juste une constatation de ce que sont les effets secondaires de la technologie. Il paraît aujourd'hui impossible de contrôler les réseaux sociaux pour empêcher ce type de manifestation", analyse le criminologue à France 24. Mohamed-Ali Adraoui relativise d'ailleurs le succès de l'opération au regard des "milliers d'e-mails et de messages" diffusés et des quelques centaines de personnes présentes.
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