Téléphones mouchards, téléconsultations en garde à vue, perquisitions de nuit... On vous explique pourquoi le projet de loi sur la justice est critiqué
Simple nouvel outil technologique ou dangereuse mesure liberticide ? Les députés ont approuvé, mercredi 5 juillet, l'article 3 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice, qui compte plus de 150 alinéas, modifiant ainsi de nombreux points de la procédure pénale. Une disposition a particulièrement fait débat : la possibilité d'activer à distance des téléphones portables, ordinateurs et autres objets connectés, pour écouter et filmer à leur insu des personnes visées dans certaines enquêtes. En tout, 80 députés de la majorité, des Républicains et du Rassemblement national ont voté pour et 24 élus de la Nupes contre. Le président du groupe Liot, Bertrand Pancher, s'est également opposé à cette mesure. Mais que prévoit exactement ce texte ? Quelles critiques lui sont opposées ? Franceinfo fait le point.
L'activation à distance d'objets connectés
Ce que prévoit le texte. L'article permet l'activation à distance de téléphones portables, ordinateurs et autres objets connectés dans deux cas distincts. Le premier autorise la géolocalisation pour suivre en temps réel les déplacements de personnes visées par une enquête pour crime ou délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Le second concerne quant à lui des personnes visées dans des affaires de terrorisme, de délinquance et de criminalité organisées, et permet de capter à distance des sons et des images issues de téléphones portables, d'ordinateurs et autres objets connectés.
Ces procédures sont encadrées. L'activation d'un téléphone ou d'un objet connecté doit être soumise à la décision d'un juge et être limitée dans le temps, selon le texte publié sur le site de l'Assemblée nationale. En effet, la captation d'images et de sons sera réservée aux affaires les "plus graves" et autorisée 15 jours renouvelables une fois par le juge des libertés et de la détention, et deux mois renouvelables par un juge d'instruction jusqu'à une durée maximale de six mois. En outre, le texte précise que cette activation ne peut pas concerner les appareils électroniques utilisés par un député, un sénateur, un magistrat, un avocat, un journaliste ou un médecin.
Pourquoi c'est critiqué. Le projet de loi n'est pas du goût des députés de gauche, vent debout contre ces dispositions "d'intrusion dans la vie privée", ainsi que de plusieurs avocats et associations. "Ce projet de loi est délétère", a ainsi dénoncé la députée insoumise Ersilia Soudais, soutenue par son collègue Antoine Léaument. "1984, c'est précisément le monde que vous êtes en train de nous fournir", a-t-il critiqué, lisant un extrait du livre de George Orwell dans l'Hémicycle, comme le rapporte LCP. "Les garanties encadrant ces mesures ne sont pas satisfaisantes", a pour sa part réagi la députée socialiste , Cécile Untermaier sur Twitter.
Les avocats dénoncent également une atteinte aux libertés. Ainsi, le Conseil national des barreaux a demandé le retrait pur et simple du texte au garde des Sceaux, selon un communiqué. La profession craint une "possible banalisation des atteintes aux libertés individuelles", fustigeant des "techniques de surveillance continue", de nature à remettre "en cause le droit à la vie privée". De son côté, le Conseil d'Etat a émis un avis sur le projet de loi, au printemps 2023, dans lequel il souligne que "ce mode opératoire a perdu de son efficacité face à des délinquants qui ont appris à s'en prémunir".
Pour justifier la nécessité de ces captations, le garde des Sceaux les compare à la "vieille technique" de micros ou de caméras posés chez des suspects et souligne qu'elle concerne seulement "des dizaines d'affaires par an". Il argue aussi que le déclenchement à distance d'appareils connectés est déjà utilisé par "les services de renseignement", sans que l'autorisation d'un juge soit nécessaire. Enfin, concernant la géolocalisation, elle "existe déjà" avec des balises et le bornage de téléphones, pour des crimes et délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement, justifie le ministre.
Le recours possible aux télécommunications
Ce que prévoit le texte. Deux paragraphes sont consacrés à l'usage des télécommunications, plus particulièrement lors des gardes à vue. Le premier prévoit la possibilité de recourir à une téléconsultation pour un examen médical d'une personne majeure, lors d'une prolongation de garde à vue. Et ce, "si la nature de l'examen le permet, dans des conditions garantissant la qualité, la confidentialité et la sécurité des échanges". Toutefois, le médecin peut demander un examen physique, s'il l'estime nécessaire. Dans le cas où la personne en garde à vue ne parle pas français, le texte permet également aux interprètes d'intervenir à distance. Et ce, "par l'intermédiaire de moyens de télécommunication dans des conditions garantissant la qualité, la confidentialité et la sécurité des échanges, notamment avec son avocat", précise le texte.
Pourquoi c'est critiqué. Ce recours aux télécommunications "inquiète" notamment le Conseil de l'ordre des avocats, qui "déplore le recours à des moyens de télécommunication pour les interventions fondamentales de l'interprète et du médecin, notamment en garde à vue". Une inquiétude partagée par la Défenseure des droits. Dans un avis publié début juin (PDF), Claire Hédon estime que "le premier examen médical a minima, et ce même s'il intervient lors de la prolongation de la garde à vue, doit permettre à la personne d'être mise en présence d'un médecin". Pour ce qui est de l'intervention à distance d'un interprète, elle pointe le "manque de moyens matériels et donc des répercussions de l'utilisation de moyens de télécommunication dégradés sur la communication entre l'interprète et la personne concernée".
Les perquisitions de nuit pour les crimes de droit commun
Ce que prévoit le texte. Dans ce vaste article 3, le texte prévoit également l'extension du recours aux perquisitions de nuit, jusqu'ici réservées à un champ très limité de criminalité, pour les crimes de droit commun. Et ce, afin de "permettre la préservation des preuves et éviter un nouveau passage à l'acte", justifie le texte.
Pourquoi c'est critiqué. C'est une disposition qui vise à faire "reculer le principe d'inviolabilité du domicile", a dénoncé la députée insoumise Andrée Taurinya lors des débats. Un avis appuyé par le député écologiste Jérémie Iordanoff, qui estime que ce texte "donne la permission à des techniques d'investigation particulièrement intrusives en les étendant à des crimes de droit commun".
Outre les politiques, cette mesure est considérée, "au même titre que l'article 3 du projet de loi", comme un "enterrement des droits de la défense", dénonce le Conseil national des barreaux. De son côté, le Conseil de l'ordre des avocats de Paris estime dans un communiqué (PDF) que ce type de perquisition est étendu "dans des conditions telles que le principe de leur prohibition devient inexistant".
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