Au procès des attentats de janvier 2015, l'attaque de Paris hante les esprits mais pas les débats
"Je suis atterré, effondré, comme nous tous, par ce nouvel attentat", a déclaré l'avocat Richard Malka en marge de l'audience, tandis qu'aucune allusion à l'attaque perpétrée vendredi n'a été faite devant la cour d'assises spéciale.
L'attaque est encore dans toutes les têtes. Un homme armé d'une machette a grièvement blessé, vendredi 25 septembre, deux salariés de l'agence de presse Premières Lignes, rue Nicolas-Appert à Paris, devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. Dans une vidéo, l'assaillant, qui se présente comme un Pakistanais de 18 ans, dénonce "les caricatures du prophète Mohammed qui ont été faites" et ajoute son intention de les "condamner", sans pour autant faire allégeance à une quelconque organisation. L'enquête progresse pour en savoir plus sur cet individu, autour duquel des zones d'ombre subsistent. Mais de tout cela, il n'est absolument pas question au procès des attentats de janvier 2015, ce lundi 28 septembre.
Trois jours après l'attaque, les seuls faits qui intéressent la cour d'assises spéciale de Paris à propos de Charlie Hebdo concernent la tuerie perpétrée par les frères Kouachi. "Le procès continue", observe, lundi, face à quelques journalistes, Antoine Casubolo Ferro, avocat de parties civiles, dont l'Association française des victimes du terrorisme. Le président de la cour d'assises spéciale "n'a pas forcément manifesté son émotion, mais nous aussi on a repris le procès, car on ne doit pas céder, on ne doit pas avoir peur", complète-t-il, en invoquant la devise latine de la ville de Paris, Fluctuat nec mergitur ("Il est battu par les flots, mais ne sombre pas"), qui avait justement été ravivée en 2015, au moment des attentats.
"Ça ne finira jamais"
"L'actualité vient bouleverser le procès sans qu'on en parle pour autant. C'est toujours le cas dans les procès d'assises", explique à franceinfo l'avocate du fils de Bernard Maris, économiste assassiné le 7 janvier 2015. Néanmoins, Caty Richard tient à faire part de sa "colère" en marge de l'audience. "Il faut forcément changer quelque chose pour qu'on en finisse, pour éviter une menace rampante et dormante, estime-t-elle. Je suis bouleversée et révoltée. On ne peut pas s'empêcher de se dire 'ça ne finira jamais'."
Même impression pour Catherine Szwarc, avocate du chef d'entreprise dont les locaux se trouvaient dans le même immeuble que ceux de Charlie Hebdo. Le 7 janvier 2015, Saïd et Chérif Kouachi, qui cherchaient la salle de rédaction de l'hebdomadaire satirique, lui avaient demandé, en le menaçant avec des armes, de lui indiquer la bonne adresse. "Le fait qu'il y ait un attentat est traumatisant pour mon client et pour l'ensemble des victimes, ça réactive la douleur", se désole Catherine Szwarc avec émotion.
C'est quand même très symbolique. On ne commet pas une attaque à cet endroit par hasard, donc c'est intimement lié.
Catherine Szwarc, avocate de parties civilesà franceinfo
L'avocate garde espoir dans la justice et dans l'issue du procès qui se déroule depuis le 2 septembre au tribunal judiciaire de Paris. "On verra la réponse qui sera donnée", conclut-elle en désignant implicitement le verdict que doit prononcer la cour mi-novembre.
"Mais quel être humain fait ça ?"
"Charlie Hebdo se retrouve manifestement encore une fois en première ligne parce que ce terroriste cherchait Charlie Hebdo, mais on est complètement dépassés par ces enjeux-là, c'est bien plus grand que nous. C'est notre mode de vie qui est en jeu", défend de son côté Richard Malka, avocat historique de l'hebdomadaire. Sa réaction était guettée. "Un individu abreuvé de haine, qui n'a probablement jamais vu les caricatures, qui ne connaît pas leur contexte, ni leur sens, ni l'histoire de tout ça, parce qu'il s'est senti offensé, a été prendre une machette pour tuer tout le monde, expose-t-il. Mais quel être humain fait ça ? Quel être humain fait ça ?" s'indigne-t-il, dans une question qui n'attend pas de réponse.
On est tous dans le même bateau, quelle que soit notre religion – ou absence de religion –, quels que soient notre couleur ou notre sexe.
Richard Malka, avocat de "Charlie Hebdo"en marge de l'audience
Combatif, Richard Malka appelle ensuite à "réagir", à "se mobiliser". "On ne va pas se laisser déterminer nos droits par des individus qui prennent des machettes", insiste-t-il. Pour lui, l'enjeu de cette nouvelle attaque va bien au-delà de la seule rédaction de Charlie Hebdo. L'avocat incite "le monde culturel" à se "réarmer intellectuellement", "les politiques" à passer "du discours aux actes". "Face à cette sauvagerie, on n'a pas le choix, soit on réaffirme notre détermination, c'est la seule chose qui nous protégera et les dissuadera, soit, l'autre choix, c'est l'obscurantisme", conclut-il.
"Tout ça, j'en parlerai quand je plaiderai", promet Richard Malka. Mais "le temps n'est pas encore venu". De fait, le procès vient tout juste d'entrer dans une deuxième phase, avec l'audition de plusieurs enquêteurs, qui ont travaillé notamment sur les échanges téléphoniques entre les auteurs des attentats de janvier 2015, Chérif et Saïd Kouachi et Amedy Coulibaly. Moins d'émotion, plus de détails techniques afin de cheminer à travers l'enquête. "Connaître l'innommable était indispensable, ensuite on voit comment cela a été rendu possible, analyse l'avocate Caty Richard. On est en train de construire pourquoi et comment on en est arrivés à ces accusés dans le box." Car c'est vers eux que se tournent désormais les regards.
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