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"On a l'impression d'être un animal" : une avocate de Rouen plaide contre les box vitrés dans les salles d'audience

Julia Massardier a défendu son client à ses côtés, dans la cage vitrée installée depuis 2015 dans la salle d'audience 104 du tribunal de Rouen. Elle voulait dénoncer une atteinte à la dignité humaine et à la présomption d'innocence, à l'instar d'avocats de toute la France qui critiquent ce dispositif.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le box vitré de la salle d'audience 104 du tribunal de Rouen. (JULIA MASSARDIER)

Le mouvement contre les box vitrés prend de l'ampleur dans les tribunaux français. De nombreux avocats dénoncent depuis longtemps ces dispositifs installés dans les salles d'audience, en leur reprochant d'être un obstacle à la présomption d'innocence. Lundi 7 mai, une avocate de Rouen (Seine-Maritime), Julia Massardier, a donc décidé de plaider contre la présence de ce box introduit à l'été 2015 dans la salle d'audience 104 du tribunal normand. "Pour la première fois, j'ai décidé d'aller dans la cage avec mon client, explique-t-elle à franceinfo. On a l'impression d'être un animal. Tout le monde mérite d'être traité dignement."

Je trouvais que cela faisait trop longtemps que nous laissions faire sans action marquante. C'était le bon moment.

Julia Massardier

à franceinfo

Dans la salle d'audience de Rouen, le cube de verre est isolé, perpendiculaire au tribunal. "Quand je suis montée dans le box, la présidente ne me voyait pas. Des confrères ont dû lui signaler où je me trouvais", raconte l'avocate, qui défendait un client jugé pour violences avec arme et ITT supérieure à 8 jours. Elle retient surtout la mauvaise acoustique. "Je me suis rendu compte qu'on entendait très mal. Pour m'exprimer, je devais mettre ma tête au niveau d'un interstice. Pour entendre, il fallait que je tourne l'oreille au même endroit."

"Cela influence les magistrats et l'affaire"

Tout au long de sa plaidoirie, Julia Massardier peine à entendre les réquisitions, ce qu'elle signale d'ailleurs au procureur. Quand elle approche sa bouche pour intervenir, le parquet lui coupe la parole. Elle doit rapidement tourner la tête pour tendre l'oreille. "Pour parler à mes confrères, je devais les héler par un petit trou, poursuit l'avocate. Certaines fois, les prévenus ont d'ailleurs été sortis du box parce qu'on ne les entendait vraiment pas."

Plus grave à ses yeux, ce mode de comparution ne respecte pas la présomption d'innocence. "On présume en effet que la personne est dangereuse sans même avoir étudié sa situation personnelle. Inconsciemment, cette présence du prévenu dans une cage donne alors l'impression qu'il va raconter n'importe quoi, estime Julia Massardier. Cela influence les magistrats, cela nous influence et cela influence l'affaire. Le principe d'égalité des armes est rompu."

L'intérieur du box vitré d'une salle d'audience du tribunal de Rouen, photographié par Julia Massardier. (JULIA MASSARDIER)

"Il y a peu d'incidents au pénal"

Mais la présidente du tribunal n'a pas été sensible à la plaidoirie de Julia Massardier : elle estime que le box n'est pas attentatoire à la dignité humaine et à la présomption d'innocence. "Je ne comprends pas ses arguments, répond l'avocate. Je l'ai d'ailleurs invitée à monter dans le box pour voir ce qu'on y ressent." Dans ses conclusions, consultées par franceinfo, l'avocate s'appuyait sur un avis du Défenseur des droits daté d'avril 2018, qui dénonce la "comparution systématique" des prévenus dans des box sécurisés.

L’instruction du Défenseur des droits permet de constater que l’actuel dispositif des box sécurisés dans les salles d’audience constitue une restriction aux droits de la défense, à la présomption d’innocence et contrevient au droit de l’Union européenne.

Défenseur des droits

décision du 17 avril 2018

La présidente a également évoqué la personnalité du prévenu pour justifier son refus. "Mais cela implique que la dangerosité des faits commis à l'extérieur soit la même que la dangerosité à l'audience, estime l'avocate, ce qui est loin d'être prouvé, selon elle. 

En outre, Julia Massardier rappelle qu'à Rouen, il n'y a pas de vitre en cour d'assises, où sont jugés les crimes, et qu'en cas d'appel, le même prévenu pourrait comparaître dans une salle d'audience… dépourvue de box. Sans compter que "devant le juge d'instruction, y compris lors des confrontations avec les victimes, les prévenus se trouvent dans un bureau, souligne l'avocate. Quand je discute avec les confrères, d'ailleurs, nous disons la même chose : il y a très peu d'incidents au pénal."

La Chancellerie lève le pied sur les box sécurisés

Reste que ces dispositifs ont été prévus pour limiter les risques d'agression, à la fois contre les magistrats, les fonctionnaires, le public et les prévenus eux-mêmes. En 2016, la Chancellerie a recensé 107 incidents dans les salles d'audience, "de l’évasion jusqu’à l’agression physique ou verbale". Cette année-là, un arrêté du ministère de la Justice recommandait donc l'installation de "deux types de sécurisation du box détenus, (...) le premier à vitrage complet du box, le second à barreaudage en façade avec un vitrage sur les faces latérales côté public et côté magistrats".

Si une évasion d’un accusé dangereux se produit ou une agression très grave, on pourra légitimement dire 'mais que fait le ministère pour sécuriser ?' Si vous installez des box, on vous dit 'ce n’est pas normal, ça porte atteinte à des droits fondamentaux'.

Youssef Badr, porte-parole du ministère de la Justice

à franceinfo

Mais la ténacité des avocats rouennais a payé. Mercredi 9 mai, Julia Massardier et sa consœur Hélène Veyrières ont obtenu qu'un autre client comparaisse à la barre. La présidente, Mariette Vinas, a accédé à cette requête, après avoir elle-même rappelé que l’assemblée générale des magistrats de Rouen avait voté contre l’installation de ce box en 2015. Même chose pour un second prévenu : la présidente a demandé spontanément à l'huissier de le faire monter par la porte d’audience et de le conduire à la barre.

Plus largement, de nombreux avocats français contestent ces dispositifs depuis plusieurs mois. A Paris, début mai et devant une cinquantaine d'avocats, leur confrère Romain Boulet a ainsi obtenu, d'un juge de la détention et des libertés, que son client comparaisse à la barre plutôt que dans un box. Le juge a accepté la requête, alors même que le prévenu avait été condamné pour évasion et que sa dangerosité éventuelle pouvait être retenue. "Un homme qui comparaît dans une cage avec des grillages au-dessus, c'est une image effroyable", explique Romain Boulet à franceinfo. Selon lui, la fronde des avocats pourrait "faire tache d'huile".

Consciente de ces réticences, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a pris les devants dès le mois de décembre, en décidant l'arrêt du déploiement des box sécurisés. En avril, elle a certes réaffirmé que "l'utilisation de box vitrés fermés permet d'assurer une sécurité adaptée lors de certains procès, comme les procès d'assises, les audiences liées au terrorisme ou à la criminalité organisée". Mais elle a également estimé que "dans d'autres situations, notamment dans la plupart des audiences de comparution immédiate, le recours à un box sécurisé ne s'impose pas". Par ailleurs, la ministre a demandé le démontage des box constitués de barreaux.

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