Mort de Zyed et Bouna : sept ans après, les faits sont toujours aussi flous
La Cour de cassation dira mercredi si elle confirme ou annule le non-lieu accordé à des policiers dans l'enquête sur la mort des deux adolescents. Francetv info expose les versions des deux parties.
JUSTICE - Sept ans et quatre jours après la mort de Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, la Cour de cassation, et à travers elle la justice, dira mercredi 31 octobre si elle confirme ou annule le non-lieu accordé à des policiers dans l'enquête sur la mort des deux adolescents à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Poursuivis par la police, ils ont péri électrocutés dans un transformateur EDF, le 27 octobre 2005. Leur mort avait déclenché des émeutes dans les banlieues françaises.
En 2010, les deux policiers avaient été renvoyés par les juges d'instruction chargés de l'enquête devant le tribunal correctionnel, pour "non-assistance à personne en danger". Suivant les réquisitions du parquet général, la cour d'appel de Paris a prononcé un non-lieu en avril 2011. Les familles ont alors formé un pourvoi devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Si le non-lieu est confirmé mercredi, cette procédure s'arrêtera. Sinon, un procès des deux policiers pourrait s'ouvrir. Avec, au cœur des débats, leur attitude. Chaque partie a sa version des faits, que francetv info expose.
L'origine de la course-poursuite
Une tentative de cambriolage ? Le 1er octobre, Daniel Merchat, l'avocat des deux policiers, a déclaré à l'AFP qu'à l'origine de la course-poursuite, "il y a bien eu une tentative de cambriolage" sur un chantier. Il a aussi affirmé qu'au moment où ils sont morts, les policiers étaient rentrés au commissariat depuis "18 minutes".
Ou bien aucune infraction ? "Ceci est faux. L'enquête l'a définitivement démontré", ont répliqué le même jour les avocats des familles des deux jeunes, Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman. Selon eux, les policiers poursuivaient les adolescents alors qu'ils n'avaient commis aucune infraction. Zyed et Bouna se dépêchaient de rentrer chez eux un soir de ramadan, après avoir joué au foot.
La scène vue par les policiers
Sont-ils partis avant de voir les ados entrer dans le transformateur ? "S'ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau." Cette phrase a été prononcée par l'un des policiers lors des échanges radio le soir des faits. Elle est au cœur des débats.
Pour l'avocat général Patrick Bonnet, qui a préconisé la confirmation du non-lieu, cette phrase "ne dit pas qu'ils sont rentrés sur le site EDF". "Rien dans le dossier ne permet d'affirmer que quelqu'un, à un moment ou à un autre, a vu les enfants se réfugier" dans le transformateur, ajoute-t-il.
Ou les ont-ils vus sans les prévenir ? Pour Jean-Pierre Mignard, l'argument de l'avocat général ne "mérite aucune considération". Selon lui, "l'évidence du péril imminent", signalé par des pancartes, "s'impose à tous", et encore plus à des "adultes qui poursuivent des enfants". Le 1er octobre, l'avocat des familles des jeunes a jugé "indispensable" que cette affaire soit jugée lors d'un débat public par un tribunal, qui rende une décision "quelle qu'elle soit".
L'attitude des policiers
Pouvaient-ils les avertir du danger ? "A aucun moment (…) les forces de police n'ont cherché à avertir les enfants du risque", a plaidé de son côté un autre avocat des familles, Patrice Spinosi, lors de l'audience devant la Cour de cassation, le 3 octobre.
"Tous les éléments" du dossier "démontrent que la seule logique" des fonctionnaires était d'appréhender les fugitifs. Pour l'avocat, les policiers ont ce soir-là "manifestement failli" à leur mission essentielle, "protéger les plus faibles". Il a souligné "l'absurdité de ce drame" : "Les enfants courent parce qu'ils sont poursuivis par les policiers et les policiers les poursuivent parce que les enfants courent".
Etait-ce impossible ? Les fonctionnaires avaient "bien connaissance d'un danger, mais pas d'un péril imminent", a argué l'avocat général. Selon lui, on ne peut pas renvoyer les policiers devant le tribunal correctionnel sur "des suppositions aussi vagues et des hypothèses".
L'issue de l'affaire
La décision de la Cour de cassation, un point final ? Les deux policiers qui ont finalement bénéficié d'un non-lieu "poursuivent leur carrière" et n'ont pas fait l'objet de poursuites disciplinaires, a affirmé leur avocat. "Il y a eu un accident, ça s'arrête là", a-t-il tranché. Il attend avec "sérénité" la décision de la Cour de cassation mercredi.
Les deux ados, "morts pour rien" ? Si la justice confirme le non-lieu, "Zyed et Bouna seront vraiment morts pour rien", a estimé le 3 octobre Mohamed Mechmache, le président du collectif AC le Feu, né au lendemain des émeutes de Clichy-sous-Bois. "Les jeunes concernés par les émeutes ont grandi, les mentalités ont évolué", mais une confirmation du non-lieu "donnerait raison aux jeunes qui, il y a sept ans, ont préféré utiliser la violence que saisir la justice pour faire valoir leurs droits", a observé Samir Mihi, de l'association Au-delà des mots.
Dans le cas où le pourvoi serait rejeté, les avocats des familles envisagent de déposer une citation directe pour "mise en danger de la vie d'autrui" contre au moins cinq ou six policiers.
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