Masques hopis, dinosaures et guillotines: peut-on tout vendre aux enchères ?
Francetv info revient sur cinq objets polémiques mis aux enchères et parfois retirés de la vente. Tantôt pour des motifs juridiques, tantôt pour des raisons morales.
In extremis, la vente aux enchères de 70 masques hopis a été autorisée par la justice française. Saisie à la demande de la tribu amérindienne qui réclamait la restitution de masques considérés comme sacrés, la juge des référés a estimé, vendredi 12 avril, que "le seul fait que ces objets puissent être qualifiés d'objets de culte (....) ne saurait leur conférer un caractère de biens incessibles de sorte que leur vente caractériserait un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent".
Saisi par l'avocat de la tribu, Pierre Servan-Schreiber, le Conseil des ventes a confirmé la décision du juge. Il est 14h58 quand Catherine Chadelat, présidente de de cette autorité qui supervise la vente aux enchères, reçoit la demande formelle. "Trop tard pour se prononcer d'ici 15 heures !" explique-t-elle à francetv info. "Pour suspendre une vente, il faut que cette dernière présente un caractère illégal, au moins en apparence", précise la présidente, qui assure n'utiliser que très rarement ce pouvoir de suspension.
Car c'est bien la loi qui détermine ce qu'il est autorisé ou non de commercialiser via les salles des ventes. Francetv info revient sur cinq cas polémiques.
1 Les masques sacrés du peuple hopi
Les Hopis sont un petit peuple de 18 000 personnes qui vivent dans l'Arizona (Etats-Unis). Ils ont été soutenus par l'association Survival International et ont été défendus dans les médias par l'acteur et réalisateur américain Robert Redford. Mais cela n'a pas suffi, malgré une mobilisation sur les réseaux sociaux. Les Hopis n'ont pas réussi à démontrer l'illégalité de cette vente de masques qu'ils considèrent comme sacrés.
Organisée à l'Hôtel Drouot à Paris, par la maison Néret-Minet Tessier & Sarrou, la vente s'est ouverte aux acheteurs potentiels vendredi après-midi. Si la jurisprudence française interdit le commerce de sépultures ou de tombeaux, la vente, le transport et l'exportation d'objets sacrés est légale dans l'Hexagone. Catherine Chadelat s'appuie notamment sur le droit français et le recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes, publié en février 2012.
"Je vois qu'elle est légale du point de vue du commissaire-priseur, qui est bien déclaré comme tel. Du côté de la vente, elle ne contient pas de restes humains, tissus ou cheveux, interdits par le Code civil, assure la juriste, détaillant le cas des masques hopis. Enfin, je ne dispose pas d'éléments permettant de dire que ces objets sont arrivés en France dans des conditions contraires au Code des douanes et je n'ai pas non plus trace d'aucune convention entre la France et les Etats-Unis concernant ces biens."
2 Les instruments de torture du bourreau Meyssonnier
Catherine Chadelat insiste : sa mission est d'ordre juridique. "La légalité est une chose, l'émotion en est une autre", explique la juriste. Interrogée par francetv info, elle évoque la collection de l'ancien bourreau Fernand Meyssonnier, au cœur d'une polémique en avril 2012. "En France, rien n'interdit juridiquement de mettre en vente aux enchères une collection d'instruments de torture, explique-t-elle. Même si évidemment, cette exposition peut choquer des sensibilités."
Et pour cause, cet ancien bourreau a exécuté quelques 200 personnes en Algérie dans les années 1950. Quand sa fille a mis en vente, en avril 2012, sa collection de plus de 350 engins de torture, des associations de défense des droits de l'homme se sont indignées, dénonçant une initiative "choquante".
Sollicité fin mars 2012, le Conseil des ventes a donc opté pour les vertus de la pédagogie, usant d'un pouvoir "de simple recommandation". Il préconise d'avertir le public du caractère sensible de son exposition. Face à la polémique, les vendeurs ont finalement renoncé.
3L'uniforme du prisonnier politique dans un camp allemand
Le même cas de figure s'est présenté au début du mois d'avril. A la demande du commissaire-priseur Olivier Collin du Bocage, une tenue de prisonnier politique détenu dans un camp allemand durant la seconde guerre mondiale a finalement été supprimée du catalogue de l'Hôtel Drouot.
Légale, la vente avait provoqué la colère de deux élus communistes du Conseil de Paris. Dans un communiqué, Ian Brossat et Catherine Vieu-Charier dénoncent "une nouvelle étape dans la marchandisation de la mémoire" et "un acte de banalisation intolérable pour la mémoire" et demandent le retrait de l'objet incriminé du catalogue. Estimé entre 400 et 600 euros, il en disparaît le 4 avril. "Des gens s'offusquaient en pensant qu'il s'agissait d'un uniforme en rapport avec la Shoah, a expliqué Olivier Collin du Bocage à francetv info. Ce n'est pas la peine de réveiller de vieilles rancœurs."
4 Des têtes réduites
"Sauf lorsqu’ils constituent sans équivoque des biens culturels, l’opérateur de ventes volontaires s’abstient de présenter à la vente tout ou partie de corps et de restes humains ou tout objet composé à partir de restes humains", prévient le recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes. Ainsi, la présidente du Conseil des ventes se souvient d'avoir suspendu il y a quelques mois la vente "d'une tête humaine réduite qui ne présentait aucune qualité artistique, explique-t-elle. L'intéressé l'a donc retirée de la vente."
5Des squelettes de dinosaures
La vente d'objets paléontologiques n'existe en France que depuis quelques années. En décembre 2009, à l'Hôtel Drouot-Montaigne, la maison Cornette de Saint-Cyr a vendu, pour 250 000 euros, le squelette d’un spinosaurus. Quelques mois plus tard, Sotheby's propose la première vente aux enchères entièrement consacrée à l'Histoire naturelle. Y étaient proposés, entre autres, "un allosaure de 10 mètres de long et un plésiosaure, dinosaure marin ayant inspiré le monstre du Loch Ness dans l'imagination populaire", prévenait alors RFI.
Cet engouement pour les trouvailles préhistoriques s'est développé aux Etats-Unis, au début des années 2000. Ainsi, en 2007, l'acteur américain Nicolas Cage a déboursé 276 000 dollars pour une tête de dinosaure, raflée de justesse à Leonardo DiCaprio, rapporte Elle.fr.
Mais là-bas, des voix s'élèvent pour dénoncer ce commerce, rapporte The New Yorker. Surtout depuis "l'affaire Eric Prokopi". Cet Américain de 38 ans a été arrêté en décembre 2012, accusé d'avoir importé illégalement de Mongolie plusieurs squelettes de dinosaures. Des os par centaines, qu'il a lui-même assemblés dans sa maison de Floride. Parmi eux, un tyrannosaure bataar de 2,43 m de haut et 7,31 m de long. Ce dernier avait été vendu aux enchères pour 1,05 million de dollars le 20 mai 2012 à New York, par l'intermédiaire de la maison Heritage Auctions. Aujourd'hui, le squelette est réclamé par Oulan-Bator.
Le vendeur sera jugé le 25 avril. La fin de cette procédure permettra ou non de finaliser cette vente controversée et de mettre, par la même occasion, de l'ordre dans un commerce hors du commun.
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